Festival d’Aix-en-Provence: “Iolanta” & “Persephone”

Grand Théâtre de Provence, Saison 2015
“IOLANTA”
Opéra en un acte, livret de Modest TchaÏkovski d’après la pièce La fille du roi René d’Henrik Hertz
Musique  Piotr Ilitch Tchaïkovski
Iolanta   EKATERINA SCHERBACHENKO
René   DMITRY ULIANOV
Robert   MAXIM ANISKIN
Vaudémont   ARNOLD RUTKOWSKI
Ibn-Hakia   WILLARD WHITE
Almeric   VASILY EFIMOV
Bertrand  
PAVEL KUDINOV
Martha   DIANA MONTAGUE
Brigitta   
MARIA BOCHMANOVA
Laura    KARINA DEMUROVA
“PERSÉPHONE”
Mélodrame en trois tableaux poème d’André Gide
Musique  Igor Stravinski
Perséphone   DOMINIQUE BLANC
Eumolpe
     PAUL GROVES
Danseurs Amrita Performing Arts
Perséphone   SATHYA SAM
Déméter    SODHACHIVY CHUMVAN   (Belle )
Pluton     CHAN SITHYKA KHON   ( Mo )
Mercure, Démophoon, Triptolème   NARIM NAM
Choeur, Maîtrise, de l’Opéra National de Lyon
Orchestre de l’Opéra National de Lyon
Direction musicale   Andrei Danilov
Mise en scène  Peter Sellars
Costumes  Martin Pakledinaz, Helene Siebrits
Décors   George Tsypin
Lumières   James F. Ingalls
Aix-en-Provence, le 17 juillet 2015
Pour cette saison 2015, le Festival d’Aix-en-Provence avait décidé de reprendre la production Iolanta / Persephone présentée en 2012 au Teatro Real de Madrid, et l’on pouvait se demander quel lien existait réellement entre ces deux opéras mis à part le fait que Piotr Ilitch Tchaïkovski et Igor Stavinski étaient tous deux des compositeurs russes. Mais à bien y regarder, l’écriture de Iolanta ressemblant peu aux compositions antérieures, on peut y voir un lien, un chemin qui mènerait la composition encore classique de Tchaïkovski à celle résolument plus moderne d’Igor Stravinski. Peut-on voir Iolanta ( dernière oeuvre de Tchaïkovski ) comme une oeuvre testament ? Et cette lumière, que trouve cette pure jeune fille, et qui va la conduire vers l’amour et la vie sans restriction est-elle celle là même que les contemporains du compositeur lui refuseront ? La lumière de la connaissance et de la tolérance. Cette ouverture d’esprit qui faisait défaut au XIXe siècle poussera certainement Tchaïkovski vers le suicide. Le compositeur aborde Iolanta avec une écriture particulière, plus intimiste, avec moins d’emphase aussi, mais toujours avec une mélancolie sous-jacente et de beaux moments de spiritualité dans un choeur final qui pourrait appartenir à la musique liturgique orthodoxe. Peter Sellars fait ici preuve de génie avec une mise en scène d’une qualité exceptionnelle tout en s’entourant de collaborateurs qui ont su appuyer son propos. Le décor unique de George Tsypin est épuré mais splendide. Des portiques surmontés de sculptures qui changent de couleurs suivant les éclairages peuvent aussi bien vouloir délimiter les lieux qu’évoquer des portes qui font passer de l’obscurité à la lumière. Un décor minimaliste mais suffisant pour satisfaire l’oeil sans déranger en rien l’oreille. Les lumières de James F. Ingalls contribuent par leurs changements à magnifier cet ensemble, et un mélange de costumes bien choisis, modernes ou plus intemporels, ainsi la robe de Iolanta seyante d’un bleu lumineux, créés par Martin Paklenidaz et Helene Siebrits respectent l’harmonie et l’atmosphère calme et sereine de ce lieu décrit par les personnages comme étant un jardin paradisiaque. tout est ici évoqué mais parfaitement assimilé par le public. les chanteurs correspondent à l’idée que l’on se fait des personnages jusqu’à la peau bronzée de Willard White, tout à fait adaptée au  docteur Ibn-Hakia, ce docteur éminemment moderne qui annonce déjà les théories de Sigmund Freud, le corps relié au mental ( aucune guérison n’est possible sans la volonté consciente ou inconsciente du patient ). Une mise en scène toute en finesse, avec une direction intelligente des acteurs qui semblent toujours savoir quoi faire et où aller. Les personnages évoluent avec calme faisant profiter des ombres portées parfois surdimensionnées qui accentuent les mouvements. Un quatuor à cordes sur scène répond aux accents mystérieux de l’orchestre. Le texte chanté en