Salzburg, Festspielhaus 2015
“DER ROSENKAVALIER”
Opéra en trois actes, livret de Hugo von Hofmannsthal
Musique de Richard Strauss
La Maréchale KRASSIMIRA STOYANOVA
le Baron Ochs GÜNTHER GROISSBÖCK
Octavian SOPHIE KOCH
Von Faninal ADRIAN ERÖD
Sophie GOLDA SCHULTZ
Marianne, dame de compagnie SILVANA DUSSMANN
Valsacchi RUDOLF SCHASCHING
Annina WIEBKE LEHMKUHL
Un chanteur ANDEKA GORROTXATEGI
Un commissaire de police TOBIAS KEHRER
Le majordome de la Maréchale FRANZ SUPPER
Le majordome de Faninal MARTIN PISKORSKI
Un notaire DIRK ALESCHUS
Un aubergiste ROMAN SADNIK
les trois orphelines FREDERICA LOMBARDI, CATRIONA MORISON, DARA SAVINOVA
Une modiste CLAIRE DE SEVIGNE
Un dresseur d’animaux GORAN CAH
Leopold RUPERT GRÖSSINGER
Quatre laquais FRANZ GRUBER, FRIEDRICH SPRINGER, JENS MUSGER, WON CHEOL SONG
Les serveurs SIEGMAR AIGNER, KIRIL CHOBANOV, MANUEL GRABNER, VILLE LIGNELL, BORIS
LICHTENBERGER, FREDERIC PFALZGRAF
Un seviteur ION TIBREA
Choeur de l’Opéra de Vienne, Choeur d’enfants du Salsburger Festspiele
Orchestre Wiener Philharmoniker
Direction musicale Franz Welser-Möst
Mise en scène Harry Kupfer
Décors Hans Schavernoch
Costumes Yan Tax
Lumières Jürgen Hoffmann
Videodesign Thomas Reimer
Chef du Choeur Ernst Raffelsberger
Chef du Choeur d’enfants Wolfgang Göst
Salzburg, le 20 août 2015
Le Festspielhaus de Salsburg fait partie de ces scènes mythiques où tout mélomane se doit d’aller au moins une fois écouter un opéra ; pas simplement parce que Wolfgang Amadeus Mozart est né dans cette ville, ni en raison du rôle joué par le charismatique chef d’orchestre Herbert von Karajan qui inaugura la nouvelle salle en 1960, mais aussi pour s’imprégner de l’atmosphère musicale qui règne dans cette charmante ville autrichienne où les plus grands noms de la musique ont laissé leur empreinte. Nous assistions en cette soirée du 20 août à la première représentation du Chevalier à la rose de Richard Strauss, dans la mise en scène de Harry Kupfer déjà présentée l’année précédente. Peu de changements dans la programmation des chanteurs si ce n’est la venue de Golda Schultz pour le rôle de Sophie. Richard Strauss nous livre ici une oeuvre écrite en étroite collaboration avec son librettiste Hugo von Hofmannsthal qu’il appelait d’ailleurs son da Ponte ; il sera alors avec son Chevalier à la rose au sommet de sa carrière lyrique. Après avoir composé Elektra, Richard Strauss veut aborder un sujet moins dramatique, nettement plus léger. Ce sera une représentation de la Vienne d’alors transportée au XVIIIe siècle. Cette image, traitée trop finement pour être caricaturale, peut s’inscrire dans la lignée théâtrale d’un Molière ou d’un Mozart pour les études de caractères contenues dans leurs oeuvres. Dans cet opéra qui au troisième acte tendrait vers l’opéra bouffe, Richard Strauss aborde, sous une écriture assez légère, des sujets plus profonds tels que le pas que prendra la bourgeoisie sur une aristocratie décadente, ou la fuite du temps qui altère toutes choses, la beauté et les sentiments même ; préoccupation principale de la Maréchale. A l’époque d’Hofmannsthal et de Strauss, la Vienne des valses avait déjà commencé, avec Freud, à se poser des questions ayant un rapport avec le psychisme et derrière toute légèreté ressort cette profondeur de pensée. Dans cette composition musicale éminemment moderne, les mot et les notes ont un lien très fort. Les inflexions de la musique et la qualité du texte font ressortir avec justesse et finesse les sentiments et les doutes des personnages aux caractères fortement marqués. Le Chevalier à la rose, opéra emblématique du Festival de Salzbourg avait été représenté pour la dernière fois en 2004, avec une mise en scène de Robert Carsen. Dans cette grande salle, une des plus grandes, où 2179 spectateurs peuvent prendre place, Harry Kupfer signe une mise en scène en rapport étroit avec le texte, la musique et l’esprit de l’oeuvre, tout en la modernisant à l’aide des décors mobiles conçus par Hans Schavernoch. Rien ne manque pour créer une atmosphère mi frivole, mi mondaine, mais toujours de bon goût : une grande porte noire donnant accès à la chambre de la Maréchale ou à son boudoir au mobilier Louis XVI, le palais de Faninal au deuxième acte fastueux à souhait, et l’auberge de l’acte III d’un réalisme bucolique soigné dans les détails qui donnera libre cours aux excentricités de rigueur. Des choses amusantes, telle cette baleine qui se pose sur le toit et d’où sortent les enfants qui animeront la scène ; ne sommes-nous pas dans les environs du