Salle du Jeu de paume, Aix-en-Provence, saison 2015
Contre-ténor Philippe Jaroussky
Piano Jérôme Ducros
“Quatuor Ebène”
Violon Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure
Alto Mathieu Herzog
Violoncelle Raphaël Merlin
Ernest Chausson: Concerto pour piano, violon et quatuor à cordes, en ré majeur op. 21; Gabriel Fauré: Mandoline – Green – En sourdine – Sicilienne; Déodat de Séverac: Le ciel est par dessus le toit; Ernest Chausson: Ecoutez la chanson bien douce; Reynaldo Hahn: Chanson d’automne; Poldowski: Mandoline – La lune blanche; Reynaldo Hahn: D’une prison; André Caplet: Green; Claude Debussy: Quatuor à cordes en sol mineur 2e mouvement – en sourdine – Fantoches – Clair de lune; Léo Ferré Ecoutez la chanson bien douce; Josef Szulc: Clair de lune; Joseph Canteloube: Colloque sentimental; Charles Bordes: O triste était mon âme; Camille Saint-Saëns: Le vent dans la plaine; Emmanuel Chabrier: Idylle; Reynaldo Hahn: En sourdine; Poldowski: Colombine; Gabriel Fauré: C’est l’extase; Claude Debussy: Mandoline – Clair de lune; Gabriel Fauré: La lune blanche; Charles Bordes:Promenade sentimentale; Reynaldo Hahn: Fêtes galantes; Léo Ferré: Colloque sentimental; Charles Trenet: Les sanglots des violons
Aix-en-Provence, le 9 avril 2015
Pendant le Festival de Pâques les concerts suivis par un public fidèle venu de tous horizons se succèdent avec la même qualité. En cette fin d’après-midi du 9 avril, Le contre-ténor Philippe Jaroussky, accompagné du pianiste Jérôme Ducros et du quatuor Ebène, était attendu avec impatience. Ce concert évènement prenait place dans le joli théâtre du Jeu de paume où chanteur et musiciens se trouvaient sur la scène comme dans un écrin, créant instantanément une ambiance propice à la poésie et à la musique. En effet, Philippe Jaroussky, après avoir enregistré Opium, un disque consacré aux mélodies françaises, allait nous faire écouter une grande partie de Green, son dernier enregistrement consacré lui, à des poèmes de Paul Verlaine mis en musique par des compositeurs différents. Plusieurs versions du même texte seront données nous faisant ainsi découvrir les diverses inspirations des compositeurs et leurs différences. Découverte aussi des arrangements de Jérôme Ducros. Nous nous demandions en venant au concert où ce trouvait l’intérêt de cet enregistrement. Pourquoi se lancer dans ces mélodies, pour suivre la mode maintenant établie chez les chanteurs d’opéra d’enregistrer tout et n’importe quoi quitte à perdre son style et le placement de la voix ? Avec une notoriété qui dépasse les frontières de l’Europe pour atteindre l’Amérique du sud et l’Asie, et une carrière couronnée de nombreux prix, Philippe Jaroussky pouvait rester dans son répertoire, certes baroque, mais assez étendu tout de même. A l’issue du concert et après presque deux heures de musique passées à être charmés, emportés dans un univers qui semblait révolu et démodé, nous nous sommes surpris à nous dire – et pourquoi pas ? Avec simplicité, cet artiste passé du piano au violon avant de se consacrer au chant, nous dévoile sa musicalité avec la candeur et l’émerveillement d’un enfant devant un cadeau de Noël. Et nous nous disons encore – et pourquoi ne pas se faire plaisir avec des genres de musique différents lorsque c’est aussi bien rendu ? – Et n’est-ce pas cette simplicité qui, au delà du talent rend Philippe Jaroussky irrésistible ? De l’enfant il a encore la voix, cette voix de tête proche du fausset, qui n’est pas une voix de femme, mais celle d’un homme, placée ailleurs que dans la poitrine, lui évitant ainsi le ” passage ” si redouté des chanteurs. Sa voix reste homogène, acceptant les nuances, le legato et les grands crescendi. Une voix éthérée qui peut même être sensuelle, nous en aurons la confirmation tout au long de ce concert. Jérôme Ducros et le quatuor Ebène nous mettaient tout de suite dans une ambiance délicate avec un extrait du concert pour piano, violon et quatuor à cordes d’Ernest Chausson, ouvrant tout grand la porte aux vibrations et aux sons éthérés. Bel ensemble, archets à la corde, avec un toucher sensible du pianiste. Passée la surprise de la première attaque, on trouve la voix tout à fait adaptée à ces pièces où le vibrato n’est qu’ébauché évitant la trop grande expressivité et préférant quelques sons blancs qui restent suspendus. Les mélodies, les chansons, ( peut-on dire chansons ? ) s’enchaînent pour ne pas rompre l’atmosphère. Chant et piano, chant et quatuor, quatuor ou piano seul, les compositeurs sont différents et les poèmes créent le lien avec plus ou moins d’intensité, mais avec le même charme. La musicalité et le style de Philippe Jaroussky ne débordent jamais et restent dans des sonorités pures sans forcer de Gabriel Fauré à Reynaldo Hahn ou Camille Saint-Saëns. Plus de rythme avec Claude Debussy, dont l’interprétation du deuxième mouvement du quatuor à cordes en sol mineur est admirable de précision dans les pizzicati et dans les oppositions de couleurs. La Chanson bien douce de Léo Ferré terminait la première partie de ce concert…. en douceur. Dans la même veine, la deuxième partie débutait avec Clair de lune, du compositeur Josef Szulc, et enchaînait avec Le colloque sentimental de Joseph Canteloube.C’est sans doute la version de ce poème ( chant, piano, quatuor ) par Léo Ferré qui nous donnera les plus belles sensations, tant chaque interprète joue avec une émotion contenue ; et peut-être ne pourrons-nous plus écouter cette pièce dans une autre interprétation. Avec une dizaines de compositions plus belles les unes que les autres, nous restons sous le charme des vibrations en pensant que ce grand jeune homme a trouvé la voix qui mène aux émotions. Le quatuor français Ebène, un des meilleurs du moment, a réussi à nous maintenir dans des atmosphères d’une haute inspiration aidé en cela par le pianiste Jérôme Ducros dont les arrangements et les interprétations nous ont enchantés. Il est, nous semble-t-il, difficile d’aller plus loin dans la perfection du style et dans la recherche musicale qui nous amène jusqu’aux accents jazzy d’une musique de Charles Trenet. Deux bis nous étaient proposés pour prolonger ce moment musical et finir sur des notes légères : Fisch Ton Kan ” Qui je suis, qui je suis ” une oeuvre inachevée d’Emmanuel Chabrier, et Colombine de Georges Brassens interprétés avec humour, Philippe Jaroussky nous faisant même entendre quelques notes de la voix grave du grand Georges. Sifflets joyeux des musiciens sur la musique qui finit, et applaudissements d’un public conquis, terminaient cette soirée. Arrivés au concert d’un pas hésitant, nous nous précipitons pour acheter le disque, pressés de retrouver cette atmosphère lumineuse et échapper à la tension morose qui règne un peu partout. Un grand bravo. Photo Caroline Doutre