Marseille, Opéra Municipal, saison 2015 / 2016
“MACBETH”
Opéra en quatre actes, livret de Francesco Maria Piave et Andréa Maffei, d’après la tragédie de William Shakespeare.
Musique Giuseppe Verdi
Lady Macbeth CSILLA BOROSSS
Suivante de Lady Macbeth VANESSA LE CHARLES
Macbeth JUAN JESUS RODRIGUEZ
Banquo WOJTEK SMILEK
Macduff STANISLAS DE BARBEYRAC
Malcolm XIN WANG
Un médecin / Un sicaire / Le Serviteur de Macbeth / Une Apparition JEAN-MARIE DELPAS
Deuxième apparition PASCALE BONNET-DUPEYRON
Troisième apparition MELANIE AUDEFROY
Un Araldo FREDERIC LEROY
Orchestre et choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Pinchas Steinberg
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
Décors Jacques Gabel
Lumières Roberto Venturi
Costumes Catherine et Sarah Leterrier
Nouvelle production-coproduction Opéra Grand Avignon
Marseille, le 7 juin 2016
On peut tout à fait, et sans exagérer, dire que le Macbeth présenté sur la scène de l’Opéra de Marseille et qui clôture la saison 2015/2016 est Le spectacle de l’année. Il est, heureusement, des productions qui réussissent à réunir un excellent plateau, une bonne mise en scène et un chef d’orchestre de haut niveau pour tout fédérer ; ce spectacle devient alors un succès. Et c’est ici le cas. Composé après Nabucco et Attila, cet opéra de Giuseppe Verdi, présenté au Teatro della Pergola de Florence, le 14 mars 1847, est très bien accueilli par le public, il le sera beaucoup moins par la critique qui lui reprochera de n’y avoir pas introduit l’idée du risorgimento. Le théâtre de William Shakespeare était en grande vogue au début du XIXe siècle, et Verdi, en amoureux de ce théâtre, choisit de mettre en musique Macbeth, sans doute pour son côté sombre où la part psychologique prend le pas sur le côté théâtral. Opéra pessimiste s’il en est, l’épilogue est contenu dans l’une des dernières phrases de Macbeth : ” La vie est un conte, dit par un idiot, plein de fracas et de furie, et qui ne veut rien dire “. Macbeth, manipulé par sa femme et par les devineresses, qu’elles soient sorcières ou femmes déséquilibrées, suit son destin avec en fin de parcours la mort pour délivrance. De Maria Callas à Fiorenza Cossotto, en passant par Leonie Rysanek ou Birgit Nilsson, les plus grandes ont chanté le rôle de Lady Macbeth, mais à Marseille, on se souvient encore de l’interprétation de Ghena Dimitrova, en 1979, pour ce rôle mythique avec Michelangelo Veltri à la baguette. Sans transposition ou relecture avec tout au plus son interprétation théâtrale où la dramaturgie est respectée, Frédéric Bélier-Garcia nous livre une mise en scène assez près du texte, qui fait ressortir le caractère faible de Macbeth, le anti-héros par excellence. Il pose la question : Lady Macbeth a-t-elle scellé le destin de son mari à partir d’une prédiction, ou tout était-il écrit par avance ? Dans cette mise en scène qui peut quelquefois déconcerter un public non averti, Frédéric Bélier-Garcia introduit une notion de temporalité qui se concrétise par un mobilier détruit ou pas ; le temps présent, celui de l’action, ou de l’avenir ( prédictions ) où les meubles seront détruits ; ce sera le temps après Macbeth. Et, sans doute pour un effet narratif, il fait descendre les prochains décors avant la fermeture du rideau, ce qui crée une légère confusion. Ici, la forêt n’avance pas, elle descend des cintres et le chaudron a disparu car les sorcières sont transformées en femmes déséquilibrées qui ont des visions. On ne cherchera pas une mise en scène à la lettre, mais une atmosphère, celle-ci, tendue, inquiétante et sombre nous plonge pendant trois heures dans un drame duquel on ne peut s’extraire. C’est en cela que le metteur en scène à atteint son but. Avec une direction d’acteurs intelligente, efficace, qui ne laisse rien au hasard, et les lumières créées par Roberto Venturini, tantôt indirectes, latérales ou en contre-jour, sans oublier le rayon de lune blanche, nous nous trouvons plongés dans des tableaux de Rembrandt. Les décors de Jacques Gabel ne font pas dans le médiéval ; une salle de bal désaffectée servira de lieu de rassemblement ou de réception pour le banquet, et un large corridor aux multiples portes accueillera les personnages censés être dans le château de Macbeth. Rien de rare, mais un visuel qui ne dérange en rien la dramaturgie de l’oeuvre. Les costumes de Catherine et Sarah Leterrier peuvent sembler étranges dans le contexte de l’oeuvre, et ils le sont. Plus dans l’époque de Shakespeare ( avec des huguenots ) que dans celle de Macbeth, ils sont malgré tout seyants et bien coupés donnant à ce couple démoniaque une allure altière. Si cette conception peut déconcerter, elle fonctionne et le succès remporté par le metteur en scène prouve que rien n’a été détruit de l’atmosphère dramatique contenue dans la musique.
