Bayreuth Festspiele 2015
“TRISTAN UND ISOLDE”
Opéra en trois actes, livret de Richard Wagner
Musique de Richard Wagner
Tristan STEPHEN GOULD
König Marke GEORG ZEPPENFELD
Yseult EVELYN HERLITZIUS
Kurwenal IAIN PATERSON
Melot RAIMUND NOLTE
Brangäne CHRISTA MAYER
Un Pâtre TANSEL AKZEYBEK
Un timonier KAY STIEFERMANN
Un jeune marin TANSEL AKZEYBEK
Choeur et Orchestre du Festival de Bayreuth
Direction musicale Christian Thielemann
Chef du Choeur Eberhard Freidrich
Mise en scène Katharina Wagner
Décors Franck Philipp Schlössmann, Matthias Lippert
Costumes Thomas Kaiser
Dramaturgie Daniel Weber
Lumières Reinhard Traub
Bayreuth, le 18 août 2015
Dans ce lieu mythique du Festspielhaus, Katharina Wagner nous présentait sa propre version de l’opéra le plus romantique de Richard Wagner son aïeul. Cette oeuvre mise en musique sur un poème écrit par le compositeur lui-même d’après la légende médiévale celtique de Tristan et Yseult, est considérée comme le sommet le plus romantique de toute la littérature ainsi que du langage musical. L’amour, le sacrifice, la mort rédemptrice, thèmes wagnériens s’il en est, sont ici plus que jamais présents, et le prélude du premier acte restera une des pages musicales les plus achevées de la musique romantique ; la beauté des harmonies, le phrasé et le legato des cordes atteignant la perfection musicale. La tension contenue dans la mort d’Isolde et le long chant passionné de Tristan font de cet opéra l’un des plus difficiles à interpréter pour la forme physique qu’il demande aux chanteurs. Cet ouvrage plutôt statique scéniquement requiert une intensité et une puissance vocale fabuleuses pendant plus de quatre heures. Après la polémique déclenchée en 2013 par la mise en scène de Frank Carstof pour le ring, dont l’apparition sur scène à la fin de la première avait suscité un quart d’heure de sifflets, Katharina Wagner a essayé de trouver un compromis entre modernité et tradition en voulant conserver la trame initiale de l’histoire de ce Tristan et Isolde. Mais quelques changements seront tout de même à remarquer. Ici, plus besoin de philtre d’amour, l’amour était au rendez-vous avant le lever du rideau. Aussi, tout en renversant la potion contenue dans la fiole Tristan et Isolde assument-ils leur passion. Mais une autre idée aussi étrange viendra perturber la fin traditionnelle de l’ouvrage. En effet, Isolde ne mourra pas, Le roi Mark viendra la chercher et la ramènera chez lui séance tenante. La morale est sauve et tout est rentré dans l’ordre. Ici, le roi Mark n’est plus cet homme magnanime qui pardonne et donne sa bénédiction aux héros morts, il est un être froid, insensible qui cultive l’idée de vengeance. Les acteurs sont bien dirigés et apportent ainsi un mouvement scénique. Mais ce que l’on gagne en action, on le perd un peu en intensité dramatique. Parmi quelques scènes étranges, quelques bonnes idées et quelques tableaux réussis. Ainsi une Isolde insérée dans des triangles ( symbole féminin, symbole maçonnique ? ) à l’acte II, rêve d’un Tristan blessé que la fièvre fait délirer, ou les jolies lumières imaginées pour la veillée par Kurwenal d’un Tristan allongé sur le sol dans un coin de la scène éclairée par les petites lampes rouges ( sont-ce les lumières du Christ qui donnent la vie spirituelle ? ) . L’effet est réussi. Richard Wagner avait évoqué devant ses enfants l’idée de faire évoluer son théâtre ; Katharina Wagner signe donc ici une mise en scène qui, sans être révolutionnaire, garde en mémoire la légende. Les décors de Frank Philipp Sclössmann et Matthias Lippert s’inscrivent en contrepoint avec le point de vue du metteur en scène. Le rideau s’ouvre sur une énorme structure qui occupe toute la scène jusqu’aux cintres. Des passerelles, des escaliers, un monte charge où nos amants se cherchent sans se rencontrer, puis se trouvent et succombent à leur amour ; est-ce l’évocation d’un navire avec ses ponts, on ne sait. L’acte II est plus énigmatique. Une salle fermée qui pourrait être une prison ou une salle de torture, un enfermement psychologique aussi pour ces deux êtres isolés dans leur amour, étrangers au monde extérieur. S’ils sont observés par Melot et le roi Mark, une petite tente ouverte préserve leur intimité. Le tableau de l’acte III créera certaines atmosphères, mais la scène finale est à notre avis bien peu réussie. Assise sur le lit où Tristan repose, mort, Isolde chante la liebestod….sans mourir. Cette scène perd de son intensité dramatique l’idée de la rédemption dans la mort étant occultée. Hormis à l’acte I, les lumières créées par Reinhard Traub sont assez sombres, l’amour prend ici des teintes dramatiques selon l’idée du metteur en scène. Si les costumes de Tomas Kaiser n’ont rien de très original, une longue robe bleue pour Isolde, un pantalon et une chemise pour Tristan, il habille de jaune le roi Mark et ses acolytes, avec un long manteau et un grand chapeau pour un roi d’une raideur extrême. On peut se poser la question du choix de cette couleur et chercher dans la symbolique, mais toutes les éventualités étant possibles, nous retiendrons peut-être la jalousie et la trahison. Après