Le Grand théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2015
Orchestre national du Capitole de Toulouse
Direction musicale Tugan Sokhiev
Violon Renaud Capuçon
Félix Mendelssohn: Les Hébrides ou la grotte de Fingal op. 26
Wolfgang Rihm: Gedicht des Malers ( Poème du peintre )
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Symphonie No4 en fa mineur op. 36
Aix-en-Provence le 4 avril 2015
Nouveau concert, nouvelle explosion d’applaudissements et nouveau succès pour cette troisième édition du Festival de Pâques. Mais ce sera surtout une reconnaissance immédiate pour l’orchestre de Toulouse qui, sous la baguette de son chef Tugan Sokhiev s’impose vraiment comme un des meilleurs orchestres français. En cette soirée du 4 avril, des oeuvres de compositeurs très différents nous étaient proposées. Félix Mendelssohn et Les Hébrides, La symphonie No4 de Piotr Ilitch Tchaïkovski, et une oeuvre de Wolfgang Rihm pour violon et orchestre ( Poème du peintre ) jouée en création française avec Renaud Capuçon en soliste. Félix Mendelssohn, compositeur romantique par excellence, écrit cet opus après avoir visité les îles Hébrides lors d’un voyage en Ecosse. Dans un tempo modéré, Tugan Sokhiev, avec des gestes larges qui font sonner l’orchestre, et plus particulièrement les cordes, nous conduit à travers les légendes écossaises vers les ambiances mystérieuses qui habitent ” La Grotte de Fingal ” . Ce chef d’orchestre investi, qui sait faire ressortir les rythmes avec précision et netteté privilégie les sonorité, que ce soit celles des cuivres ou de la clarinette nostalgique, mais c’est l’unité et l’homogénéité du quatuor qui donne cette impression de puissance telle une vague déferlante qui vient mourir pianissimo. Changement d’atmosphère avec le compositeur allemand Wofgang Rihm né à Karlsruhe en 1952. Très attiré par la littérature, la peinture et la musique, il commence à composer dès 1963 et enseignera lui-même la composition dans diverses villes allemandes et à Munich à partir de 1985. Fortement influencé par des compositeurs qui vont de Webern à Nono ou Stockhausen, il trouve son propre style et mènera une brillante carrière couronnée de nombreux prix. Dédicataire de ” Gedicht des Malers ” en un mouvement, Renaud Capuçon défend cette oeuvre de toute la longueur de son archet. Les dissonances ne l’inquiètent pas et les vibrations de son Guarneri del Gesu Panette de 1737 sont là pour créer le lien entre les notes. On reconnait le jeu de ce remarquable artiste à cet archet joué à la corde dans chaque nuance, ce qui n’empêche en rien la légèreté. Cette pièce n’est pas écrite pour des effets violonistiques, mais pour évoquer des couleurs. N’est-ce pas la palette du peintre mise en musique qui nous est proposée ? Renaud Capuçon est ce peintre, et cette composition n’a de réelle valeur que par le violoniste, qui va chercher les sons au fond de lui, trouvant un phrasé qu’il expose avec un rien de portamento dans les démanchés pour lier les sons entre eux. Avec une sûreté de main gauche et un vibrato qu’il module à souhait, il nous donne à entendre des sons suraigus d’une grande pureté, et trouve dans la puissance des sons la tension des phrases musicales. Sa belle technique d’archet nous donne cette impression de velouté jusque dans la violence. Tugan Sokhiev dirige avec précision un orchestre qui n’est là que pour donner quelques impulsions sonores avec effet de wood block, et soutenir un violoniste que l’on écoute avec admiration sans vraiment comprendre le fil conducteur de cette partition. Changement d’atmosphère encore en deuxième partie. Piotr Ilitch Tchaïkovski compose cette 4eme symphonie, dédicacée à Madame von Meck sa mécène, en 1863. Malgré une carrière jalonnée de succès, Tchaïkovski est un homme angoissé et cela se sent dans ses compositions où envolées lyriques et romantiques sont immanquablement assombries par des pensées plus noires. Cette symphonie, composée alors qu’il travaillait à la partition de son opéra Eugène Onéguine ( on en retrouve ici quelques phrases musicales ) est une symphonie pessimiste où toute joie est exclue où même la danse folklorique a des accents nostalgiques. L’orchestre du Capitole de Toulouse va pouvoir donner ici toute sa dimension. Cet orchestre réellement formé et révélé par Michel Plasson est placé depuis quelques années maintenant sous la baguette de Tugan Sokhiev son directeur musical depuis 2008. S’il a gardé de sa collaboration avec Michel Plasson l’ampleur du son et le moelleux des sonorités dans le piano, il a gagné en puissance et en netteté avec son nouveau directeur musical. La dureté de certaines attaques que l’on pouvait reprocher à sa direction s’est assouplie et le résultat de cette collaboration est remarquable. Ensemble, ils vont donner une interprétation magistrale, romantique, et affirmée dans ce que Piotr Ilitch Tchaïkovski nomme le ” fatum ” , ce destin qui s’oppose au bonheur, qui l’interdit même,et qui se manifeste dès les premiers accords joués par les cuivres. Tugan Sokhiev connait bien ces atmosphères slaves qui passent de l’exaltation aux doutes intériorisés. Avec une gestuelle précise, large, qui laisse sonner l’orchestre, il fait ressortir chaque famille d’instruments dans une implication sans limites. Les thèmes reviennent, les couleurs changent, les nuances piano de la petite harmonie font ressurgir la nostalgie, mais toujours avec la même intensité de son. Beauté des intonations russes avec des phrases musicales jouées par le quatuor qui répond au hautbois avec de belles longueurs d’archet pour finir dans un léger spiccato ; tristesse de la clarinette ou du basson, il y a ici une superbe recherche d’atmosphères ou chaque geste du chef d’orchestre est suivi d’effet. Cet orchestre a véritablement un son qu’il utilise sans forcer. Le bruissement du scherzo joué dans un pizzicato ostinato donne une note d’espoir qui aboutit à une danse rustique. Avec une grande netteté de gestes, Tugan Sokhiev donne une interprétation virile, musclée et assez dramatique du dernier mouvement avec des archets dans la corde, des trompettes et trombones dont les sons ne saturent pas et des cymbales qui résonnent. Le destin semble arrêter toute note d’espoir mais toujours avec un romantisme slave débordant. L’explosion finale déclenche un tonnerre d’applaudissements. Quelle interprétation, quelle fougue, quel chef ! Un grand moment d’intensité. Pour finir sur une note enlevée et pétillante, la danse russe Trepak, du ballet Casse-noisette était donnée en bis. Un chef d’orchestre dont les gestes amènent le son, beau à voir diriger, et dont l’investissement fait déployer les archets et sonner l’harmonie. Une grande soirée. Photo Caroline Doutre