Munich, Bayerische Staatsoper, National Theater, 2016
“UN BALLO IN MASCHERA”
Mélodrame en trois actes, livret de Antonio Somma.
Musique Giuseppe Verdi
Riccardo PIOTR BECZALA
Renato FRANCO VASSALLO
Amelia ANJA HARTEROS
Ulrica OKKA VON DER DAMERAU
Oscar SOFIA FOMINA
Silvano ANDREA BORGHINI
Samuel ANATOLI SIVKO
Tom SCOTT CONNER
Oberster Richter ULRICH RESS
Diener Amelias JOSHUA OWEN MILLS
Kind ALEXANDER FISCHER
Choeur du Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
Direction musicale Daniele Callegari
Chef de choeur Sören Eckhoff
Mise en scène Johannes Erath
Décors Heike Scheele
Costumes Gesine Völlm
Vidéo Lea Heutelbeck
Lumières Joachim Klein
Dramaturgie Malte Krasting
Munich, le 27 juillet 2016
Dans le très joli Staatsoper de Munich, le Festival d’été reprend l’opéra ” Un ballo in maschera ” dans la production présentée au mois de mars sur cette même scène. Encore un drame de la jalousie, qui se passe cette fois à Boston ; et comme très souvent avec Giuseppe Verdi, intrigues, complots et malentendus composeront le livret. Sans être vraiment compliquée, l’histoire peut être représentée explicitement. Mais ici, le metteur en scène Johannes Erath, dans une dramaturgie de Malte Krasting, va nous présenter l’oeuvre d’une manière plus intimiste, où les personnages emportés par leur passion, seront confrontés à leur destin. Boston, pourquoi pas, une vue projetée de la ville nous le confirme, mais dans un rythme de comédie musicale américaine ou de cabaret berlinois du début des années 1930. Toujours est-il que dans ce décor unique, il est bien difficile de retrouver le livret initial si on ne le connait pas. Alors, laissons-nous emporter par ce visuel et abandonnons les incohérences ou les allusions inexpliquées, telle cette marionnette de ventriloque qui passe des mains d’Oscar à celles de Riccardo, faisons l’impasse sur Oscar ôtant sa perruque pour montrer sa féminité…. pour nous concentrer sur une direction des acteurs bien réalisée. Heike scheele a imaginé un escalier elliptique à large révolution comme décor unique. Certes, il permet aux chanteurs d’évoluer sur plusieurs niveaux, mais il est bien difficile de jouer les extérieurs dans un tel décor où un lit XXL est omniprésent. Il nous permet toutefois d’entrer dans l’intimité de Riccardo ou du couple Renato /Amelia, et d’observer ainsi les pensées les plus secrètes d’Amelia alors qu’elle envisage d’étouffer son mari avec un oreiller, ou de s’empoisonner. Bon, cela anime la musique qui n’en demandait pas tant. Etranges, ces idées des metteurs en scène ! Mais au delà des bizarreries souvent incompréhensibles, tout ceci est agréable à regarder. Les lumières de Johachim Klein nous enferment dans un noir et blanc de bon aloi avec des teintes plus bleutées et des tabs de tulle qui les tamisent. Ici donc, du noir et du blanc du lit aux rideaux et de l’escalier au plafond dont le miroir reflète ce même lit. Les costumes de Gesine Völlm, de bon goût, respectent ces deux teintes avec une exception pour les robes des dames lors du bal ; les hommes du choeur étant en frac et chapeau haut de forme. Oscar apparait telle Marlène Dietrich dans l’ange bleu et Renato et Riccardo revêtent des robes de chambre coupées dans de riches tissus aux impressions japonaises. De très beaux costumes donc, qui démontrent le milieu cossu où évoluent les acteurs. Restant dans le noir et le blanc, les jolies vidéos de Lea Heutelbeck, nous laissent dans les ambiances d’un cinéma des années 30.
