Festival d’Aix-en-Provence, saison 2016:”Pelléas et Mélisande”

Festival d’Aix-en-Provence, saison 2016
“PÉLLEAS ET MÉLISANDE”
Drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux, livret de Maurice Maeterlinck d’après sa pièce Pelléas et Mélisande
Musique de Claude Debussy
Pelléas STÉPHANE DEGOUT
Mélisande BARBARA HANNIGAN
Golaud LAURENT NAOURI
Arkel  FRANZ-JOSEF SELIG
Geneviève SYLVIE BRUNET-GRUPPOSO
Yniold CHLOE BRIOT
Le Médecin THOMAS DEAR
Actrices SARAH NORTHGRAVES, SACHA PLAIGE, MIA THEIL HAVE
Choeur  Cape Town Opera Chorus
Orchestre Philharmonia Orchestra
Direction Musicale Esa-Pekka Salonen
Chef de Choeur  David Kernelle
Mise en scène Katie Mitchell
Décors  Lizzie Clachan
Costumes Chloé Lamford
Lumière James Farncombe
Responsable des mouvements Josef W. Alford
Dramaturge   Martin Crimp
Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, le 2 juillet 2016
La nouvelle production de Pelléas et Mélisande était très attendue ce soir au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence. En effet,  Katie Mitchell allait nous présenter sa propre vision de cette oeuvre. Aussi à l’aise avec l’opéra contemporain ( Written on skin ) de George Benjamin, Festival d’Aix-en-Provence 2012, ou plus récemment avec son interprétation de l’Alcina de Georg Friedrich Haendel, Festival d’Aix-en-Provence 2015, nous avions hâte de connaître son approche de la musique de Claude Debussy. Très impressionné par la pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck, le compositeur mettra dix ans avant de terminer son unique opéra qui sera finalement créé à Paris, à l’Opéra Comique, le 30 avril 1902 sous la direction d’Henri Messager. C’est à la demande de Gabriel Dussurget que Pelléas et Mélisande entre au Festival d’Aix-en-Provence, avec Serge Baudo à la baguette, Gabriel Bacquier dans le rôle de Golaud qu’il marquera de son empreinte et dans une mise en scène de Jacques Dupont. Nous croisons dans la salle, en cette soirée de première, le Maestro Serge Baudo. Le chef d’orchestre et cette oeuvre sont liés par une longue, très longue histoire d’amour. D’ailleurs, ne l’a-t-il pas dirigée en février dernier à l’Opéra de Toulon à l’aube de ses ….? mais peu importe, pour Mélisande, Serge Baudo a toujours l’âge de Pelléas. Katie Mitchell veut actualiser un peu cet opéra et le sortir du carcan habituel du conte. Mais difficile d’aller vers le réalisme sans trahir l’oeuvre, alors, pourquoi ne pas prendre le prétexte du rêve ? Le style onirique sera préservé et Mélisande se retrouvera telle l’Alice  de Lewis Caroll. Tout est alors permis et plus rien ne peut paraître étrange. Mélisande se dédouble, Pelléas peut même apparaître dans sa chambre alors que Golaud s’y trouve déjà, Geneviève porter dans ses bras l’enfant de Mélisande, et Arkel avoir des gestes équivoques, rien ne peut nous étonner puisque tout est rêvé. Tout commencera dans une jolie chambre où Mélisande est en robe de mariée, et tout finira de même. Katie Mitchell fidèle à son style, mais avec plus de fluidité ici, fait apparaître ou disparaître les pièces avec un jeu intelligent de décors qui coulissent. Ces décors, imaginés par Lizzie Clachan, bien que parfois étranges et en décalage avec le texte fonctionnent assez bien ici – la grotte près de la mer, souvent représentée par une fontaine, est une piscine laissée à l’abandon, l’évocation de la forêt se fait à l’aide d’un arbre entrant dans la chambre, et un escalier métallique en colimaçon, dessert la tour sans doute – . Mais ici, pas de réalisme, tout est basé sur la beauté visuelle des couleurs et des gestes bien travaillés en accord avec le caractère des personnages. Yniold est-il perché sur une échelle ? peu importe, la musique de Claude Debussy agit et nous emporte. Les costumes de Chloé Lamford sont modernes sans ostentation, la robe de mariée est vaporeuse comme le sont les pensées de Mélisande et le costume étriqué de Pelléas le fait plus ressembler à un vieux garçon qu’à un jeune homme romantique ; et, si ce n’est pas le physique que l’on associe habituellement à Pelléas, qui se souvient de Jacques Jansen qui a marqué ce rôle ? Nous suivrons Katie Mitchell dans son propos, aidés par les lumières de James Farncombe. Jamais crues, ces lumières diffusées par de petites lampes ou entrant par les fenêtres, rayons de soleil bien dosés, éclairent et conservent ces atmosphères étranges, palpables dans chaque tableau.
