Après avoir été Directeur Artistique de l’Opéra de Marseille, de 2008 à 20013, puis Directeur Général dès février 2013, Monsieur Maurice Xiberras a vu tomber dans son escarcelle, depuis deux saisons maintenant, la direction du Théâtre de l’Odéon ( théâtre, opérettes ) ; et c’est avec humour et sincérité, que cet homme aux multiples occupations répond à nos questions dans un moment d’intimité artistique partagé.
Monsieur Xiberras, vous êtes Directeur Général de l’Opéra de Marseille, l’une des plus anciennes maisons d’art lyrique de France, quels sentiments cela vous procure-t-il, une immense joie, un zeste d’orgueil, d’énormes responsabilités ?
(Premier petit sourire de ce directeur qui ne se prend pas la tête et ne boude pas son plaisir ), Je placerais tout d’abord les responsabilités, car c’est ce qui vient en premier chaque matin en ouvrant les yeux, puis les joies ; mais le quotidien, avec son lot de problèmes à régler, ne m’a jamais laissé le temps de m’installer vraiment dans la joie. Entendons nous bien, une joie sereine. Je mentirais en disant que je ne suis pas fier d’être à la tête d’une des plus belles maisons lyriques françaises et même européennes, mais de l’orgueil, non. Je suis venu très jeune écouter des opéras dans cette salle, c’est là que j’ai ressenti mes premiers émois musicaux, mais jamais je n’aurais pu imaginer diriger ce théâtre qui était pour moi un temple, un lieu inaccessible où, aux yeux d’un enfant, évoluaient des dieux. Cela tient du miracle. En composant mes programmations, je me considère comme un passeur de mémoire et cela fait partie de mes responsabilités. Dans le domaine artistique, on a très peu le droit à l’erreur, mais on a d’énormes devoirs envers le public.
Musicien de formation, et plus particulièrement chanteur ( baryton ), vous avez une grande connaissance des voix ; c’est sans doute un avantage pour la composition d’un plateau.
La connaissance de la voix et des voix, plus un carnet d’adresses rempli au fil des rencontres, est certainement un atout majeur, mais il ne faut pas en rester là, on a besoin de découvrir de nouveaux talents, en allant écouter les concours ou en faisant passer des auditions. Vous avez pu vous en rendre compte, le star système n’existe pratiquement plus, tout va très vite, les carrières des chanteurs sont de plus en plus courtes et les engagements se font longtemps à l’avance. Comment sera la voix d’un chanteur qui signe un contrat quatre, voire cinq ans avant une première ? Cela fait partie du stress du directeur, et à Marseille, la réussite d’un spectacle passe par les voix. Si le public marseillais a évolué et prend du plaisir à écouter Mozart aussi bien que Puccini, les grandes voix restent son point fort, ou sa faiblesse, comme vous l’entendez. Mais une star ne suffit pas à faire un succès, il faut trouver l’équilibre et l’homogénéité d’un plateau.
Vous avez souvent dit que vous aimiez accompagner un certain temps la carrière des chanteurs que vous engagez ; le public vous suit-il dans cette démarche ?
Oui, je le pense. Le public est attaché aux artistes, il aime suivre l’évolution d’une carrière. Une voix se modifie au fil du temps, et sans changer complètement de registre, ce qui est rare et pas toujours une réussite, une voix de mezzo-soprano peut aller, par exemple, vers le soprano Falcon. Une prise de rôle est aussi une étape importante, car il y a toujours des risques. Le chanteur a alors besoin de se sentir entouré par une équipe, et j’aime accompagner les artistes dans leur recherche personnelle et l’accomplissement de leur carrière.
Vous aimez, et surtout vous arrivez à créer des liens avec les chanteurs. Mais comment expliquez-vous le fait que d’immenses vedettes lyriques veulent chanter sur cette scène ? Dernier exemple : Le Vaisseau fantôme, vous avez réussi à proposer au public marseillais un plateau qui réunissait les trois principaux chanteurs du Vaisseau fantôme de Bayreuth. Un tour de force ?
