Marseille, Opéra Municipal: “Falstaff”

Marseille, Opéra municipal saison 2014 / 2015
“FALSTAFF”
Opéra en 3 actes, livret d’Arrigo Boïto, d’après Les joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare.
Musique  Giuseppe Verdi
Sir John Falstaff  NICOLA ALAIMO
Ford, marito di Alice   JEAN-FRANÇOIS LAPOINTE
Fenton ENEA SCALA
Il Dottor Cajus CARL GHAZAROSSIAN
Bardolfo RODOLPHE BRIAND
Pistola, seguaci di Falstaff PATRICK BOLLERIE
Alice Ford  PATRIZIA CIOFI
Nannetta, figlia di Alice  SABINE DEVIEILHE
Mrs. Quickly  NADINE WEISSMANN
Miss Page
ANNUNZIATA VESTRI
Choeur de l’Opéra de Marseille
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Mise en scène  Jean-Louis Grinda
Décors  Rudy Sabounghi
Costumes  Jorge Jara Guarda
Lumières   Laurent Castaingt
Coproduction Opéra de Monte-Carlo / Opéra-Théâtre Metz-Métropole
Marseille, le 4 juin 2015
Monsieur Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille avait choisi de clore la saison lyrique 2024 / 2015 sur un grand éclat de rire. Une oeuvre finalement rafraîchissante en ce début d’été que ce Falstaff. Après une première incursion dans le comique avec son opéra ” Un jour de règne ” soldée par un échec cuisant, l’ouvrage étant retiré de l’affiche après une seule représentation, Giuseppe Verdi attendit d’avoir près de 80 ans pour se tourner à nouveau vers l’opéra buffa avec Falstaff. Ce sera son dernier opéra. Si ” Otello ” était d’une écriture déjà différente de ses autres ouvrages, Falstaff est abordé avec une vision tout à fait particulière, plus moderne et peu coutumière du compositeur. Aussi, faut-il se préparer à s’amuser et non attendre de grands Airs, tout étant construit tel un discours musical débridé. Giuseppe Verdi avait-il décidé de s’amuser lui aussi et avait-il choisi chez William Shakespeare un sujet où son nouveau style pourrait s’exprimer sans retenue ? ” les joyeuse commères de Windsor ” était la pièce rêvée. Cette farce est traitée ici avec finesse, excluant toute vulgarité. Jean-Louis Grinda a revisité l’ouvrage sans en changer un iota mais, comme l’avait fait Edmond Rostand avec ” Chantecler “, il va donner à chaque personnage l’apparence et le caractère d’un animal. Et, quel animal pourrait le plus ressembler à ce Falstaff, imbu de lui-même, recherchant les conquêtes féminines jusqu’au ridicule que le coq de basse-cour ? Tout est bien imaginé, sans fausse note ni faute de goût ; un propos servi par une équipe de chanteurs qui joue le jeu au point d’imiter la démarche de l’animal qu’il représente. Falstaff, gros mangeur, grand buveur est donc ce coq engraissé au bon grain mais qui n’exclue en rien légèreté et mouvements de plumes. Meg Page est une cane aux couleurs chatoyantes, miss Quickly une dinde dont les plumes s’arrondissent et la famille Ford une famille de pintades particulièrement réussies. Chats, fox terriers, caniches répondent à l’appel, et le Docteur Caïus est ce vieil âne dont le costume est conçu avec imagination et finesse. Mais c’est dans la direction des acteurs que s’exprime le mieux le metteur en scène, ne laissant aucun geste aucune expression au hasard, s’appuyant sur la musique expressive du compositeur pour régler le mouvement et le rythme de la scène. Original, le décor de Rudy Sabounghi l’est lui aussi ; sommes-nous chez un éditeur où dans une bibliothèque pour enfants ? Toujours est-il que de gros livres se baladent, s’ouvrent, se ferment pour les besoins de la mise en scène, nous transportant dans l’intérieur d’une habitation ou d’une forêt par la seule ouverture des doubles pages. Nous voici en plein conte merveilleux. Et cette farce qui pourrait vite tomber dans le grotesque ou le ridicule, devient ici une amusante plaisanterie pleine de finesse où humour rime avec légèreté.
