Le Grand Théâtre, Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2016
Orchestre NDR Sinfonieorchester Hamburg
Direction musicale Krzysztof Urbanski
Baryton Thomas Hampson
Richard Strauss: Till l’Espiègle (Till Eulenspiegel), op. 28
Gustav Mahler: Lieder extraits de Le Cor enchanté de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn)
Dmitri Chostakovitch: Symphonie n°10 en mi mineur, op. 93
Aix-en-Provence, le 26 mars 2016
Le Festival de Pâques est un feu d’artifice de musique, de notes et d’échanges, dans une profusion d’artistes, d’orchestres et de chefs toujours renouvelée.Le concert de ce soir allait nous faire passer de Richard Strauss ( Till Eulenspiegel ) à Gustav Mahler (Des Knaben Wunderhorn), et Dmitri Chostakovitch (Symphonie No10) pour finir. Autant dire que les styles allaient changer, d’autant que Thomas Hampson allait venir animer ce programme orchestral de sa voix chaude de baryton. Richard Strauss, compose son poème symphonique Till l’espiègle dans les années 1894-1895 ; il sera interprété pour la première fois par l’Orchestre de Cologne, dans cette ville même, sous la direction de Franz Wüllner, et ne quittera plus les programmations de concerts. Le compositeur se sert ici des sonorités du cor et de la clarinette pour représenter ce jeune héros et illustrer ses facéties. Pour coordonner ce programme, Krzysztof Urbanski, annoncé comme un jeune prodige de la baguette, allait être à la tête du NDR Sinfonieorchester Hamburg, dont il est le chef invité principal. Le tempo très calme du début nous fait présager que ce Till ne sera peut-être pas si espiègle que ce que nous l’imaginions. Cette interprétation où les oppositions de caractères ne semblent pas assez franches, nous parait un peu scolaire. Malgré la sonorité pure et sensible du violon solo, et les interventions justes du cor et des instruments solistes, nous ne nous sentons pas vraiment emportés par les espiègleries de Till. Manque de mordant, envolées peu abouties, le chef, malgré des gestes amples et précis, nous semble rester un peu extérieur à cette histoire. Nous pouvons toutefois noter le bel investissement des cordes et les sonorités larges et homogènes des cuivres tout en regrettant le manque de verve orchestrale et le peu de relief de cette interprétation. Thomas Hampson, peut-être le baryton le plus charismatique de ces dernières décennies, allait chanter quelques extraits : Des Knaben Wunterhorn ( Le Cor enchanté de l’enfant ). Avec une carrière internationale riche et atypique, le baryton américain allait faire se soulever la salle d’enthousiasme. Depuis son dernier passage au Festival d’Aix-en-Provence dans les années 1980, où il interprétait Le comte Almaviva dans Les noces de Figaro, nous n’avions plus entendu Thomas Hampson dans la région, c’est dire combien sa venue au Festival de Pâques était attendue. Ces 5 lieder, extraits du Cor enchanté de l’enfant, allaient charmer l’auditoire. Grand, élégant, expressif, il chante avec beaucoup de sensibilité ou d’humour, apportant relief et caractère à ces pages qu’il connaît si bien. Avec de belles notes, de longues tenues sur le souffle, il sert le texte avec une excellente diction et des aigus bien projetés. Nous regrettons simplement que l’orchestre trop présent, ne jouant pas le jeu des nuances du soliste, couvre un peu la voix dans le médium. Nous aurions tellement aimé écouter Thomas Hampson dans le ravissant théâtre du Jeu de paume par exemple, accompagné simplement par un piano, afin d’apprécier pleinement la finesse de la musique dans l’interprétation de ce baryton à la musicalité parfaite. Gustav Mahler aimait beaucoup ces lieder dont certaines structures seront introduites dans diverses symphonies, et pour prolonger la magie, Thomas Hampson nous propose en bis les deux lieder : Wer hat dies liedel erdacht, et Lob des hohen verstandes. Humoresque, ballade, l’on écoute et l’on essaie d’oublier les effets de mains ou de jambes du chef d’orchestre, pour se concentrer sur le chant et les vocalises du baryton qui interprète avec beaucoup de charme ces chansons germaniques. Si nous avons été séduits par la beauté de ces lieder, nous regrettons la finesse de la direction d’Ivan Fischer qui nous avait subjugués il y a quelques jours dans la symphonie No3 du même compositeur. Mais le charisme et le talent de Thomas Hampson opèrent, et la salle restée sous le charme, lui réserve un triomphe.
C’est dans Chostakovitch que Krzysztof Urbanski donne toute la mesure de son ” talent “. Si nous avions trouvé son interprétation de Till l’espiègle assez neutre, ce ne sera pas le cas pour cette oeuvre majeure où le NDR va pouvoir s’exprimer librement. Cette symphonie, la plus connue du compositeur avec la 5ème, sera créée le 17 décembre 1953 par l’Orchestre Philharmonique de Leningrad, juste après la mort de Staline, qui sera d’ailleurs présent dans cette symphonie, notamment dans l’Allegro particulièrement oppressant. C’est une symphonie assez sombre, jusqu’au final nettement plus optimiste. Staline n’est plus là, il est mort ! Avec quelques symboles, tel l’acronyme musical du compositeur DSCH, qui revient en leitmotiv, l’atmosphère reste lourde. Cet excellent orchestre trouve ici, le son qu’il n’avait pas réussi à créer dans la première partie. Chaque pupitre, chaque soliste investi, donne un maximum d’intensité au jeu, à l’interprétation, engendrant les ambiances diverses. Cette symphonie hautement autobiographique, dont l’écriture seule réussit à former les images, est servie par un orchestre talentueux aux sonorités pleines et de couleur juste. Mais que dire du chef d’orchestre qui, entre danseur et toréador, fait son show sans vraiment s’impliquer dans la profondeur de l’oeuvre et l’ambiguïté des climats ? Et pourtant, cette symphonie n’a certainement pas été écrite pour flatter l’ego d’un chef d’orchestre. C’est l’histoire d’un homme, d’un pays oppressé, avec des cris de douleur, de révolte et des moments de liesse, le reflet de l’âme slave ! Heureusement il y a l’orchestre et ses musiciens remarquables et remarqués, tel le timbalier, pour créer le succès, semblant même parfois suivre sa route seul, le chef d’orchestre étant pris dans sa chorégraphie. Le public, qui réserve des applaudissements à n’en plus finir, est néanmoins conquis et c’est tant mieux, car le travail et l’investissement sont immenses. Photo © Caroline Doutre