Du côté des voix, c’est un casting sans faute. Après le forfait du baryton coréen, Seng Hyoun Ko, un Macbeth restait à trouver. Ce sera l’espagnol Juan Jesus Rodriguez et la découverte d’un immense baryton. Penser que c’est une prise de rôle paraît inimaginable, tant il habite Macbeth vocalement et scéniquement. C’est un homme tourmenté, avec quelques sursauts d’ambition. Dans une diction parfaite et une projection qui lui permet des aigus sûrs et généreux, il nous livre un chant coloré au phrasé musical et au médium suave. Il module sa voix selon ses pensées et ses doutes dans des nuances qui n’altèrent jamais la couleur du timbre Aussi bien dans ses duos avec Banquo ou Lady Macbeth, il fait une démonstration vocale dans son air du 4ème acte : ” Pieta, rispetto, amor ” où aucune baisse de tension ne vient altérer la pureté du style, la beauté de la voix ou la souplesse du legato. Quelle puissance aux harmoniques palpables, et quel soutien du souffle ! Avec cette prise de rôle un nouveau Macbeth est né. Pour compléter ce couple diabolique, il fallait une Lady Macbeth vocalement à la hauteur. La soprano hongroise Csilla Boross sera cette épouse maléfique dont l’ambition démesurée ruinera la vie de son mari et la sienne. Invitée pour la première fois à l’Opéra de Marseille, elle fera une forte impression avec une puissance qu’aucun orchestre ne peut couvrir et un tempérament qui semble fait pour ce rôle. Sa voix, dotée d’une large tessiture lui permet des graves sonores et colorés. Si ses aigus demanderaient à être plus contrôlés pour plus de légèreté, c’est avec agilité qu’elle chante vocalises et trilles. Dans le médium, sa voix est pleine et ronde avec de jolis passages de notes, et sa bonne projection lui permet un staccato incisif qui donne du rythme à son chant. Scéniquement bien dans la virulence, et la colère, elle est un peu moins habitée dans la scène du somnambulisme. Malgré un souffle un peu court parfois, Csilla Boross marque ce rôle de son empreinte tout en faisant la conquête du public marseillais. Nous retrouvons avec plaisir Wojtek Smilek que nous avions quitté en 2015 dans le rôle de Jacopo Loredano (I Due Foscari). Il est ici Banquo, un rôle qui lui va bien et où les graves profonds sont très nombreux. Il fait ressortir le côté sombre de sa voix, renforçant le mystérieux de la forêt. Il semble s’être débarrassé d’un vibrato un peu large par un bon soutien du souffle, ce qui lui permet de longues tenues sans baisse de tension et de beaux aigus sonores. Scéniquement à l’aise, sa voix et son jeu s’accordent parfaitement à ceux de Macbeth. Passant de l’aigu aux graves avec aisance, il est un Banquo qui contribue à l’homogénéité de cet excellent plateau. Une diction plus incisive donnerait toutefois plus de percutant à sa voix, tout en faisant ressortir le côté profond.