russe correspond au timbre chaleureux de la soprano Ekaterina Scherbachenko. Belle et charmante, elle a du style, un style que l’on remarque immédiatement dans sa ligne de chant et sa façon d’aborder chaque note avec une prononciation juste. Si elle chante avec délicatesse et avec une voix qui semble venir du ciel, elle sait aussi transmettre avec naturel les accents et les couleurs de la musique de Tchaïkovski avec ce phrasé langoureux propre aux langues  slaves. Hésitante comme les personnes atteintes de cécité, elle est tendre et touchante dans le Duo avec Vaudémont, les lumières accentuant le propos. Ekaterina Scherbachenko fait ici une magnifique prestation jouant avec justesse sur les équilibres. La contralto Diana Montague prête sa voix grave à Martha, qui veille sur Iolanta depuis toujours. Sa prononciation délicate et son timbre chaleureux sont en adéquation avec ce personnage attentif jusque dans ses mouvements. La soprano Maria Bochmanova ( Brigitta ) et la mezzo-soprano Karina Demurova ( Laura ) forment avec Martha ce trio féminin de charme aux voix appropriées qui veillent sur la jeune fille. Arnold Rutkowski est ici un Vaudémont de premier plan. Ce ténor que nous avions entendu à l’Opéra de Toulon dans La Bhoème ( Rodolfo ) et Madame Butterfly ( Pinkerton ) ou plus récemment à Marseille dans Lucia di Lammermoor (Edgardo ) nous surprend à chaque nouvelle écoute par la maturité du chant, l’ampleur de la voix et l’assurance qu’il acquiert. Dans cette partition où les sentiments sont parfois contradictoires et les aigus fort nombreux, Arnold Rutkowski nous épate. Il est ce jeune homme frappé par l’amour mais aussi assailli par les doutes sans que sa voix perde de sa clarté ou de son aisance. Ses aigus chantés avec facilité gardent leur résonance dans une belle longueur de souffle même s’il chante allongé sur le sol. Faisant preuve d’un grand investissement il sait se faire tendre ou vainqueur pour un chant plus affirmé. Dmitry Ulianov est le roi René, ce père aimant mais possessif, sûr de lui mais qui arrive à douter. Sa voix large de basse lui permet de s’affirmer sans forcer et de descendre dans des notes très graves tout en gardant la chaleur du timbre. D’une belle prestance, il gagnerait en netteté avec plus de soutien et plus de projection, ce qui donnerait plus de caractère au personnage, ce roi René qui a gouverné la Provence et dont la statue orne aujourd’hui encore le cours Mirabeau. Willard White est le docteur Ibn-Hakia. On se souvient de son Wotan chanté ici il y a quelques années dans le Ring de Richard Wagner dirigé par Simon Rattle. Si la voix montre une certaine fatigue, avec des graves étouffés, il est nettement mieux dans le medium où il a un plus grand contrôle du vibrato parfois trop large. Il a la présence et l’allure qu’il faut pour ce rôle et fait preuve de sensibilité lorsqu’il chante avec Iolanta. Robert, l’ancien promis de Iolanta est chanté par Le baryton Maxim Aniskin. Si sa voix un peu sèche n’a pas vraiment la couleur des voix russes, il joue bien et campe un Robert très crédible avec de beaux aigus clairs et puissants, et un medium sonore. Son jeu intelligent fait ressortir les traits de caractère de ce personnage dont le courage n’est pas sa plus grande vertu. Vasily Efimov et Pavel Kudinov respectivement Alméric et Bertrand sont tout à fait à leur place ici. Le Choeur de l’Opéra National de Lyon qui chante dans la fosse fait montre d’un bel ensemble avec des voix très homogènes. Teodor Currentzis ne pouvant assurer la direction de l’orchestre ce soir, son assistant Andrei Danilov allait prendre la baguette. Sous sa direction l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon faisait une prestation remarquable de rondeur de son, de précision et de musicalité répondant avec justesse aux demandes du chef qui faisait ressortir les accents typiques de la musique de Tchaïkovski. Les instruments solistes cor, cor anglais, clarinette, violon solo ont repris les couleurs de l’orchestre dans de jolis phrasés laissant résonner les dernières notes.
Le mélodrame chorégraphique qui nous est présenté ici est écrit de façon originale pour récitante, ténor, choeur et orchestre. Tout le génie de cette production se trouve dans la manière cohérente de mettre en scène danseurs, chanteur et récitante dans une même atmosphère tout en rajoutant décor, choeur et orchestre. Le pari est ici réussi car l’on sort de ce spectacle apaisés et comme portés par une certaine lumière. Une lumière qui passe des ténèbres des Enfers au soleil du printemps, faisant peut-être ainsi suite à l’histoire de Iolanta. Pour cette pièce, qui fait partie de sa ” trilogie ” grecque, Igor Stravinski fait appel au prix Nobel André Gide pour écrire le texte. Un texte choisi où les mots sont autant de sons projetés avec clarté. Mais cette collaboration finira par une brouille, André Gide n’étant pas satisfait de la mise en musique de sa Perséphone, qu’il modifie d’ailleurs un peu ; elle n’est plus cette jeune fille victime d’un viol, mais une jeune femme qui choisit le royaume des Enfers par solidarité, et qui revient sur terre pour aider sa mère Déméter à la fertiliser. Et, au-delà du côté artistique, on peut trouver à cette oeuvre une portée politique. Dans le décor unique et commun à Iolanta, les danseurs de l’Amrita Performing Arts, comme sortis d’un théâtre asiatique évoluent dans une chorégraphie lente et expressive, donnant vie au propos dans une esthétique qui ne dérange en rie la dramaturgie grecque. Chaque danseur représente un personnage, avec une Perséphone qui prend la parole avec la voix de Dominique Blanc. Sous les traits d’Eumolpe, prètre de la déesse Déméter, le ténor Paul Groves fait preuve d’une grande intelligence de jeu et d’interprétation. Avec une belle ligne de chant au phrasé musical, sa voix claire garde son homogénéité dans chaque tessiture faisant résonner des aigus projetés avec facilité. Dominique Blanc, dans une diction parfaite, sans emphase et sans trop de déclamation fait ressortir le magnifique texte d’André Gide avec intensité et un grand sens artistique. Les danseurs dont les mouvements purs s’accordent à la musique laissent se détacher un Pluton tout de rouge vêtu dont les gestes plus appuyés restent d’une grande pureté. Eclairs, tonnerres, gros nuages d’hiver nous font approcher les Enfers dans une musique colorée et évocatrice. Le Choeur et la Maîtrise de l’Opéra National de Lyon répond à l’orchestre dans un bel ensemble dans un discours plus haché, avec des gestes appropriés venus du théâtre antique grec. Une belle limpidité des voix du choeur des jeunes filles aussi. L’Orchestre de l’Opéra National de Lyon, superbement dirigé par Andrei Danilov contribue à conserver le charme qui se dégage de cette oeuvre par des sonorités veloutées et des rythmes qui donnent du relief sans jamais déborder. Une collaboration efficace et d’un grand sens artistique qui a uni metteur en scène, chorégraphe et créateurs du décor, des costumes et des lumières dans des tableaux qui nous font penser à des oeuvres de Salvador Dali. Deux spectacles d’une rare beauté longuement applaudis.