Grand Théâtre de Provence, Festival d’Aix-en-Provence 2015
“ALCINA”
Dramma per musica en trois actes, livret anonyme d’après Alcina delusa da Ruggiero d’Antonio Marchi, inspiré de l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto
Musique Georg Friedrich Haendel
Alcina PATRICIA PETIBON
Ruggiero PHILIPPE JAROUSSKY
Morgana ANNA PROHASKA
Bradamante KATARINA BRADIC
Oronte ANTHONY GREGORY
Melisso KRZYSZTOF BACZYK
Oberto ELIAS MÄDLER
Choeur MusicAeterna
Orchestre Freiburger Barockorchester
Théorbes: Daniele Ciminiti, Maria Ferré
Violoncelle: Guido Larisch
Clavecin: Andrea Marcon, Johannes Keller
Direction musicale Andrea Marcon
Mise en scène Katie Mitchell
Décors Chloe Lamford
Costumes Laura Hopkins
Lumière James Farncombe
Collaborateur aux mouvements Joseph W. Alford
Aix-en-Provence, le 12 juillet 2015
S’il est des spectacles qui vous transportent et qui à la fin, vous font penser que vous venez d’assister à quelque chose d’exceptionnel, Alcina est de ceux là ; et une salle silencieuse et médusée est obligatoirement signe de chef d’oeuvre. Georg Friedrich Haendel qui écrit Alcina et Ariodante, deux pièces maîtresses de son oeuvre à l’âge de cinquante ans, est alors en pleine possession de ses moyens. Pour Alcina qui nous occupe ici, il s’inspire de L’Orlando furioso de l’Arioste, poème épique du début du XVIe siècle. C’est une histoire fantastique où sorcières et sortilèges sont les maîtres mots de l’action ; et comme dans tout conte fantastique, l’histoire est compliquée. Alcina et Morgana, mi sorcières, mi fées maléfiques changent leurs amants en bêtes sauvages, arbres ou pierres après consommation, hélas ! les sortilèges aussi ont une fin, mais la morale sera sauve lorsqu’à la fin de l’opéra, nos deux sorcières auront perdu tout pouvoir. Comment Katie Mitchell allait-elle traiter ce sujet scabreux ? on pouvait se poser la question. Mais après avoir vu le travail qu’elle avait effectué pour l’Opéra de George Benjamin Written on skin créé dans ce même festival en 2012, on pouvait s’attendre à une mise en scène de bon goût. Elle utilise ici le même procédé : deux plans superposés qui évitent les changements de décors et donnent une vue d’ensemble immédiate. Le haut étant un laboratoire où les transformations se font en introduisant les corps dans une machine diabolique, la grande pièce du bas étant la chambre des plaisirs où un grand lit trône en majesté. Katie Mitchell s’est- elle inspirée du livre de la britannique E. L. James, cinquante nuances de Grey ? Toujours est-il que nous aurons droit à certaines scènes sado-maso, Morgana étant représentée telle une nymphomane. présentée ainsi, cette mise en scène pourrait paraître plus qu’osée mais, et c’est là que réside le talent, il n’en est rien ; elle est conçue avec tant de légèreté et de finesse que l’on peut tout au plus sourire mais en aucun cas être choqué. Ici la vulgarité n’a pas lieu de cité. Des cages de verre contiennent certains animaux, et des portes, une fois franchies, permettent aux deux sorcières de paraître plus ou moins jeunes selon les besoins. Les lumières qui restent dans des teintes pastel enlèvent toute agressivité au propos et la transposition à l’époque actuelle se fait à l’aide des costumes noirs que portent les soldats, ou des belles robes longues qui siéent à nos deux femmes fatales. Mais ce qui est admirable, en dehors du fait que tout est fait avec nuance, c’est que les décors conçus par Chloé Lamford, les costumes créés par Laura Hopkins, ainsi que les lumières de James Farncombe ne nuisent en rien à la musique délicate et aux Aria da capo de Georg Freidrich Haendel. Patricia Petibon est Alcina. Déjà applaudie ici même en 2014 dans le rôle de Ginevra ( Ariodante ) elle apparaît assagie, dans une maturité de voix qui lui va bien. Jouant avec un vibrato baroque sans excès sa voix, aux prises de notes délicates, est tout simplement somptueuse avec des tenues longues et sonores sans forcer. Une voix qui a pris une épaisseur qui n’altère en rien les aigus et la légèreté. Dans son Air Ah ! mio cor schernito sei, elle trouve des inflexions et des nuances extrêmes qui touchent à la perfection. Avec ses sauts d’intervalles et ses crescendi rapides qui gardent homogénéité et rondeur de son, Patricia Petibon nous offre sans doute ici sa plus belle interprétation. A ses côtés, Anna Prohaska est Morgana. Elle est attachée sur le lit, jambes écartées, se laissant caresser par