Marseille, salle du Silo, saison 2015 / 2016
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Adrian Prabava
Violon Nemanja Radulovic
Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto pour violon No3 en sol majeur
Anton Bruckner: Symphonie No3 en ré mineur
Marseille, le 28 novembre 2015
C’est dans la salle du Silo que l’Orchestre Philharmonique de Marseille nous proposait un concert en cette soirée du 28 novembre ; une salle peu propice aux ambiances propres à la musique classique et qui demande un grand effort aux musiciens ainsi qu’aux auditeurs pour sortir du béton qui enrobe toutes choses jusqu’à la sonorité. Mais ce soir, un artiste hors du commun allait nous prendre dans les crins de son archet pour nous entraîner loin de ces murs bétonnés. En effet, le violoniste Nemanja Radulovic va transporter son public qui, sans se poser de questions, va le suivre jusqu’au bout de ses envolées. Phénomène, Nemanja Radulovic l’est sûrement mais, au delà de cette image cultivée et véhiculée par son physique et ses tenues déjantées, ce violoniste hors normes est aussi un artiste d’exception. Si sa crinière et sa fougue le rendent inoubliable, c’est par son talent qu’il s’attache un public toujours plus enthousiaste et toujours plus nombreux. Chacun de ses concerts , que ce soit en soliste avec orchestre ou avec son ensemble ” Les trilles du diable ” qu’il dirige du violon, entraîne aussi bien les amoureux de cet instrument, que les jeunes violonistes qui trouvent dans sa fougue une énergie nouvelle. Dire que Nemanja Radulovis est époustouflant, c’est traduire bien mal ce qu’est ce musicien qui possède son violon autant qu’il est possédé par lui. Ayant en mémoire Les quatre saisons de Vivaldi qui, sous son archet prennent des allures de saisons extrêmes, où le vent souffle plus fort et le froid se fait plus glacial, on pouvait se demander ce qu’allait bien devenir Mozart entre ses doigts. Eh bien ! nous ne serons pas déçus. En hautes bottes, noires, comme le sont sa longue tunique et son pantalon serré, il arrive d’un pas décidé et prend possession de la scène. En quelques accords il a conquis une salle médusée ; et d’un coup d’archet, il nous renvoie à l’image espiègle et impertinente du Mozart que Milos Forman avait évoquée dans son film Amadeus. Le premier accord, joué de la pointe vers le talon, tout à fait à l’envers de ce qu’il se fait habituellement, nous indique qu’ici, on ne sera pas dans le classicisme habituel. Mais finalement peu importe, et si ce concerto est loin des interprétations éthérées que l’on a encore en mémoire, la version Radulovic ne laissera personne insensible et n’égratignera que très peu un Mozart idéalisé. Sa grande maîtrise de l’archet lui permet toutes les fantaisies car, dès qu’il le pose sur les cordes, que ce soit pour un forte ou un pianissimo, le son nous arrive clair, pur, assuré, emporté par un vibrato intense mais mesuré. Nemanja Radulovic a trouvé l’instrument qui lui convient et avec lui, il peut tout se permettre. Les fioritures dont il essaime la partition sont jouées avec charme, et son style particulier fait sourire de plaisir sans déranger. Si la cadence paraît plus sereine, elle ne peut éviter quelques contrastes joués avec beaucoup de musicalité ; cette musicalité que l’on retrouve dans le mouvement lent interprété sans traîner. Ici, le phrasé est plus classique n’excluant jamais quelques clins d’oeil fantaisistes. Avec un archet dans la corde qui ne laisse rien perdre du son, il est aussi impertinent que sérieux et l’on retient son souffle alors qu’il retient on archet. Dans l’allegro final sous, forme de rondeau, le violoniste laisse exprimer sa fantaisie sans jamais déborder. Grâce à sa belle technique, il joue avec une facilité et une fluidité remarquables dans ce tempo allant. Avec intelligence, Nemanja Radulovic se sert des accents contenus dans la partition pour canaliser sa fougue et structurer certains passages joués avec rigueur, mais toujours avec une touche personnelle. Sa justesse d’expression et la portée musicale de ses intentions font de cette interprétation un enchantement, et nous pensons