A l’Opéra, Marseille, saison 2015 / 2016
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Tito Munoz
Alto Magali Demesse
Richard Wagner: “Lohengrin”, Préludes des 1er et 3e actes
William Walton: Concerto pour alto et orchestre
Piotr Ilytch Tchaïkovski: Symphonie No 4 en fa mineur
Marseille, le 16 janvier 2016
Pour le premier concert de l’année dans la salle de l’Opéra de Marseille, l’Orchestre Philharmonique nous proposait un programme éclectique mais très attractif : les Préludes des 1er et 3e actes de Lohengrin de Richard Wagner, le Concerto pour alto et orchestre de William Walton, ainsi que la Symphonie No 4 en fa mineur de Piotr Ilytch Tchaïkovski, avec en soliste Magali Demesse et Tito Munoz à la baguette. Si Magali Demesse est une soliste reconnue et appréciée par le public marseillais, Tito Munoz, lui, prenait place pour la première fois, sur le podium à la tête de l’Orchestre Philharmonique. Promu à un brillant avenir, ce jeune trentenaire New-Yorkais qui a commencé ses études musicales par l’apprentissage du violon, s’est très vite découvert une passion pour la direction musicale ; passion qu’il mettra en pratique dès ses 22 ans en étant nommé chef assistant de l’Orchestre Symphonique de Cincinnati. Appelé pour être Directeur musical de l’Orchestre National de Lorraine, il quittera son poste au bout de deux ans, préférant continuer sa carrière aux Etats-Unis. Commencer un concert par le Prélude de l’acte I de Lohengrin, c’est transporter l’auditeur dans une autre dimension, et cela dès la première attaque pianissimo. Avec une intensité de son, contenue et soutenue, les violons font un tapis moelleux à la mélodie reprise par l’harmonie, montant en crescendo jusqu’à l’éclat des cuivres et des cymbales. Le tempo étiré, sans trop de lenteur, permet d’exprimer les divers sentiments et atmosphères dans une belle cohérence musicale. C’est avec une grande délicatesse que l’orchestre déroule le fil conducteur de ce prélude orchestral alternant chants et contre chants dans une harmonie où chaque instrument a sa place. La spiritualité sous-jacente dans chaque oeuvre de Wagner prend ici toute sa dimension pour finir dans un souffle, joué pianissimo au violon. La marche des fiançailles de l’acte III nous offre une tout autre atmosphère ; beaucoup plus éclatante, elle est jouée dans un tempo modéré enlevant le côté un peu trop martial de certaines interprétations. On remarque la fougue des archets dans un détaché investi, le joli phrasé des violoncelles dans les lignes musicales, et l’éclat des cuivres et des cymbales qui ont trouvé une rondeur de son jusque dans le fortissimo. Tito Munoz a su réunir ici l’orchestre dans une cohésion musicale esthétique, rendant avec justesse les intentions de Richard Wagner.
Eminemment britannique ( il sera même anobli en 1951 ) , le compositeur William Walton restera assez méconnu en France. Né dans le Lancashire en 1902, il passera les dernières années de sa vie dans l’île d’Ischia où il mourra en 1983. Son écriture moderne lui vaudra une renommée internationale. Restant un peu en marge des circuits traditionnels, ce compositeur qui a commencé l’écriture musicale en autodidacte, n’abandonnera toutefois jamais une certaine forme classique. Magali Demesse, alto solo depuis 1994 au sein de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, nous avait procuré, il y a peu, le plaisir de découvrir le concerto pour alto de Henri Tomasi qui n’avait plus été joué depuis sa création en 1961. Elle allait défendre avec talent, ce soir, une oeuvre majeure de William Walton, bien connue des altistes. Initialement composé pour Lionel Tertis, ce concerto sera finalement créé le 3 octobre 1929 aux Concerts Promenades de Londres par Paul Hindemith. Cette pièce est un mélange de modernité et de romantisme ; conçue en trois mouvements : Andante, Vivo, Allegro moderato, elle a la particularité de débuter par un mouvement lent, suivi par deux autres rapides. On remarque immédiatement la maîtrise de la soliste qui s’impose dès les premiers sons piano paraissant être joués avec un crin de l’archet. Nous sommes tout de suite subjugués par cette oeuvre, qui met en valeur toutes les possibilités de l’instrument qui garde un rapport fusionnel avec l’orchestre dans les dialogues et les nuances, sur une orchestration très moderne. Le son velouté de l’alto, jamais couvert par l’orchestre, peut donner ici toute sa