Il est vrai que d’immenses chanteurs répondent présent. Si l’amitié y est pour une part, le bouche à oreille fonctionne entre les artistes ; ils aiment venir et surtout revenir dans cette maison qu’il considèrent comme une bonne maison, où personne n’est anonyme. Ils ont souvent l’impression de revenir at home, avec un public attaché aux artistes et qui les suit parfois sur d’autres scènes. Les chanteurs apprécient ce public qui réagit, qui aime et en fait la démonstration sonore. Ce public est fidèle et n’oublie pas, nous en avons eu la preuve récemment avec Leo Nucci qui n’était pas revenu depuis longtemps chanter à Marseille, mais à qui un TRIOMPHE a été réservé. Leo Nucci est un monument pour le public marseillais. mais, pour revenir au Vaisseau fantôme, Ricarda Merbeth, qui avait gardé un souvenir très fort des représentations d’Elektra, a sans doute entraîné dans son sillage Tomislav Muzek et Samuel Youn. Ce dernier me disait d’ailleurs avoir reçu un choc émotionnel lors des Bravi lancés par un public enthousiaste et connaisseur.
Lorsque vous composez votre saison, partez-vous d’un point précis en brodant autour, ou suivez-vous votre impulsion ?
C’est assez compliqué à Marseille. Pour une saison réussie, il faut garder une base de répertoire pour les abonnés, puis il y a quelques opéras incontournables et aussi des ouvrages programmés pour certains chanteurs. J’essaie de créer une alchimie entre belcanto, opéras italiens ou français, plus quelques titres tombés dans l’oubli. Il y a toujours un risque, rien n’est gagné sur le papier, mais nous avons de bons retours, des abonnés supplémentaires et des fans du Festival d’Aix-en-Provence qui viennent aussi. Avec une salle de 1800 places, nous devons être vigilants avec les opéras moins joués, il faut savoir modérer ses impulsions.
En 1971, Reynald Giovaninetti, un lointain prédécesseur, avait voulu amener le public vers la modernité en créant un Festival contemporain, ce fut un fiasco total. Où en est le public marseillais actuellement ?
Si le public est plus curieux qu’à une certaine époque, il est toujours aussi frileux envers les ouvrages, où le chant tel qu’il l’entend, n’est pas toujours présent. Les Diables de Loudun, Miracle à la cour, avaient fait scandale à cette époque, et monter une création demande beaucoup d’argent. C’est plus facile avec le symphonique, car à l’opéra, c’est souvent un investissement sans retour. Si Marius et Fanny, l’opéra de Vladimir Cosma avec en vedettes Roberto Alagna et Angela Gheorghiu a été un succès, aucun théâtre n’a osé le reprendre. Il faut un certain temps pour qu’un ouvrage trouve sa place. La Chartreuse de Parme, d’Henri Sauguet, qui réunissait 1400 spectateurs à chaque représentation n’a pas été repris depuis. Cela ne nous empêchera pas de présenter pour la saison 20017 / 2018, un opéra de Martin Matalon, L’Oeuvre de Venceslao, tiré d’une pièce du dramaturge Argentin Copi, sur un livret et une mise en scène de Jorge Lavelli.
Ce théâtre se voulait populaire, avec une vocation éducative, maintenez-vous cette ligne de conduite ?
Mais oui, plus que jamais. Tout d’abord nous maintenons nos tarifs, avec des places les moins chères de France, ce qui nous permet d’avoir une excellente fréquentation ; ensuite nous sommes très investis dans notre rôle pédagogique, car, au delà de la déontologie, c’est le public de demain que nous essayons de former. Nous accompagnons près de 7000 enfants dans la découverte des métiers techniques ou artistiques. L’orchestre et le choeur vont tous deux jouer et chanter dans les écoles et les enfants viennent à l’opéra pendant des répétitions, ou des générales pour s’immerger avec le public. Ces découvertes donnent lieu à des échanges et bien des gamins sont touchés par ce qu’ils voient. Nous montons au théâtre de l’Odéon des opéras jeune public : Douce et Barbe Bleue chanté avec des enfants, ou le ballet Peter Pan. Nous sommes un service public et c’est une fierté.
Parlons un peu finances, comment arrivez-vous à boucler une saison avec un budget uniquement supporté par la ville de Marseille ?
