Opéra de Toulon: “Giulio Cesare”

Opéra de Toulon, saison 2014 / 2015
“GIULIO CESARE”
Dramma per musica en trois actes, livret de Nicola Francesca Haym d’après Giacomo Francesco Bussani
Musique de Georg Friedrich Haendel
Giulio Cesare  SONIA PRINA
Cleopatra  ROBERTA INVERNIZZI
Cornelia  TERESA IERVOLINO
Sesto MONICA BACELLI
Tolomeo DANIELA PINI
Nireno BENEDETTA MAZZUCCATO
Achilla  RICCARDO NOVARO
Curio  PIERRE BESSIERE
Comédiens :
SOPHIA JOHNSON, HELENE MEGY, NATHALIE DODIVERS, LAETIA LEFEBVRE, PALMIRA VENZETTI, CLAUDE ALLAIN, PASCAL CARBON, JULIEN PASTORELLO, NICOLAS SITKEVITCH, STEVE TERRUZY
Orchestre de l’Opéra de Toulon
Continuo clavecin  Francesco Moi
Violoncelle baroque  Etienne Mangot
Théorbe   Ugo Di Giovanni, Craig Marchitelli
Direction musicale  Rinaldo Alessandrini
Mise en scène  Frédéric Andrau
Scénographie  Luc Londiveau
Costumes  Jérôme Bourdin
Lumières  Ivan Mathis
Toulon, le 10 avril 2015

Dans le souci de proposer un opéra baroque dans une nouvelle production, l’Opéra de Toulon en cette soirée du 10 avril, nous présentait ” Jules César ” de Georg Friederich Haendel. Ce compositeur, né allemand en 1685, mourra anglais sans avoir pour cela renié ses origines. Sa famille n’est pas à proprement parler une famille de musiciens, et il faudra toute l’obstination du jeune Haendel pour passer outre l’interdiction de son père et se lancer dans une carrière musicale. Ses voyages le mèneront très jeune de Berlin à Hambourg, puis de l’Italie vers Londres, fréquentant de nombreux artistes ainsi que des personnages influents. Après le succès immédiat d’Agrippina, et maintenant au sommet de son art, Haendel compose ses trois plus grands chefs d’oeuvre : Jules César créé le 20 février 1724, Tamerlano et Rosalina. Jules César, son opéra le plus connu parmi la quarantaine composée, sera le propos de ce soir. Tout est le reflet de son époque dans cet opéra seria : le choix d’un livret historique et une suite de grands Airs, langoureux, fougueux, martiaux ou désespérés selon les situations, chantés par des personnages hauts en couleur. Si l’intrigue n’est pas toujours limpide, le propos est de nous faire écouter des airs de bravoure et nous laisser apprécier les voix des chanteurs. On est loin ici de la ”  bronca ” suscitée à Salzburg par la mise en scène de messieurs Patrice Courier et Moshe leiser transposée dans une Egypte moderne où l’on se bat à coups de kalachnikov pour des puits de pétrole. Une époque maintenue sans aucune transposition nous est proposée par le metteur en scène Frédéric Audran et le scénographe Luc Londiveau. Quelques ruines et murets de pierres feront le décor unique où toute l’action se déroulera, avec quelques apports de tenture transparente pour délimiter les appartements de Cleopatra et une légère butte pour représenter la plage où s’échoue César. Frédéric Andrau semble vouloir nous replonger dans le film de Fellini ” le Satyricon ” mêmes coiffures, mêmes costumes dans des teintes pastel, ceux-ci signés par jérôme Bourdin, avec banquets et scènes orgiaques d’un goût plus que douteux où le grand César est représenté sous des traits ridicules ; mais tout l’opéra n’est-il pas traité ici de façon burlesque ? Avec force détails et une façon de prendre le livret au premier degré, Cornelia envoyée cultiver ses fausses fleurs dans un coin de la scène par exemple, cette mise en scène enlève un peu de force à l’ouvrage. La direction des acteurs, les maintenant dans des attitudes figées ou les faisant courir et sautiller plus qu’il ne faudrait manque de naturel ; rien de vraiment laid, quoique la vision d’un homme nu tous attributs dehors soit plus que discutable, mais rien de mémorable non plus. les lumières conçues par Ivan Mathis nous offrent des teintes ocrées ou plus blanches, mais jamais agressives. Rinaldo Alessandrini avait souhaité des chanteuses travesties plutôt que des des voix de contre-ténor. Ce sera donc un opéra presque totalement féminin, avec simplement deux voix graves d’hommes. On sait qu’à l’époque de Haendel, les