Les costumes créés par Jorge Jara Guarda sont un véritable bonheur visuel mais aussi une étude de caractère très pointue. Ah ! ce coq gonflé de suffisance ; et ce vieil âne qui se laisse berner n’est-il pas merveilleusement imaginé avec ses chaussures en forme de sabots et ses longues pattes avant virevoltant ? La famille pintade est un sommet de raffinement avec une Alice dont le costume et la démarche nous transportent immédiatement dans une basse-cour. Si tous ne peuvent être décrits ici, tous sont à admirer avec soin, ainsi les costumes fluorescents des insectes nocturnes de la fin. Les lumières de Laurent Castaing  sont tout à fait appropriées à la mise en scène et collent aux atmosphères décrites, plus claires, plus feutrées ou ocres en contre-jour dans la maison de Ford, elles prennent les teintes bleutées du soir avec un joli effet d’ombres chinoises sur un petit écran suggérant les conspirateurs cachés, pour devenir plus vertes, avec plus de profondeur en cette forêt pour un effet en 3 D. Mais une telle production n’atteindrait pas son but sans des chanteurs de haut niveau possédant aussi un grand sens de la scène. Et là, nous sommes gâtés, d’autant plus qu’il faut, une fois n’est pas coutume, deux barytons de grande envergure. Physiquement, Nicola Alaimo est ce coq gras, roi de basse-cour qui pense séduire promptement chaque volaille, amusant, léger, pitoyable ou pittoresque mais toujours vu avec tendresse. Vocalement, nous sommes en présence d’un solide Falstaff qui s’impose dès les premières mesures avec des graves et un falsetto sonores. Si la voix manque un peu de profondeur dans le medium, elle possède un timbre rond et agréable conservé jusque dans les aigus projetés avec puissance et longueur de souffle. la superbe technique de Nicola Alaimo et sa diction parfaite lui permettent un staccato léger et percutant avec des crescendi impressionnants. Son Air ” Quand’ero paggio del duca di Norfolk ” est  chanté avec un humour et une légèreté qui soulèvent l’enthousiasme. duo de charme et de naturel chanté avec Ford ( Jean-François Lapointe ) dans une même esthétique musicale. Deux barytons, deux voix homogènes à l’unisson ou en réponse, impressionnants de justesse et de musicalité.  Jean-François Lapointe, déjà révélé à Marseille dans le Rimbaud plein de drôlerie du ” Comte Ory “, excelle dans les rôles de composition où son humour et sa verve peuvent donner toute leur mesure. Il est ici un Ford somptueux, représenté en pintade ; voix pleine dans chaque tessiture, musicalité et rondeur de son aux aigus puissants et assurés. Son phrasé séduit dans les seules phrases lyriques de l’ouvrage. Crédible dans la colère ou  dans le dramatique son Air de la jalousie retrouve quelques accents d’Otello. Il est, avec une diction et une projection sans failles, un Ford de tout premier ordre. Enea Scala est Fenton, ce jeune coq déjà amoureux et pressé de convoler qui charme Nannette de sa voix claire de ténor aux aigus assurés laissant poindre sensibilité et musicalité dans de jolis phrasés à l’italienne. Carl Ghazarossian joue avec beaucoup d’aisance le Docteur Caïus, cet âne encore vaillant au magnifique costume. Vocalement, c’est un rôle moins important interprété pourtant avec beaucoup de pertinence. Sa voix de ténor aux aigus projetés se distingue dans les ensembles. Un duo de chats pour ce sextuor de voix d’hommes avec Patrick Bolleire ( Pistole ) seule voix de basse, qui sait allier humour et musicalité pour un acte de contrition à deux voix avec son compère, sur un air de cantate. Rodolphe Briand est ce Bardolfo espiègle