le forfait déclaré par Eva-Maria Westbroek et Anja Kampe pour le rôle d’Isolde, c’est finalement Evelyn Herlitzius qui sera la partenaire de Stephen Gould. Applaudie à Aix-en-Provence en 2012, alors qu’elle interprétait Elektra, elle est ici une Isolde dont la belle la prestance et l’engagement sont à remarquer. La voix est puissante, les aigus sont éclatants et la rondeur du registre medium est agréable. Le timbre est chaleureux et le phrasé musical permet d’aborder les nuances avec souplesse. Sa voix se marie très bien avec celle de Tristan pour des duos de charme où puissance ne veut pas dire dureté. Si la voix paraît accuser une certaine fatigue au troisième acte, il faut avouer que la mise en scène ne porte pas à l’émotion lors de la liebestod. Evelyn Herlitzius qui reprend presque au pied levé le rôle d’Isolde aura tout de même marqué le personnage de son empreinte. Christa Mayer chante Bragäne avec une grande force et un timbre chaud et rond qui fait ressortir les belles qualités de sa voix dont la musicalité se fond avec celle d’Isolde. Stephen Gould est ici Tristan. C’est un ténor wagnérien solide aux qualités immenses. Une belle prestance sur scène qui donne à ce rôle force et détermination. Vocalement et physiquement, il ne montrera aucune faiblesse, faisant éclater ses aigus toujours soutenus jusque dans les graves avec une belle longueur de souffle. Bien accompagné par l’orchestre, il a des prises de notes franches mais sans dureté qui passent au-dessus de la masse orchestrale sans jamais forcer. Dans ce rôle écrasant, Stephen Gould fait montre d’une sensibilité et d’une endurance à toute épreuve dans le troisième acte qu’il interprète avec une grande intelligence scénique aussi bien que vocale. C’est un Tristan qui sait être éclatant ou plus intériorisé réussissant ainsi à faire passer une grande émotion. Evelyn Herlitzius et Stephen Gould forment un couple très assorti aux voix homogènes. Georg Zeppenfeld est un roi Mark d’une étrange présence qui se plie aux exigences du metteur en scène pour nous donner une vision froide, sans grandeur d’âme de ce roi habituellement plus humain. Vocalement, c’est une basse sonore à la voix large et puissante dont les résonances servent au mieux la ligne musicale. Un roi Mark d’une belle allure que l’on est obligé de remarquer aussi vocalement. Dans le rôle de Kurwenal, le baryton écossais Iain Paterson se révèle au troisième acte. Sa voix assez mal projetée au début prend de l’assurance et devient plus profonde avec un medium sonore et de belles inflexions. Auprès de Tristan, il chante avec aisance, détermination et musicalité tout en affirmant de beaux aigus. Raimund Nolte chante aussi bien Jean Sébastien Bach que Wagner et la pratique de l’alto pendant plusieurs années lui a donné aisance et style. Il est ici un Melot de qualité et s’il est aussi froid dans cette mise en scène que le roi Mark, sa voix au timbre chaleureux donne de la profondeur au personnage. Une interprétation juste et bien pensée. Le ténor Tansel Akzeybek assure les rôle du pâtre et du jeune marin avec justesse d’une voix claire et bien placée à la hauteur des autres interprètes. Le Choeur, malgré une très brève apparition, toujours très bien préparé par Eberhard Traub, est très en place vocalement. Christian Thielemann était à la baguette. Le nouveau directeur musical du Festival de Bayreuth sait comme personne faire sonner cet orchestre qui connaît chaque note et chaque respiration du répertoire wagnérien. Les sonorités particulières à ce temple de la musique apportent à cet ouvrage toute la sensibilité, la profondeur et les résonances déjà imaginées par Richard Wagner lors de la construction de cette fosse d’orchestre unique ; une fosse qui abrite chef et musiciens sans qu’on puisse les voir de la salle. Elle est construite de telle sorte que les cuivres et les timbales, placés en contrebas des violons, puissent donner de la puissance sans jamais couvrir les voix. Dans un tempo allant et avec un son qui semble venir du lointain, Christian Thielemann ouvre le livre musical de cette légende. Il en connaît les moindres inflexions, les moindres nuances et, s’il reprend cet ouvrage refermé depuis plusieurs années, les lignes musicales reviennent avec plus de maturité et une interprétation plus approfondie peut-être. Ce chef d’orchestre est passé maître dans l’art de faire ressortir l’essence même de la musique de Wagner. Le prélude de l’acte I est un modèle de sensibilité et d’homogénéité des sons et des harmonies. Les solos de cors, de cor anglais, entre autres, joués avec souplesse passent avec facilité et rondeur de son et les passages forte ont une dimension sonore spectaculaire. Mais ce qui est le plus marquant dans la direction de Christian Thielemann, c’est cette propension à mettre les chanteurs à l’aise, à les soutenir, sans avoir l’air de leur imposer une baguette rigide. Cette grande connaissance du compositeur et des voix font de Christian Thielemann un très grand chef Lyrique. Une mise en scène peu romantique qui laisse à la musique de Richard Wagner le soin de nous emmener au loin dans sa légende.