voix d’hommes étaient souvent dévolues aux rôles subalternes, les personnages principaux et les rôles de héros étant chantés par des femmes travesties ou des castrats, dont la mode venait des théâtres napolitains. Nous sommes donc dans la tradition baroque, et si l’orchestre de l’Opéra de Toulon reste dans sa formation, l’apport d’un violoncelle baroque et de deux théorbes, ajoutés aux récitatifs joués au clavecin donnera quelques sonorités plus anciennes. C’est donc la contralto Sonia Prina qui est Giulio Cesare, un empereur plus préoccupé par les affaires sexuelles que par la gloire de l’empire. Sans doute Frédéric Audran a-t-il lu Suétone ? Toujours est-il qu’il nous le présente tel que le décrivait l’historien : ” le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris ” pas très sérieux donc, et très peu avantagé par son costume et sa coiffure. Sonia Prina aura beaucoup de mal à donner du poids à son personnage. Sa voix sans trop de graves manque de velouté et de profondeur. De jolies choses toutefois avec des Airs plus affirmés et des vocalises plus légères. Ainsi, son Air accompagné par un très long solo de cor, au premier acte reste un moment de pur plaisir. Roberta invernizzi, soprano, est une Cleopatra dont le timbre paraissant sans rondeur surprend au début. La mise en scène ne la mettant pas à son avantage, il faudra attendre le sublime Air ” Piangero ” pour apprécier vraiment sa prestation. Sensibilité, musicalité et rondeur de son remplaceront une voix un peu blanche par moments, avec de longues notes soutenues et de beaux aigus clairs. La mezzo-soprano Daniela Pini est un Tolomeo dont les vocalises à l’aise avec des aigus percutants ont une certaine allure. On apprécie sa voix bien qu’elle ait du mal à passer lorsque son personnage est placé en fond de scène, son interprétation sera applaudie. Une autre mezzo-soprano pour le rôle de Nireno : Benedetta Mazzucato. Vive, elle joue bien et chante tout aussi bien en projetant les sons. Mais les plus belles émotions seront procurées par la voix de Teresa Iervolino : Cornelia. La voix homogène et colorée s’arrondit dans un vibrato chaleureux, et les ornementations sont chantées avec musicalité dans un très beau style. Elle est très bien scéniquement et nous fait entendre un bien joli duo avec Sesto, chanté par Monica Bacelli dont la voix s’harmonise parfaitement avec celle de Cornelia dans un même phrasé et des respirations qui font ressortir la sensibilité de la musique de Haendel. De beaux moments de musique, prolongés par l’interprétation, l’intelligence du jeu et la voix percutante d’un Sesto très investi. Deux voix équilibrées avec des notes prises avec délicatesse dans une même esthétique musicale. Côté hommes, deux voix graves simplement Pierre Bessière, basse, est un Curio très en place vocalement malgré un rôle très court, et Riccardo Novaro, baryton, dont l’Achilla affirmé arrive à se faire remarquer avec une voix grave et profonde. Dix comédiens venaient étoffer et donner animation et sens au propos. La direction musicale était confiée à un maître incontesté du baroque : Rinaldo Alessandrini, qui a su donner des résonances baroques à l’orchestre de Toulon, avec certaines respirations et des archets plus nerveux. Un joli solo de violon, et un grand solo de cor qui, par la seule modification de certains sons, arrivait à sonner comme un cor naturel faisaient apprécier les solistes de l’orchestre. Une partie de clavecin présente et délicate participait avec les deux théorbes et le violoncelle baroque à créer les atmosphères des opéras de l’époque de Haendel. Cet opéra qui commençait et finissait par un banquet où tronait une tête coupée, représentait plus une Rome décadente qu’un empire puissant. Ce chef d’oeuvre de Georg Friedrich Haendel, a été très bien accueilli par un public de connaisseurs, séduit par des chanteurs de haut niveau qui ont su créer une homogénéité entre fosse et plateau dirigés par un chef d’orchestre qui a porté l’oeuvre de bout en bout. Photo Frédéric Stéphan