Prater, ce parc d’attractions dont on voit la grande roue ? A l’aide de vidéos, Thomas Reimer nous propose des vues de la ville, nous faisant participer à l’ambiance viennoise suggérée par la musique. La somptuosité de la demeure de Faninal est quant à elle représentée par des intérieurs de palais projetés, ainsi l’intérieur du Kunsthistorisches museum reconnaissable à son escalier monumental et à ses plafonds peints. Les lumières de Jürgen Hoffmann s’inscrivent en contrepoint avec les décors et la mise en scène, éclairant avec nuance et délicatesse l’intérieur de la demeure de la Maréchale où des projections en noir et blanc donnent le ton, ou de façon plus éclatante le palais de Faninal, pour devenir plus tamisées dans l’auberge. C’est une collaboration très réussie. Les costumes dessinés par Yan Tax sont du plus bel effet ; ni trop somptueux ni pas assez ils nous immergent dans la Vienne de Richard Strauss. Ainsi l’élégant et très féminin déshabillé de la Maréchale, les robes fluides et seyantes et les costumes sobres pour les hommes. Le costume redingote en peau d’Octavian ou sa jupe rayée assortie d’un canotier lorsque le jeune homme devient Mariandel le rendent crédible et même irrésistible. Harry Kupfer réussit ici une mise en scène où beauté et intelligence sont réunies faisant de cette représentation un moment de charme et de pur plaisir. Il a su s’adapter à la musique, à son rythme, réglant chaque geste, chaque entrée des personnages avec la même minutie qu’avait mis le compositeur à régler chaque intervention musicale. Avec une direction des acteurs réaliste et très rythmée, il donne vie à cette pièce où l’ennui ne sera jamais au rendez-vous. On est ici dans la truculence plus que dans un opéra bouffe. Tout en restant traditionnel, ce Chevalier à la rose paraît modernisé. Une des dernières images nous transporte dans l’univers poétique d’Alfred de Musset : la Maréchale partant seule dans un parc aux couleurs automnales et semblant emporter de légers regrets ; mais, dans un clin d’oeil au caractère féminin, cette même Maréchale accompagnée par Faninal passera, pour une promenade, dans une voiture décapotable. Les regrets ne sont pas éternels… Après avoir été joué 119 fois à Salzbourg, cet opéra sera représenté, dans cette production, sans coupure à partir de 2014. Cela permettra à Günther Groissböck de donner toute la mesure de son talent en interprétant le rôle du Baron Ochs dans son intégralité. Car ce Chevalier à la rose est le triomphe du Baron Ochs. Plus jeune et de plus belle allure qu’habituellement, c’est un baron nouvelle génération. Il n’est en aucun cas ce gros homme ridicule qui courtise toutes les jeunes filles, mais une sorte de Don Juan dont les conquêtes pourraient bien figurer au catalogue de Leporello. Il joue avec truculence sans tomber dans la trivialité. Son allure et sa prestance lui donnent un air de respectabilité même dans les pires situations ; Günther Groissböck est à la hauteur du personnage. Sa belle voix grave passe sans forcer avec une longueur de souffle très soutenue. Une voix de bronze au service de la musique et du théâtre. S’il flirte avec la goujaterie, il n’est jamais vulgaire. Avec de belles respirations il donne du rythme tout en restant dans la musicalité. C’est le Baron Ochs rêvé. Face à lui, la Maréchale de Krassimira Stoyanova garde toute la mesure et la distinction qui imprègnent le personnage. Sans atteindre la perfection d’interprétation d’une Elisabeth Schwarzkopf, cette maréchale est un bijou de délicatesse et de justesse de jeu. Physiquement elle est une émanation du personnage voulu par Richard Strauss. Sa façon moins compassée et plus naturelle d’aborder le rôle en fait une maréchale plus fragile aussi, mais seulement en apparence, la fin le prouvera. Vocalement très à l’aise elle passe avec délicatesse et assurance des pianissimi sensibles aux aigus éclatants. Son timbre radieux et sa bonne diction lui donnent toute liberté pour exprimer sa musicalité jusque dans les passages où humour rime avec élégance. Au travers de sa voix, Krassimira Stoyanova laisse percer ses doutes et ressortir ses émotions. C’est une maréchale de grande classe et l’on comprend qu’Octavian en soit amoureux. Sophie Koch est ce jeune homme enthousiaste subjugué par la féminité et la beauté de cette Maréchale ; un rôle travesti que la mezzo soprano française assume avec aisance tant son allure androgyne est en accord avec le personnage. Vocalement elle est parfaite. Sa voix grave au timbre profond la rend très crédible