Effectivement, nous sommes un opéra municipal et, en temps de crise il faut faire attention aux deniers publics. Les coûts augmentent et il faut tout négocier, consentir des efforts et en demander en contrepartie. Ce dont nous sommes fiers à Marseille, c’est d’être resté un pilier du lyrique avec une critique et un public internationaux venus même des Etats-Unis pour Salammbô, ou d’Europe pour Le Vaisseau fantôme et bien d’autres. Cela atteste du niveau de la maison.
Vous arrivez à proposer 8 opéras cette année, un chiffre conséquent dans le contexte actuel. Quelques mots sur la prochaine saison ?
Nous aurons des opéras qui n’ont plus été joués depuis longtemps tel Boris Godounov, dans sa version originale en 7 tableaux, orchestrée par Modeste Moussorgski, des reprises comme Hamlet, d’Ambroise Thomas ; Verdi ne sera pas oublié avec son monumental Don Carlo, et 7 opérettes seront jouées au théâtre de l’Odéon. Cela représente un travail colossal et un énorme investissement pour la ville. Mais une maison lyrique ne pourrait se maintenir au top niveau et attirer de grands chefs sans un orchestre de dimension internationale. Malgré un planning très chargé ( opéras, concerts, service éducatif ), nous avons trouvé la possibilité de faire quelques tournées, en Allemagne, en Chine, avec des concerts au Chorégies d’Orange. Ces musiciens, très investis, prennent autant de plaisir dans le symphonique que dans le lyrique et ils sont, avec le Directeur musical Lawrence Foster, un atout majeur pour la renommée de la maison. Le choeur, dirigé par Emmanuel Trenque, est lui aussi d’un grand niveau, il suffit de l’entendre dans Macbeth que nous allons jouer ces jours prochains. Chaque nouvelle saison comporte une part d’inconnu, avec ses aléas de parcours. Nous avons des artistes internationaux avec le retour de Ricarda Merbeth, de Patrizia Ciofi ou de Juan Diego Florez entre autres, plus des chanteurs français, nous y tenons beaucoup.
Le public marseillais est un public conservateur ; est-ce à cause de cela ou par goût personnel que les mises en scène proposées restent éloignées des tendances farfelues qui essaiment certaines scènes lyriques ?
Je vous répondrai les deux. Il est vrai que le public marseillais est assez conservateur, et s’il accepte certains écarts, l’ensemble doit respecter l’oeuvre. Pour ma part, je revendique la tradition et surtout le respect des artistes. Je suis tout à fait contre la nudité sur scène et contre le fait de ridiculiser les religions. Par contre, je ne suis pas radicalement contre une réflexion du metteur en scène tant que celle ci reste conforme à l’histoire et au texte. A Marseille, nous ne suivons pas automatiquement les tendances, elles se démodent très vite.
Quel est le plus grand stress, mais quelles sont aussi les plus grandes joies d’un directeur ?
La vie d’un directeur de théâtre lyrique est jalonnée de stress ; le plus grand est sans doute l’annonce d’un chanteur malade juste avant un lever de rideau, mais une salle vide est un cauchemar qui revient souvent, d’où la sensation de mettre sa vie en jeu à chaque représentation. Mais les joies sont nombreuses ; voir une salle debout, sentir les artistes et le public heureux, entendre les brava spontanés, quelle émotion ! A Marseille nous avons la chance d’avoir un public extraverti.
Vous êtes un homme passionné, cela se sent. Alors, quel avenir voyez-vous se profiler pour l’opéra en général et pour l’Opéra de Marseille en particulier.
Je pense et j’espère fortement que l’opéra perdurera de nombreuses années encore. Nous avons de nouveaux abonnés et, regardez les discussions entre jeunes internautes sur les réseaux sociaux au sujet de diverses interprétations. Mais, vu le coût des spectacles, peut-être que seules les grandes maisons resteront, les autres devenant des théâtre d’accueil. L’opéra ne doit pas devenir un musée, il faut proposer des créations au public, avec de nouveaux talents. Je pense que l’Opéra de Marseille avec son choeur et son orchestre est un opéra pérenne, soutenu par un public toujours aussi enthousiaste. En fait, je suis un directeur optimiste.