Evidemment, dans l’approche de Katie Mitchell, Mélisande, dont les rêves quelques fois très sensuels sont dévoilés par le jeu du dédoublement, ne peut pas avoir la voix éthérée que procure la naïveté encore proche de l’enfance, et d’aucuns pourront reprocher à Barbara Hannigan de ne pas avoir la voix du rôle. Et c’est vrai. Mais il faut lui reconnaître la justesse du jeu et les qualités vocales qui font une prestation réussie. Elle mesure son vibrato afin qu’il ne donne pas trop de corps à sa voix et qu’il reste dans le style pur de Debussy ; et, si le côté fragile a disparu, sa voix claire et percutante aux aigus sensibles nous fait découvrir uneMélisande plus réelle aux désirs avoués, dont la technique et la musicalité nous enchantent, avec de jolis piani sur le souffle et une diction parfaite. Nous sommes surpris dès l’entrée de Pelléas, tant le personnage est différent du Pelléas que nous connaissons, mais, en adhérant à cette nouvelle approche, nous ne pouvons que constater les qualités vocales et scéniques de Stéphane Degout. Une bonne diction, une voix bien placée et sonore font apprécier ce baryton français aux aigus faciles. Salué aux Victoires de la Musique 2012, sa carrière internationale le mènera dans de prestigieux théâtres, de Paris à Vienne, ou de Londres à New York. Il module ici sa voix avec naturel, lui donnant des inflexions nerveuses, dans l’angoisse, tout en lui conservant clarté, profondeur et sensibilité dans une homogénéité de style et de sonorités. Une certaine raideur ? voulue par la mise en scène dans cette idée d’un Pelléas introverti. Laurent Naouri est Golaud, cet homme sombre et ombrageux qui mènera le drame à son échéance. Il possède ce rôle dans ses moindres inflexions, nous faisant participer à ses doutes, son trouble et ses accès de colère d’une véracité à nous donner le frisson. Ce baryton basse français est le Golaud par excellence : profondeur de voix, justesse de style, timbre chaleureux et jolis piani sans trop de vibrato. Un chanteur et un acteur parfait sur qui repose le drame. Franz-Josef Zelig prête sa voix profonde de basse à Arkel. Katie Mitchelle en fait un personnage très présent, s’affirmant dans son jeu et par sa voix grave aux résonances larges. Si Arkel fait montre d’une grande puissance, il laisse aussi ressortir la sensibilité contenue dans sa voix au travers d’un personnage très humain. Belle voix aussi que celle de la mezzo-soprano française Sylvie Brunet-Grupposo qui arrive à s’imposer, dans un rôle relativement bref, lisant sans emphase mais avec beaucoup de sensibilité la lettre de Pelléas, avec une très bonne diction et un beau style conduit par une ligne de chant impeccable. Remarquable aussi est l’interprétation d’Yniold par la jeune soprano française Chloé Briot qui nous présente avec naturel, et sans mièvrerie aucune, cet enfant à la voix juvénile et pure au style parfait, dont les inflexions et les respirations sont d’une grande justesse. Dans le rôle très court du Médecin, nous remarquons Thomas Dear, que nous avions apprécié, tout comme Chloé Briot, dans le Pelléas et Mélisande donné à Toulon en février dernier. Un plateau d’une grande homogénéité mais aussi d’une superbe qualité vocale et stylistique, jusque dans la prestation très brève du Cape Towon Opera Chorus.  Esa-Pekka Salonen était à la baguette. Ce chef d’orchestre finlandais que nous avions apprécié dan l’Elektra de Richard Strauss, passe avec beaucoup d’aisance à la musique de Claude Debussy, et s’il n’est pas facile pour un chef étranger de trouver le style juste, force est de reconnaître qu’Esa-pekka Salonen a réussi à trouver les sonorités tendres et souvent mystérieuses voulues par le compositeur. Il a su donner au Philharmonia Orchestra, avec une battue très claire, cette conduite du souffle avec de beaux ralentis. Les sonorités onctueuses des cordes s’étendent jusqu’à l’harmonie, donnant à l’ensemble beaucoup de cohérence. peut-être pourrait-on regretter des tempi  trop rapides et une trop grande présence de l’orchestre dans certaines attaques, enlevant un peu le côté mystérieux de l’écriture de Debussy ? Mais nous pouvons dire, et le public avec nous qui a généreusement applaudi, que nous avons assisté à une représentation très réussie, même si le texte ne colle pas toujours avec la mise en scène. Mais un rêve est-il toujours rigoureux ? Photo Pascal Victor / Artcomart