Un drame plus basé sur la jalousie conjugale, dans ce chassé croisé à trois, que sur un fait historique. Piotr Bezcala est ce jeune amoureux qui ne veut à aucun moment céder à la peur, et qui affrontera son destin avec courage et désinvolture. Dans une prononciation et un style très italien, il aborde ce rôle très à l’aise, aussi bien dans son jeu que dans son chant. Sa voix claire et projetée aux aigus faciles fait montre d’une superbe technique qui lui permet un phrasé homogène dans chaque tessiture, des graves sonores et des aigus lumineux. Nous apprécions ce ténor capable de légèreté ou de sensibilité dont le timbre s’adapte dans les duos ou trios pour devenir touchant ou brillant dans ses Airs, ainsi au denier acte, ” Ma se m’è forza perderti ” est chanté avec intensité et une grande force émotive. Très juste dans cette production, le ténor polonais sera un Riccardo très applaudi tant il investit ce rôle. Face à lui, le Renato de Franco Vassallo. Bien qu’encore jeune, ce baryton italien a déjà à son répertoire les plus grands rôles de baryton verdien. Avec une voix grave et équilibrée, il campe cet ami sincère dont la jalousie le poussera au meurtre. A l’aise sur scène, il est un Renato crédible. Doté d’une belle présence, il impressionne dans ses moments de colère et sait faire passer la tension notamment dans son Air du troisième acte ” Alzati ! là tuo figlio “. Puissance, aigus solides et sonores, timbre généreux et belle ligne de chant le font remarquer. Peut-être est-il légèrement moins à l’aise dans la ” Vendetta ” ? Faiblesse très passagère car on n’a pas grand chose à reprocher à ce baryton qui fait preuve d’une grande musicalité tout au long de l’ouvrage et jusque dans son duo avec Riccardo. On remarque aussi les voix d’Andrea Borghini, Anatoli Sivko et Scott Conner, bien que dans des rôles assez courts mais très en place et qui passent très bien. La soprano allemande Anja Harteros était très attendue. Très appréciée sur cette scène où elle se produit très souvent, elle obtiendra un succès considérable. Avec un physique à la Maria Callas – son père n’est-il pas grec ? – elle aborde ce rôle en tragédienne, faisant passer ses sentiments au travers de sa voix. On pourrait lui reprocher de chanter toujours un peu bas, mais ce que le public apprécie est son investissement vocal qui fait résonner ses aigus puissants avec de bonnes respirations. Si Anja Harteros est une belle Amelia, nous regrettons une voix inégale, un peu raide avec certaines voyelles trop appuyées. Okka von der Damerau campe ici une Ulrika omniprésente dans cette mise en scène basée sur les doubles et les représentations figuratives. Venue de la troupe du Bayerische Staatsoper, cette mezzo allemande est une révélation. Comme Anja Harteros, elle aborde cet opéra pour la première fois. A l’aise sur scène et avec une plastique de femme fatale, elle est loin des représentations de sorcière. Mais, au delà du physique, la voix est au rendez-vous : grave, solide avec un bon soutien du souffle. Okka von der Damerau fait de ce rôle un rôle de premier plan avec une grande sobriété. Souplesse, aigus timbrés et phrasé dans une belle longueur de souffle, elle est une Ulrika que l’on est impatient de retrouver. Sofia Fomina est ici Oscar, ce page travesti. Vive, légère au staccato incisif, la soprano russe qui chante aussi bien Mozart que Verdi, donne du relief à son rôle et du rythme à ses interventions dans un style music-hall. En habit noir pailleté, n’est-elle pas Marlene Dietrich ? Sa voix claire et colorée n’appuie pas les aigus, leur conservant ce côté aérien. Elle chante avec beaucoup de fraîcheur, de spontanéité, et joue avec naturel dans un rythme qui suit la musique, donnant un peu de fantaisie à ce drame. Le choeur, admirable d’ensemble et d’homogénéité, surtout dans le choeur d’hommes, est sonore avec un impact certain. Dans des tempi allant, il fait aussi preuve d’investissement scénique. Succédant à Zubin Metha qui dirigeait l’ouvrage au mois de mars, Daniele Gallegari était à la baguette. Dans de bons tempi et avec une direction efficace, il emmène l’orchestre. On aimerait quelquefois un peu plus de mordant dans les accompagnements à la Verdi. Si le Maestro n’a pas pu trouver un réel son d’orchestre, il a toutefois su donner aux cordes de jolies couleurs avec des sons veloutés. De belles phrases musicales et un solo de violoncelle sensible font oublier un certain manque de relief. La mise en scène peut-être déroutante, mais force est de reconnaître à Johannes Erath la cohésion entre scène et musique. Un metteur en scène qui a commencé sa carrière artistique en étant violoniste, ne peut que porter une grande attention a ce que le compositeur a écrit. C’est sans doute ce qui donne cette fluidité à cette production en tous points esthétique, servie par un plateau homogène où les ensembles sont justes , jusqu’au quintette a capella si difficile d’intonation. Si nous avons assisté à une nouvelle version de ce Bal masqué, nous en garderons un souvenir où talent rime avec élégance. Photo© Wilfried Hösl