Opéra de Toulon, saison 2015/2016
TOSCA
Opéra en 3 actes, livret de Giuseppe Giacosa d’après Victorien Sardou
Musique de Giacomo Puccini
Floria Tosca CELLIA COSTEA
Mario Cavaradossi STEFANO LA COLLA
Baron Scarpia CARLOS ALMAGUER
Cesare Angelotti FREDERICO BENETTI
Spoletta JOE SHOVELTON
Sciarrone PHILIPPE-NICOLAS MARTIN
le sacristain JEAN-MARC SALZMANN
Le geôlier JEAN DELOBEL
un pâtre CARLA FRATINI
Orchestre, choeur et maîtrise de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Giuliano Carella
Mise en scène Claire Servais
Décors Carlo Centolavigna
Costumes Michel Fresnay
Lumières Olivier Wéry
Toulon, le 3 avril 2016
Tosca, est sans conteste l’un des trois opéras les plus aimés de Giacomo Puccini. C’est pour le compositeur une approche du vérisme qui ne sera pas appréciée d’emblée par le public, et surtout par la critique, lors de la première le 14 janvier 190O au Théâtre Costanzi de Rome, mais qui deviendra un succès définitif dès la reprise à la Scala de Milan, le 17 mars de la même année avec Arturo Toscanini à la baguette. Aussi, en cet après-midi du 3 avril, l’Opéra de Toulon n’avait plus un seul strapontin de libre à offrir, pour cette reprise de Tosca dans la production de l’Opéra Royal de Wallonie ; et certes, personne à l’issue de cette représentation n’a regretté d’être venu. Un public qui a réservé un triomphe très mérité, tant chanteurs, scène et orchestre étaient en adéquation avec l’ouvrage et les sentiments révélés. Certains directeurs de théâtres ont beau dire qu’un petit scandale fait du bien aux spectacles, nous restons profondément convaincus qu’une salle applaudissant à l’unisson, reste la meilleure des récompenses pour une équipe qui a oeuvré pendant plus d’un mois pour donner son meilleur. Claire Servais, dont nous avions pu apprécier le travail dans l’Orphée aux Enferts présenté à l’Opéra de Marseille, en décembre 2O13, nous présente ici une mise en scène forte mais esthétique, où les éléments de l’oeuvre sont conservés sans revisite intellectuelle et interprétation personnelle, très éloignées de la pensée du compositeur. Ici, tout est fait dans un goût artistique qui renvoie aux sentiments d’une simplicité parfois brutale. Cet opéra en trois personnages est un affrontement où les duos les plus forts sont en fait des duels, entre Scarpia et Tosca, comme entre Scarpia et Cavaradossi . Car, ce qui domine ici, est une lutte entre l’art et le pouvoir, l’amour et la méchanceté, la laideur et la beauté. Chacun croit duper l’autre, mais tous seront dupés. L’amour ne triomphe pas de la haine, mais c’est le sentiment de l’amour qui restera en mémoire portant Tosca jusqu’au sacrifice d’elle même après avoir sacrifié son intégrité. Tout cela est bien rendu dans cette mise en scène. L’église Sant’Andrea au premier acte, où Matio Cavaradossi peint une Marie-Madeleine, dévoilée en partie, éclate de tous ses ors et ornementations baroques lorsque le dévot et tout puissant Scarpia vient pour l’office. Le déferlement du pouvoir dans cette procession d’évêques en vêtements liturgiques avec de nombreux enfants de choeur procure un choc visuel et sonore. C’est la manifestation du pouvoir en grande pompe. Basé sur l’esthétique et la compréhension du texte, le bureau de Scarpia au deuxième acte est d’une sobriété austère où le noir domine avec des vitraux en grisaille peints de scène de supplices. Seul, un Christ en croix, d’un blanc d’ivoire semble regarder la scène, impuissant. Le troisième acte est aussi un joli tableau fort dans sa simplicité. L’Archange St Michel peint sur des Tabs semble veiller sur Cavaradossi qui attend son exécution en haut de la tour du Château St Ange. Simple, réaliste le ciel aux couleurs de l’aube enveloppe la scène. Dans ces décors où tout est dit, la direction des acteurs est juste et efficace. Les artistes évoluent avec fluidité d’Angelotti au sacristain, des enfants espiègles à Tosca. Plus mesuré est Scarpia, engoncé dans son personnage et ses mauvais desseins. Nous avons apprécié cette mise en scène sobre de bout en bout, réalisée dans un grand respect du texte, aidée en cela par Olivier Wéry dont la conception des lumières allait contribuer aux atmosphères et à la crédibilité des sentiments exprimés ici. Eclat du doré dans la pompe sacerdotale, noir total avec réflexion de lumière blanche crue dans la douleur du deuxième acte, ou bel effet de bleu profond sur le Christ dans la pénombre environnante pour la prière de Tosca. Tout est évocateur et juste, jusqu’aux lumières extérieures qui éclairent le peloton d’exécution. Les costumes de Michel Fresnay ne font pas dans l’original ni l’excentricité, mais dans la justesse du propos, respectant l’air de puissance de Scarpia ou l’élégance de Tosca dans des robes où la richesse se devine dans le choix des tissus. Les costumes de Mario et des sbires de