des plumes ou se faisant fouetter ( on peu osé tout de même ) mais son joli style et sa voix délicate font que l’on ne s’appesantit pas sur ces détails qui vont jusqu’à faire passer ses aigus pour des petits cris de plaisir. le chant est superbe, sa voix claire au joli vibrato se fait entendre dans des vocalises à l’aise au legato musical. Diction, projection de la voix, nuances et caractère, font de cette Morgana aux aigus éthérés un vrai petit bijou vocal. Katarina Bradic, seule mezzo de ce trio féminin fait preuve elle aussi de délicatesse. Le timbre de sa voix aux accents moelleux lui donne une grande crédibilité se faisant passer pour Riccardo, puis plus tard en Bradamante avec un vibrato superbe et des graves sonores. Katarina Bradic a du style jusque dans ses vocalises rapides et rythmées qui sont projetées avec assurance. Son Air Vorrei vendicarmi fait montre d’une réelle autorité et d’une belle longueur de souffle. Georg Freidrich Haendel avait destiné le rôle de Ruggiero au castra Carestini, mais c’est ici le contre ténor Philippe Jaroussky qui sera ce chevalier sans trop de caractère qui se laisse séduire somme toute assez facilement. Dans cet opéra où les Airs se succèdent, Philippe Jaroussky déploie toutes les facettes de son talent. Il est un Ruggiero qui subit plus qu’il n’impose. Mais vocalement, il s’impose dès les premières notes. Sa voix toujours homogène aux belles prises de son est d’une pureté absolue avec un phrasé impeccable et de légers portamenti vocaux. C’est du grand art. Après des notes aux effets pyrotechniques, il se lance dans un mélancolique Verdi prati que Carestini avit refusé de chanter préférant des Airs plus exubérants. Ici, Philippe Jaroussky y est extraordinaire, faisant ressortir sa musicalité dans un phrasé toujours parfait. Respirant avec la musique sans jamais couper la ligne de chant il donne des aigus d’une belle clarté et d’une grande justesse. Avec ses vocalises brillantes et ses sonorités blanches avant d’attaquer le vibrato, il a un style et une fraîcheur de voix inimitables. Le ténor Anthony Gregory était Oronte, et amoureux délaissé et prêt à tout pour reconquérir sa belle. Si le timbre de sa voix n’est pas exceptionnel, il s’affirme au cours de la soirée et chante avec beaucoup d’homogénéité et d’égalité dans le style pour nous faire entendre de beaux aigus clairs. Il s’impose plus lorsqu’il chante avec Morgana, où les rythmes sonnent naturellement dans un staccato d’une grande netteté. Si les graves sont un peu étouffés, il chante avec brillance et facilité. C’est à Krzysztof Baczyk de faire entendre la seule voix de basse dans le rôle de Melisso. Une voix grave aux belles couleurs qui passe sans forcer mais qui demanderait un peu plus de projection pour s’exprimer avec plus de clarté. Il n’en fait pas moins une belle prestation pour un rôle certes plus effacé, n’ayant qu’un Air à chanter. Le jeune Elias Mädler ( Oberto ) a déjà fait, du haut de ses douze ans, une belle petite carrière. Sa voix est assurée, bien placée avec un joli timbre qu’il sait faire résonner. Ce n’est déjà plus la voix blanche d’un enfant. Il possède un très joli vibrato qu’il utilise avec justesse pour faire entendre des aigus affirmés et sonores. Des rythmes aux vocalises, tout ici est en place et sa prestation sera très applaudie. Sur la scène, des acteurs sont là pour une figuration intelligente, leurs évolutions réglées comme un ballet par Joseph W. Alford donnent du relief à un ouvrage où la successions des Airs n’est pas propice à beaucoup d’action. Le Choeur MusicAeterna qui chante dans la fosse d’orchestre afin de laisser à la scène la clarté du visuel est d’une homogénéité et d’un ensemble parfaits. Andrea Marcon qui joue aussi la partie de clavecin est à la tête d’un Freiburger Barockorchester au meilleur de sa forme. Souvent entendu dans d’autres ouvrages, il fait ici une prestation que l’on peut qualifier de parfaite. Netteté, précision, nuances et musicalité étaient au rendez-vous, mais avec une rondeur et une plénitude de son qu’on ne lui connaissait pas. Théorbes, violoncelle continuo et clavecins font ressortir leur esthétique musicale jusque dans les respirations. Un immense bravo pour le chef d’orchestre qui sculpte les sons et ses musiciens. On l’aura compris, cette représentation qui nous a enchantés à chaque seconde a aussi tenu en haleine une salle entière qui n’en finissait plus d’applaudir.