en jeune garçon. Aussi à l’aise dans son chant que scéniquement – peut-être la trouve-t-on un peu superficielle par moments ? – C’est sans doute l’apanage des jeunes garçons dont l’insouciance fait tout le charme. Ses somptueux aigus passent au-dessus de l’orchestre et le duo chanté avec la maréchale laisse entendre deux voix aux timbres harmonieux dans une sensibilité partagée. Ses apparitions en Chevalier portant la rose, tout de blanc vêtu, aussi bien qu’en jupe alors qu’il est Mariandel témoignent de sa facilité d’adaptation. Cet Octavian vif et parfait vocalement fait de l’interprétation de Sophie Koch, une des meilleures du moment. La jeune soprano sud africaine Golda Schultz chante ici Sophie pour la première fois. Elle fait montre d’une grande sensibilité avec un legato qui fait ressortir sa musicalité. De beaux aigus et de belles nuances sont à noter aussi, ainsi qu’un très joli duo sensible à la fin de l’opéra mais dominé par la voix somptueuse d’Octavian. Avec toutes ces qualités, d’où vient le fait que nous n’adhérons pas vraiment à sa prestation ? Une voix qui ne s’accorde pas tout à fait à celle des autres, un jeu qui fait un peu tache ? Certes Sophie n’est pas une aristocrate, mais elle est ici plus une fille venant de la campagne qu’une jeune viennoise fraîchement sortie du couvent. Sa façon d’aborder le rôle manque tout à fait de la délicatesse contenue dans la musique qu’elle chante. C’est cette dimension que l’on aurait aimé trouver ici. Le Faninal d’Adrian Eröd est tout à fait conforme à ce personnage récemment ennobli qui a gardé les goûts des nouveaux riches, mais avec mesure et discrétion. Grâce à un jeu intelligent, il arrive à donner un certain poids à ce père désireux de marier sa fille. Ce baryton viennois qui possède une belle technique chante avec une voix homogène et bien projetée procurant ainsi puissance et rondeur de son. La soprano viennoise Silvana Drussmann, habituée à chanter des rôles plus lourds est ici cette Marianne qu’elle aborde d’une voix assurée au timbre chaud. A l’aise, elle fait ressortir son personnage. Andeka Gorrotxategi est le chanteur italien dont l’Air assez court est passé à la postérité. S’il n’a pas une grande voix, il a de beaux aigus qu’il projette d’une voix sonore et bien placée. Son legato et ses notes tenues font ressortir les phrases musicales qu’il chante avec une belle longueur de souffle. Rudolf Schasching et Wiesbke Lehmkuhl, respectivement Valsacchi et Annina forment un couple d’intriguants tout à fait à leur place. Les comprimari sont très bien distribués et leurs rôles sont aussi bien chantés que joués. Le Choeur de l’Opéra de Vienne et le choeur d’enfants impeccablement préparés, font ici une prestation à la hauteur des autres interprètes. Le Wiener Philharmoniker est ici dirigé par Franz Welser-Möst aujourd’hui à la tête de l’orchestre de Cleveland. Ce chef d’orchestre autrichien est très investi dans la musique de Richard Strauss dont il a dirigé pratiquement tous les opéras. Il dirige ici un orchestre au mieux de sa forme qui suit le chef dans ses moindres inflexions. Franz Welser-Möst dont la connaissance de Richard Strauss est immense nous livre ici un Chevalier à la rose en adéquation avec le compositeur. Bien que cette musique soit imagée, sensible, avec des envolées lyriques, elle reste au plus fort des crescendi toujours mesurée et un peu retenue, comme si le compositeur n’allait jamais au-delà d’un certain point. C’est le propre de la musique de Richard Strauss. En cela, Franz Welser-Möst est parfait dans son interprétation. Dans un tempo confortable il laisse sonner l’orchestre avec une vague déferlante de notes, mais au détour d’une mesure ou d’un crescendo, embusquée dans un coin, on retrouve la tendresse. Le chef d’orchestre accompagne les chanteurs avec souplesse et une grande connaissance du chant. Couleurs des instruments solistes, nuances et respirations sont en adéquation avec le texte et la partition. Le prélude du troisième acte est dirigé avec précision souplesse et fluidité tout en laissant ressortir le phrasé et l’humour. Toute la richesse de l’orchestration de Richard Strauss ressort ici dans chaque nuance avec un enchevêtrement des notes faisant référence aux sentiments souvent complexes. Franz Welser-Möste et le Wiener Philharmoniker sont les grands architectes de cette structure instrumentale, donnant relief et dimension à cet ouvrage. Une grande soirée, où musique et théâtre étaient réunis. Photo© Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus