Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2016
Violon Pinchas Zukerman
Piano Angela Cheng
Wolfgang Amadeus Mozart: Sonate pour piano et violon No18 en sol majeur KV 301
Ludwig van Beethoven: Sonate pour piano et violon No3 en mi bémol majeur op. 12
Johannes Brahms: Scherzo de la Sonate FAE , Sonate pour piano et violon No3 en ré mineur op. 108
Aix-en-Provence, le 29 mars 2016
Soirée intime au conservatoire Darius Milhaud, dans un bel auditorium, pour un récital violon, piano de grande classe, avec Pinchas Zukerman, dont la carrière enchante les mélomanes depuis près de cinquante ans. Sa technique prodigieuse et son intégrité musicale ont forcé le respect de générations de musiciens qui ont vibré aux sons magnifiques de son violon ou de son alto. Il se produit ce soir en compagnie de sa complice Angela Cheng, la talentueuse pianiste canadienne avec qui il a formé le Zukerman trio. Au programme : Mozart, Beethoven et Brahms. Loin des effets d’archets ou des acrobaties violonistiques, Pinchas Zukerman garde la pureté de style d’une école qui a amené le violon à son plus haut degré, dans des interprétations qui respectent le compositeur et l’esthétique musicale de chaque oeuvre. Ce qui séduit d’emblée chez ce grand artiste, c’est la sonorité ; ce son inimitable qui vient du doigt qui se pose sur la corde sans nervosité et qui la fait vibrer, et de l’archet évidemment, dont la technique parfaite lui permet d’épouser tous les styles, de Mozart à Brahms, avec la même intelligence et la même facilité.
Pinchas Zukerman est un personnage remarquable, dans la continuité de David Oïstrakh peut-être, il interprète chaque pièce avec un grand calme, ne se laissant jamais distraire de son cheminement musical intérieur ; Angela Cheng, nous fait une démonstration de musicalité mise au service du compositeur et du violoniste avec un toucher délicat mais présent, et des notes perlées qui sonnent avec précision. Enchaînant les phrases musicales qui passent au dessus du violon, elle sait se faire plus discrète lorsque l’accompagnement le demande. La Sonate No18 de Mozart ouvre ce concert par un moment de charme dans une musicalité tranquille ou incisive, où le spirito, voulu par le compositeur apporte le relief. Dans un tempo allant, le second mouvement prend vie sous les doigts agiles de la pianiste et l’archet à l’aise du violoniste, dans un style mesuré et séduisant. La Sonate No3 de Ludwig van Beethoven, composée entre 1797 et 1798, sera dédiée à Antonio Salieri, le Maître du compositeur. Si Beethoven a conservé le style Mozartien dans sa première symphonie, son style personnel est déjà trouvé ici. Dès l’entrée, il fait éclater les instruments dans un dialogue équilibré. Cette sonate donne la parole à un violon incisif avec réponses au piano. Plus tendre est les deuxième mouvement où les instrument dialoguent avec gentillesse dans un échange de sentiments. Les longues phrases du violon, interprétées par un Pinchas Zukerman inspiré répondent aux harmonies du piano. Plus vif est le troisième mouvement où le jeu perlé de la pianiste attire le violoniste dans un Rondo très allegro. C’est une ronde folle jouée par deux artistes chez qui tout paraît facile, tant cette musique semble couler naturellement. Quelle leçon de simplicité et de musique ! Dans une progression chronologique très juste, le Scherzo de la Sonate FAE de Johannes Brahms sera suivi par la Sonate No3 en ré mineur du même compositeur.
La Sonate FAE, est une oeuvre originale, issue de la collaboration de trois compositeurs : Schumann, Albert Hermann Dietrich et Johannes Brahms. Elle est dédiée au violoniste Joseph Joachim dans l’idée d’utiliser le plus possibles les notes F A E ( fa, la, mi ), en écho à la devise Frei aber einsam ( libre mais seul ). Nous en écoutons le Scherzo, composé lui, par Brahms. C’est une entrée en fanfare avec un staccato sonore joué par un archet qui semble continuer le bras du violoniste. Aisance des gestes mille fois répétés mais qui viennent maintenant directement du coeur, profondeur du son qui semble sortir seul du violon, finesse d’interprétation des deux artistes qui donnent ensemble cette force intérieure qui caractérise les compositions de Johannes Brahms. Progression de style donc, dans le choix des compositeurs, mais aussi progression de l’intensité musicale. La Sonate No3 de Johannes Brahms, créée le 22 décembre 1888, et dédiée au chef d’orchestre Hans von Büllow allait terminer ce programme avec beaucoup de brio. C’est un échange entre les deux instruments, dans une reprise de thème où chacun prend le rôle d’accompagnateur dans diverses modulations. Si tout paraît couler de source, on imagine le travail effectué en amont. La pureté de style du violoniste, incluant quelques légers glissendi opportuns, vient étayer le propos avec une puissance de son en osmose avec les sonorités trouvées par la pianiste ; et cette profondeur de son, nous la retrouvons dans l’Adagio du deuxième mouvement où la quatrième corde vibre pleinement dans un vibrato tout à fait maîtrisé. Cette sonate, remarquablement écrite pour faire entendre chacun des deux instruments, fait la part belle au piano dans un troisième mouvement où il joue la mélodie, le violon faisant une démonstration de technique d’archet, avec des contretemps jetato au talon ou avec des notes prises à la pointe et jouée sur la longueur de l’archet. Quelle maîtrise, et quelle facilité ! Les changements de tempi se font sans qu’un seul cheveu ne bouge, dans un jeu qui n’est pourtant pas superficiel ; tout vient de la technique et de la profondeur expressive. Si Pinchas Zukerman est un maître incontesté du violon, il a trouvé en Angela Cheng son alter ego au piano. Pour remercier une salle enthousiaste où les musiciens étaient venus nombreux d’Aix, de Marseille et de bien plus loin, le duo de charme allait interpréter l’op. 22 d’Edward Elgar, 6 pièces faciles en première position, – mais, est-ce si facile, lorsqu’on pense que le son et la musicalité contenus dans une seule note demande parfois une certaine dose de génie ? – puis, ce sera Sicilienne de Maria Teresia von Paradis, dans une nostalgie charmante aux sons feutrés mais O combien intenses. Jouant avec les doigtés, Pinchas Zukerman, crée les atmosphères en duo avec Angela Cheng. Ce concert restera inoubliable, par la qualité des deux artistes, mais aussi par le souvenir qui s’imposera longtemps à nous, comme le souvenir d’un paradis perdu, car nous sommes bien conscients que cette école du violon et cette vision de la musique de chambre ( ici en duo ), appartient à une époque révolue où l’intériorité n’a plus le temps de s’exprimer. Un immense merci aux solistes bien sûr, mais aussi aux directeurs de ce festival qui ont permis que la musique – et à quel niveau – soit présente dans chaque minute de cette période de fêtes pascales.