sincèrement que Mozart lui-même aurait adoré cette version. Avec cette joie de vivre la musique et cette gentillesse qui caractérisent cet artiste généreux, Nemanja Radulovic nous offre en Bis un 24ème caprice de Paganini revisité, mais tellement brillantissime qu’il nous semble que Paganini est lui-même venu l’inspirer. Une main gauche époustouflante courant sur la touche du violon du grave aux aigus tout en faisant résonner les pizzicati nous laisse admiratifs. Avec des airs faussement tziganes sans aucun mauvais goût, quelques impertinences pleines d’humour, une sûreté de doigts et une possession d’archet extraordinaire, ce violoniste habité nous donne l’impression de jouer du violon en s’amusant ; il nous ferait presque oublier les heures de travail acharné qui se cachent derrière cette facilité. Un déluge d’applaudissements sans fin le saluent. La symphonie No3 d’Anton Bruckner était donnée en deuxième partie de ce concert. Peu de rapport sinon pas du tout avec Mozart ; mais le chef d’orchestre Adrian Prabava qui connaît bien l’orchestre pour l’avoir déjà dirigé à deux reprises en concert va réussir à lui insuffler une autre dimension après les envolées d’un concerto de Mozart qu’il a su accompagner avec justesse, canalisant la fougue du violoniste sans jamais le brimer tout en gardant le rythme avec autorité. Un chef d’une grande sobriété aux gestes élégants, mais surtout d’une rare efficacité. Cette symphonie dite ” Wagner-sinfonie ” et dédiée à ce compositeur est écrite en 1873 ; elle sera revue plusieurs fois. Influencée par la dramaturgie chère à Richard Wagner, citations et références au compositeur étaient nombreuses dans sa première version. Cette symphonie sera créée à Vienne le 16 décembre 1877 sous la baguette d’Anton Bruckner lui-même. Est-ce le fait de ces remaniements successifs, des coupures opérées et des citations effacées ? toujours est-il que cette composition ne nous transporte pas très loin et nous laisse un peu dubitatifs. L’écriture de cette symphonie ne manque pourtant pas d’intérêt avec des passages qui font ressortir les sonorités des divers instruments ; de larges accords qui sonnent comme une exposition, avec des interventions de cors sonores ou des cordes aux sonorités moelleuses nous emportent parfois. Mais les accords étranges interrompus, les oppositions de nuances ou les changements d’atmosphères font que le tout manque souvent de cohérence et l’on se prend à chercher une continuité musicale, tout en reconnaissant avec plaisir la signature de Bruckner dans certains Passages. Le chef d’orchestre amène le son avec des gestes larges suivis d’effet immédiat, ou fait ressortir avec subtilité chant et contre-chant joués aux cordes et à la petite harmonie. Dans le deuxième mouvement nous recherchons en vain un thème, une ligne musicale malgré les longues phrases aux cordes jouées avec sérénité, le phrasé de l’alto au sonorités chaudes ou le son piano du cor. Le chef dirige avec souplesse et se fait presque oublier tant il est juste dans ses respirations avec la musique et dans le dosage des sonorités. Le scherzo, sorte de mouvement perpétuel sera plus coloré, avec ses danses mi folkloriques mi funèbres dont les attaques sonores font opposition aux passages chantés, dirigés avec souplesse et délicatesse. On retrouve enfin le compositeur dans ce mouvement avec une certaine unité de pensée. L’élégance du chef d’orchestre en accord avec la musique s’impose dans le finale de la symphonie joué Allegro ; de jolis ralentis, des effets de cordes ou des changements de tempi assurés chassent les inquiétudes liées à la mort pour un retour à la vie avec un Allargando musical annonçant une fin magistrale. Si cette symphonie n’atteint pas les sommets des compositions suivantes d’Anton Bruckner, elle nous donne toutefois à entendre de très beaux passages et nous fait surtout apprécier la musicalité et la souplesse d’un orchestre en grande forme, dirigé par un chef qui a su faire ressortir le meilleur de cette symphonie grâce à une belle intelligence musicale. Une soirée de haut niveau encore, très applaudie par un public enthousiaste.