Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2016
Orchestre du Mariinsky
Direction musicale Valery Gergiev
Violon Renaud Capuçon
Violoncelle Gautier Capuçon
Claude Debussy: “Prélude à l’après-midi d’un faune”
Henri Dutilleux: “Tout un monde lointain”, “L’arbre des songes”
Richard Wagner: “Lohengrin”, prélude de l’acte 1
Johannes Brahms: Concerto pour violon et violoncelle en la mineur op. 102
Aix-en-Provence, 28 mars 2016
Décidément, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence fait très fort. Non content d’inviter d’immenses artistes, il déplace de grands orchestres avec leur chef. Ce soir, c’était au tour de L’Orchestre du Mariinsky de venir jusqu’à Aix-en-Provence, avec à sa tête son charismatique chef Valery Gergiev. Mais, pour rendre cette soirée encore plus attrayante, Renaud et Gautier Capuçon, allaient interpréter pas moins de 3 concertos dont le double de Brahms, pour violon et violoncelle. Un programme des plus éclectiques où Claude Debussy, Henri Dutilleux, Richard Wagner et Johannes Brahms, allaient se côtoyer dans un ordre très peu chronologique. Mais, malgré le plaisir d’écouter l’Orchestre du Mariinsky et de revoir à sa tête Valery Gergiev, une question se pose à nous : pourquoi inviter de tels musiciens dans un programme où il est quasiment impossible de s’exprimer librement et de donner la mesure de son talent ? Valery Gergiev a-t-il une prédilection pour les oeuvres françaises ? Déjà en juillet 2011, il dirigeait le LSO dans La mer, de Claude Debussy, et plus récemment, invité pour le Festival de Paques 2013, à la tête de l’Orchestre Mariinsky, il nous faisait entendre l’Ascension d’Olivier Messiaen et Métaboles d’Henri Dutilleux. Ces deux concerts nous donnaient toutefois le plaisir d’écouter en deuxième partie deux symphonies de Chostakovitch, compositeur qui fait vibrer les âmes slaves …et les autres. Mais, pour revenir au propos de ce soir, le Faune s’était invité au GTP. Alangui, il s’éveille dans les bras du chef d’orchestre, plus que sous sa baguette, celle-ci étant d’un minimalisme exagéré. Avec beaucoup de musicalité et une grande compréhension de la musique, malgré un tempo assez lent, Valery Gergiev laisse sonner l’orchestre, lui insufflant sa propre vision de l’oeuvre par des gestes souples et appropriés, sans ostentation. Chaque instrument trouve son rythme et ses respirations, faisant vivre ce faune aux accents de la flûte dont les sonorités se prêtent à cet après-midi langoureux. Avec Tout un monde lointain, d’Henri Dutilleux, le caractère change du tout au tout. Cette pièce créée par Mtislav Rostropovitch au Festival d’Aix-en-Provence en 1970 sous la baguette de Serge Baudo, est ici interprété par Gautier Capuçon avec la fougue qu’on lui connaît. On retrouve toutes les qualités du violoncelliste ; un son plein aux vibrations chaudes, un archet dans la corde dont la maîtrise lui permet toutes les fantaisies, détaché au talon, reprises dans le son infini, pianissimi sur un crin ou staccato volant. Cette oeuvre, éminemment moderne mais sans dissonances excessives, permet d’apprécier l’orchestre qui, sous l’impulsion de Valery Gergiev exprime les élans du compositeur tout en laissant ressortir le son spécial du viloncelliste dans un vibrato chaleureux. Un bonheur ne venant jamais seul Renaud, Capuçon toujours, enchaînait avec L’arbre des songes, composé cette fois pour Isaac Stern, qui le créera le 5 novembre 1985, au Théâtre des Champs Elysées avec Lorin Maazel à la baguette. Il est émouvant de penser que Renaud Capuçon joue sur le Guarnerius del Gesù ” Panette ” (1737 ) ayant appartenu à Isaac Stern justement, et qu’il fera sonner merveilleusement bien. Contrairement à l’oeuvre précédente basée sur le son, L’arbre des songes, fait plutôt appel à la virtuosité. Avec cette sûreté de main gauche et l’expressivité du vibrato, il se joue des difficultés avec une vélocité époustouflante, répondant aux sons exotiques des percussions. Valery Gergiev dirige avec fermeté cette pièce nerveuse et inquiétante, tenant l’orchestre et le soliste dans des rythmes précis et structurés, ne négligeant jamais les sonorités dans des attaques nettes sans dureté. C’est une sorte d’éblouissement musical où le violon engagé du soliste brille dans une justesse parfaite. Deux pièces écrites dans des optiques différentes qui mettent en valeur les qualités extraordinaires des deux solistes. Changement d’atmosphère avec Richard Wagner et Le préludes de l’acte I de Lohengrin. On dit que Louis II de Bavière fut si touché par cet opéra, qu’il fit construire ce château féérique qu’il nommera Neuschawnstein ( Le nouveau rocher du cygne ). Venant après la déferlante de notes composées par Henri Dutilleux, ce prélude ne nous semble assez apaisé. Dans un tempo un peu trop décidé et avec des attaques trop présentes, l’atmosphère éthérée n’est pas palpable. Valery Gergiev, avec une direction large qui demanderait plus de précision, semble diriger au plus près de la partition dans une lecture un peu linéaire et pas assez aérée. C’est une interprétation sans véritable relief qui déçoit plus qu’elle ne transporte. Le concerto pour violon et violoncelle de Johannes Brahms était choisi pour terminer ce programme pour le moins étonnant. Evidemment, nous retrouvons avec un immense plaisir nos deux solistes, réunis cette fois. Ecoutés à Marseille dans cette même oeuvre il y a quelques années déjà, ils ont gagné en maturité, plénitude de son et esthétique musicale. Cette oeuvre, où les deux instruments se répondent dans un même discours, semble écrite pour eux tant les sonorités résonnent Brahms. On sent le travail derrière cette interprétation, mais aussi, et c’est le plus important, les mêmes respirations et les mêmes vibrations. Avec un Gautier Capuçon très à l’aise dans une courte exposition, la reprise par le violon de Renaud nous parvient pour un langage commun. C’est une interprétation en osmose de cette oeuvre écrite magnifiquement afin de faire ressortir le jeu des solistes. Les sons profonds des deux instruments s’imbriquent, se rejoignent, s’éloignent et se retrouvent dans une entente parfaite et un même souffle. La richesse des sonorités fait la richesse de l’oeuvre. Chacun des trois mouvements, avec sa couleur propre, est joué dans une communion de style et d’énergie toujours renouvelée.
Il est dommage d’avoir eu ici un orchestre qui, avec de nombreuses indécisions dans les attaques et peu de cohérence dans l’accompagnement, n’a pas véritablement soutenu les solistes. Mais peu importe, le talent, la musicalité et l’interprétation magistrale de Renaud et Gautier Capuçon ont fait le succès de cette soirée. La Passacaille de Haendel, en bis, faisait retentir une dernière fois les cordes de ces instruments magnifiques dans un dialogue musclé ou plus sensible, rapide, expressif ou plus intérieur pour finir sur des accords aux sonorités d’orgue. Une très jolie transcription. Encore une soirée de belle musique et de succès appréciée par une salle comble et comblée. Photo Caroline Doutre