Scarpia, dans des tons de marron, correspondent à ceux qui devaient être portés à l’époque où l’Italie, alors sous l’autorité de Bonaparte, était encore la République Cisalpine. Costumes marqués par l’époque donc, et dans un souci de véracité. Sur le plan vocal, le plateau bien choisi rassemble des artistes dont les voix et le jeu scénique de haut niveau feront le succès de cette représentation. Cellia Costea que nous avions entendue la saison dernière sur cette même scène dans Simon Boccanegra ( Amelia ) investit dès l’entrée le rôle ; physiquement elle est Tosca, de l’allure, une belle prestance, et si ses attitudes semblent un peu apprêtées, elles sont toutefois en accord avec son rôle de Diva. Sa voix claire et percutante laisse percevoir un chant sensible avec de longs pianissimi. Elle module sa voix et passe de la tendresse à la colère avec facilité. Peut-être manque-t-elle de projection dans le médium, mais la couleur reste homogène dans un vibrato maîtrisé. Elle amorce son ” Vissi d’arte ” allongée sur la table où Scarpia l’a renversée, avec des attaques sensibles et des nuances délicates. Ses gestes naturels en accord avec son chant, la rendent touchante dans un joli phrasé musical. Mais c’est dans le dernier acte que la comédienne se révèle vraiment. Avec de belles prises de notes et des aigus sûrs, elle est une belle Tosca dont la voix s’harmonise avec celle de Mario pour des duos remplis d’émotion. Elle forme avec Stefano La Colla un couple de charme aussi bien physiquement que vocalement. Si le ténor est un beau Cavaradossi, il est aussi un chanteur aux multiples qualités. Il possède une voix claire qui passe sans forcer. Si le timbre paraît un peu trop acide au début, il prend tout de suite de plus belles sonorités pour un ” Recondida armonia ” aux aigus assurés dans une large réserve de souffle. Ses ” Vittoria ” lancés avec vaillance et puissance résonnent avec rondeur, et ” E lucevan le stelle ” est un moment d’émotion où le ténor investi, fait passer ses sentiments au travers de sa voix qui donne le frisson ; la tension est perceptible dans un duo d’amour a capella sous les étoiles. Une prestation en tous points réussie. Comme la saison dernière à Marseille, Carlos Almaguer est un Scarpia plus vrai que nature, et le rôle semble avoir été écrit pour lui. S’il a le physique de l’emploi, il en a aussi la voix. Cette voix solide aux inflexions sombres ou diaboliques que nous avions trouvée un peu trop puissante dans Il Trovatore entendu à Marseille ; mais le baryton mexicain semble avoir trouvé la façon de contenir cette puissance qui paraît illimité. Et c’est tant mieux, car le trio vocal est ici d’une grande homogénéité, laissant passer l’intensité dramatique. Son jeu superbe de vérité donne encore plus de noirceur à sa voix qui prend les intonations justes. Carlos Almaguer marquera très certainement ce rôle de son empreinte, car cynisme et nuances vont ici de pair. Le baryton-basse italien Frederico Benetti est un Angelotti d’une grande justesse. Sa voix bien placée aux sonorités rondes passe facilement dans une belle diction aux attaques nettes. Angelotti est un rôle court mais qui demande à être bien chanté et c’est le cas ici où les nuances sont marquées avec souplesse. Jean-Marc Salzmann est un sacristain au jeu crédible ; sans surjouer, il laisse entendre une voix de baryton bien placée. Joe Shovelton, déjà entendu à Toulon dans Madama Butterfly ( Goro ) Est ici un Spoletta très en place dont la voix de ténor passe tout à fait bien. Philippe-Nicolas Martin est un Sciarrone très à l’aise ainsi que le geôlier de Jean Delobel. Une mention spéciale pour le pâtre de Carla Fratini dont la voix d’une grande justesse passe avec les accents propres à ce caractère juvénile. Dans le Te Deum, le choeur et la maîtrise de l’Opéra de Toulon sont au meilleur de leur forme donnant une grande force à ce moment spectaculaire. Et encore une fois, le Maestro Giuliano Carella aura été celui sans qui le succès ne saurait exister. Dans des tempi qui enlèvent tout temps mort ou toute indécision, il a su trouver le souffle qui portera orchestre et chanteurs tout au long du spectacle avec des sonorités de cordes ( soli de violoncelles ) ou de cors d’une belle profondeur, et avec un solo de clarinette aux accents et au phrasé bouleversants. Avec une baguette plus qu’énergique, le Maestro italien fait respirer la musique, attendre les notes, tout en laissant sonner les phrases musicales. Au plus près de la partition, le chef dicte son rythme et sa propre vision de l’oeuvre sans jamais s’écarter de celle du compositeur. Sans emphase, mais sans concession, Giuliano Carella aura, encore une fois et plus peut-être, été le maître d’oeuvre de ce succès, où énergie, musicalité et sensibilité s’étaient donné rendez-vous à l’Opéra de Toulon. Un grand bravo.