et drôle dont le jeu scénique est aussi juste que ses interventions vocales qui apportent relief et rythme à l’ouvrage. N’oublions surtout pas le quatuor féminin, qui donne tout son sens à cette pièce truculente. Patrizia Ciofi, appréciée à Marseille dans des opéras nettement plus dramatiques ( Hamlet ou Roméo et Juliette ) se révèle ici superbe de drôlerie et de justesse. Dans un costume plus que seyant, elle allie charme et pertinence à une musicalité sans faille. Si le medium manque un peu de puissance , ses aigus pleins et ronds sont superbes. Avec un staccato incisif et en place et un joli phrasé naturel aux prises de notes délicates, elle est cette commère sans qui rien ne pourrait arriver. C’est une Alice brillante et charmeuse qui arrive à ses fins avec son style et cette musicalité qui toujours nous enchantent. Sabine Devieilhe est ici Nannette, ce petit pintadeau qui veut voler de ses propres ailes. Que de chemin parcouru depuis que nous l’avions remarquée au Festival d’Aix-en-provence en 2012 dans ” La Finta giardiniera “. Mutine et joyeuse, elle nous fait entendre sa voix cristalline qui donne ici toute la fraîcheur à son personnage. Ses interventions sont élégantes et musicales, elle répond aux avances de Fenton avec grâce et espièglerie dans un joli duo sensible et musical pour finir sur un aigu puissant qui se perd dans une belle longueur de souffle. Nadine Weissmann, que nous avions pu applaudir récemment dans “Le Ring” à Bayreuth est Mrs. Quickly. Prenant l’aspect d’une dinde de basse-cour dans un costume des plus réussi, elle nous fait entendre sa voix grave de mezzo-soprano au timbre agréable avec de belles prises de notes. Si sa voix manque un peu de projection, ses aigus plus incisifs sont de ce fait plus percutants. Très à l’aise dans son personnage, elle joue avec pertinence. Annunziata Vestri ( Miss Page ) prête sa voix de mezzo-soprano à une cane colorée au costume amusant et bien imaginé. Avec un jeu bien étudié, sa voix très projetée se distingue dans ces quatuors féminins d’une grande précision. Le Choeur qui n’intervient qu’au dernier acte, laisse pourtant entendre de beaux passages piano, avant le grand éclat final précis et sonore, laissant la parole à un Falstaff devenu philosophe pour le mot de la fin : ” Tutto nel mondo è burla ” . Lawrence Foster est à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, qu’il connaît maintenant jusqu’à la pointe de sa baguette pour ce Verdi qu’il affectionne tout particulièrement, mais certainement le plus difficile pour la mise en place. Il s’agit ici, dans cette partition tout en staccatissimo de donner du souffle à l’ouvrage, de garder le tempo aussi bien dans la fosse que sur le plateau où quatuor et quintette vocaux chantent ensemble dans des rythmes différents. Mais la difficulté est aussi de donner cette impulsion, ces rythmes qui donnent le relief à tout l’ouvrage sans baisse de tension avec humour, netteté et musicalité. Lawrence Foster a réussi ce pari, aucune lassitude tout au long de l’opéra où chaque geste, chaque mimique correspond à une ponctuation musicale. En cela, c’est une partition géniale. L’orchestre est d’une grande précision avec des nuances qui permettent aux chanteurs de se faire entendre sans jamais forcer la voix. Un immense bravo à toute l’équipe qui fait terminer cette saison sur une note joyeuse et sensible , avec l’éclat de rire que souhaitait Giuseppe Verdi pour son ouvrage où les livres se promènent, s’ouvrent se ferment tels des paravents. Un grand éclat d’applaudissement ponctuait cette soirée. Photo Christian Dresse