dimension. L’aisance de la soliste nous impressionne en premier lieu ; la puissance émotionnelle est perceptible dans le moindre de ses pianissimo, et si chaque intention tient certainement de l’étude approfondie de la partition, elle paraît ici couler de source, comme improvisée au fil des phrases musicales. Ce mouvement lent, qui fait ressortir les sons profonds et nostalgiques de l’alto, est empreint d’émotion jusque dans les rythmes joués avec netteté et souplesse dans un détaché très maîtrisé. Le Vivo met en évidence la virtuosité de la soliste. Avec un grand déploiement d’archet et une dextérité de main gauche ébouriffante, Magali Demesse nous fait entendre des sons percutants et clairs, aussi bien dans le détaché éblouissant que dans les accords tranchés qui gardent une sonorité ronde en harmonie avec l’orchestre. Cette étonnante composition sait aussi faire ressortir quelques moments d’humour, telle cette exposition jouée au basson qui introduit l’Allegro moderato avec une réponse immédiate de l’alto dont le phrasé et le legato sont d’une musicalité évidente. Une longue partie pour orchestre seul nous laisse entrevoir les différentes facettes du compositeur qui donne libre cours à des accords jazzy ou à une ambiance hollywoodienne, dont l’ensemble rythmique et sonore fait ressortir le travail effectué en amont par le chef d’orchestre. Ce concerto dont la composition nous a enchantés, nous laissera le souvenir d’une interprétation magistrale, où technique et musicalité étaient présentes dans le moindre coup d’archet ou la plus simple respiration, mais aussi dans la virtuosité toujours empreinte de charme et d’élégance. Mille bravos pour cette leçon de musicalité. La deuxième partie de ce programme était consacrée à la Symphonie No 4 de Piotr Ilytch Tchaïkovski. Cette symphonie en quatre mouvements, dédicacée à Madame von Meck sa mécène, dont les trois premiers mouvements furent écrits à Venise, sera créée à Moscou le 10 février 1878 avec Nikolaï Rubinstein à la baguette ; elle restera la symphonie la plus jouée à la fin du XIXe siècle.
Figure dominante du romantisme russe du XIXe, Tchaïkovski ajoute ici une dimension nouvelle à sa symphonie, celle du destin, dont le thème récurent est joué par les cuivres. Comme toutes les oeuvres de ce compositeur, celle-ci est empreinte de générosité et de sincérité ; générosité des sons, des explosions, et sincérité des sentiments, souvent contradictoires. Les sonorités larges des cors et l’éclat des trompettes nous font réaliser, d’entrée, que nul ne pourra échapper à ce destin qui se rappelle à nous par les rythmes et les sons. C’est avec une gestuelle large et claire, mais toutefois assez répétitive, sans rapport parfois avec l’atmosphère et les nuances demandées, que Tito Munoz entraîne son orchestre. S’il arrive à trouver une unité sonore entre quatuor et harmonie et une belle homogénéité des cordes, c’est dans les enchaînements du discours et des phrases musicales que la cohésion fait défaut. Des montées en crescendo trop éclatantes et des rythmes trop marqués enlèvent un peu de poids à ce destin omniprésent. Les couleurs, les sonorités, sont présentes, avec des attaques d’un bel ensemble, et des interventions de solistes toujours justes et en place musicalement ; alors, que manque-t-il ? Le Scherzo, joué pizzicato au quatuor apporte un peu de légèreté et de mystère avant un moment de musique aux accents folkloriques. Mais le destin se rappelle à nous dans l’éclat du dernier mouvement interprété dans un tempo vif et puissant. Les notes jouées au quatuor s’écoulent avec souplesse pour revenir à des moments plus nostalgiques aux accents slaves. Ces changements d’atmosphères où les passages piano sont interrompus par des interventions violentes des cuivres, sont le reflet de l’âme tourmentée de Tchaïkovski. Si l’on comprend les intentions du chef d’orchestre qui a réussi à trouver de belles couleurs, c’est sans doute la cohésion musicale qui fait le plus défaut ici. On écoute cette symphonie comme on feuillette un livre d’images, souvent fortes et justes, sans réussir à trouver le fil conducteur. Dans cette deuxième partie du concert, Tito Munoz fait sonner son orchestre tout en restant un peu extérieur, certainement plus à l’aise dans les rythmes de Walton que dans le romantisme de Tchaïkovski. Une soirée qui laissera en mémoire de beaux moments musicaux, surtout en première partie.