Stanislas de Barbeyrac, entendu plusieurs fois et apprécié encore au Festival d’Aix-en-Provence dans de rôle de Tamino (La flûte enchantée), revient ici pour chanter Macduff avec une voix plus large et plus étoffée. Il a pris de l’aisance tant scéniquement que vocalement. Sa diction est toujours claire et percutante, et sa voix reste homogène dans chaque tessiture. Si son rôle n’est doté que d’un seul air, il s’en sert pour nous faire apprécier la rondeur de son timbre aux larges résonances, un soutien du souffle impeccable et une voix aux notes pleines où perce l’émotion. Style et phrasé sont la marque de ce jeune ténor français. Xi Wang est le second ténor de cette distribution. Avec un rôle plus que court, il n’en est pas moins applaudi pour la justesse et la clarté de ses aigus. Un plateau homogène s’étend jusqu’aux seconds rôles. La Suivante de lady Macbeth, est ici Vanessa Charlès que nous écoutons pour la première fois. Nous avons été séduits par le beauté du timbre et la finesse de l’interprétation de ses courtes phrases. De jolis piani, et une bonne projection la font remarquer et nous aimerions l’entendre dans un rôle plus conséquent. C’est avec plaisir que nous retrouvons le baryton Jean-Marie Delpas, toujours très juste dans chaque rôles, il est ici Un Médecin / Un Sicaire / Un Serviteur de Macbeth / Une Apparition, rien de moins, et sa voix sonore et bien placée le fait remarquer dans chaque intervention. Il est aussi agréable de noter les voix de Pascale Bonnet-Dupeyron et Mélanie Audefroy, toutes deux faisant partie du cadre du Choeur et qui font résonner leurs voix cristallines pour les deux apparitions d’enfants.
On ne peut parler de cette production de Macbeth sans parler du succès récolté par le Choeur de l’Opéra de Marseille. Partie prenante dans cet ouvrage, c’est l’opéra par excellence où le choeur est mis à l’honneur et sur qui repose une grande partie de la réussite du spectacle. Il nous semble judicieux de citer à ce propos, une phrase écrite par le compositeur dans une lettre : ” Ayez pour règle que les rôles de cet opéra sont au nombre de trois et ne peuvent être que trois: Macbeth, Lady Macbeth et les sorcières “. Cette règle est donc appliquée ici à la lettre. Les sorcières font une prestation magistrale où investissement, talent vocal et efficacité sont au rendez-vous. Quel ensemble, quelle précision et quelle homogénéité dans les voix. Avec des accents incisifs, le choeur de femmes prend le pas sur les voix d’hommes dans cet ouvrage, ce qui est rare. Mais cette magnifique interprétation s’étend aussi à l’ensemble du choeur où les interventions des voix masculines sont au même niveau d’excellence et ce, jusqu’au choeur final pour un ” Vittoria ” impressionnant de puissance, de couleur et de netteté dans les attaques. D’immenses bravos viendront saluer les artistes du choeur et son chef Emmanuel Trenque. Bravos auxquels nous faisons écho.
Pour finir, mais nous aurions tout aussi bien pu commencer par là, nous devons des félicitations sans retenue à l’orchestre et à son chef Pinchas Steinberg. Très habitués maintenant à sa direction exigeante, les musiciens ont fait avec bonheur une prestation sans faute. Une homogénéité dans les sonorités et un investissement total jusque dans la moindre double croche, ont fait de cette représentation un spectacle digne des plus grandes salles. Exigeant, Pinchas Steinberg l’est assurément, mais ce n’est bien évidemment pas sa seule qualité. Musicien jusqu’au bout de sa baguette, il tient orchestre et plateau d’une main de maître. Connaissant l’ouvrage jusque dans ses moindres notes et ses moindres dynamiques, il fait ressortir les nuances voulues par le compositeur donnant ainsi rythme et couleurs à cette histoire faite d’horreur et de cauchemars. Faisant sonner l’orchestre sans dureté mais avec une puissance extraordinaire, le Maestro réussit le tour de force de ne jamais couvrir les voix. Cet ouvrage, fait de nombreux tableaux s’écoute comme si l’on feuilletait un livre de contes. Dans des tempi justes et une tension soutenue, l’orchestre se mêle au chant avec intelligence et musicalité. Chaque pupitre, chaque soliste suit un chef d’orchestre qui donne tous les départs aussi bien aux chanteurs qu’aux musiciens. Et ce souffle, cette musicalité dans les phrases lyriques, cette tension de chaque instant, c’est à Pinchas Steinberg que nous le devons. Autant applaudi que les chanteurs, il est le grand ordonnateur de cet immense succès. Une fin de saison qui nous fait attendre avec fébrilité la saison prochaine. Photo Christian Dresse