Festival de Pâques, saison 2015, Grand Théâtre de Provence
Violon Maxim Vengerov
Piano Roustem Saïtkoulov
Edward Elgar:Sonate pour violon et piano en mi mineur op. 82
Serge Prokofiev: Sonate pour violon et piano N01 en fa mineur op. 80
Johannes Brahms: Scherzo de la sonate F-A-E, Danse hongroise No2 en ré mineur
Antonin Dvorak: Danse slave No2 ( arrangement Fritz Kreisler )
Henryk Wieniawsky: Légende op. 17
Fritz Kreisler: Schön Rosmarin, Liebesfreud
Niccolò Paganini: Caprice No24 en la mineur
Eugène Ysaÿe:Ballade de la sonate No3 en ré mineur, Caprice d’après l’Etude en forme de valse de Saint-Saëns
Aix-en-Provence, le 5 avril 2015
Pour nous faire partager sa passion du violon Renaud Capuçon, en artiste généreux, ne se contente pas d’interpréter lui-même les plus belles pièces écrites pour cet instrument ô combien magnifique, mais il met à l’affiche les pus grands violonistes tout en nous faisant découvrir des artistes plus jeunes qui seront les grands noms de demain. En cette soirée du 5 avril, et malgré une programmation qui tombe un dimanche de Pâques, un public enthousiaste et motivé remplissait la vaste salle du Grand Théâtre de Provence jusqu’aux derniers fauteuils pour écouter Maxim Vengerov, violoniste mythique, que nous avions pu apprécier en1995 à l’Opéra de Marseille dans une interprétation magistrale du concerto de Brahms. Brève apparition à la baguette cette fois, sur la scène de l’Opéra d’Avignon il y a quelques années pour diriger une Danse hongroise, de Brahms toujours. Ses prestations étant fort rares dans notre région, un grand nombre de musiciens et spécialement des violonistes, certains avec leurs élèves, s’était donné rendez-vous ce soir. Maxim Vengerov commence à Novosibirsk l’étude du violon dès l’âge de quatre ans auprès de parents musiciens, et donne ses premiers concerts à dix ans. Aimant la musique sous toutes ses formes, il en aborde tous les genres. Peut-être joue-t-il trop ? – trop de sport aussi dira-t-il – toujours est-il qu’il interrompt sa carrière quelques temps et troque l’archet pour la baguette de chef d’orchestre. Une opération chirurgicale réussie lui permettra de reprendre le violon pour le plaisir de tous ainsi que pour le sien, tant à le voir jouer on est persuadé que le plaisir, seul, le motive. Son complice Itamar Golan n’ayant pu venir l’accompagner ce soir, c’est le pianiste Roustem Saïtkoulov qui le remplacera. Enchaîner ainsi au pied levé un tel programme, quel défi ! Mais Roustem Saïtkoulov, qui donne de nombreux concerts de par le monde, et que l’on avait pu apprécier en août dernier lors du Festival de la Roque d’Anthéron est un très grand pianiste. Cet artiste réservé et d’une grande classe, fera ressortir sa musicalité dans un duo de charme avec le violoniste. Au programme, deux compositeurs : Edward Elgar et Serge Prokofiev et, en seconde partie, un florilège de pièces pour violon et piano ou violon seul, tel ce fameux 24ème caprice de Paganini dont Franz Liszt se servira pour écrire sa Campanella. Edward Elgar pour commencer. Que de chemin parcouru par ce compositeur anglais pour arriver à la reconnaissance du public et au titre de Sir, mais aussi, quelle belle consécration plus tard ; la première marche de ” Pomp and circumstance ” n’est-elle pas choisie pour ouvrir la dernière soirée des concerts ” the Proms ” à Londres, devenant presque aussi célèbre que l’hymne anglais ? – Un musicien progressiste – dira de lui Richard Strauss. Nous écouterons ce soir sa sonate pour violon et piano. Dès les premières notes l’engagement de Vengerov est évident avec son jeu vif, pétillant, et quelques ” portamento ” élégants. Nous nous trouvons face à la grande tradition russe de David Oïstrakh. Sa technique d’archet est irréprochable faisant sonner son Stradivarius de 1727 de façon admirable même lorsqu’il semble effleurer les cordes, et c’est avec une grande pureté de style qu’il aborde le deuxième mouvement ; les notes, pensées avant d’être jouées atteignent les auditeurs au plus profond d’eux-mêmes, avec une musique qui semble être chuchotée au creux de leur oreille. Intensité du vibrato qui monte les crescendi, longueur d’archet qui fait s’envoler le son jusqu’au fond de la salle, tout est ici d’une grande perfection. Mais ce qui fait le charme et la rareté de cette interprétation, c’est la fusion que l’on sent entre les deux artistes. Sans pratiquement jamais se regarder, ils sont reliés par une sensibilité qui les fait respirer ensemble et poser chaque note avec la même délicatesse. A voir les longues mains du pianiste, on a la sensation d’apercevoir des ailes effleurer le piano. Si Maxim Vengerov maîtrise son violon, Roustem Saïtkoulov contrôle le piano pour se mettre au diapason du violoniste et du compositeur, faisant ressortir les phrases musicales, tout en rentrant dans le son et l’expression de son partenaire dès que l’écriture le demande. Quel son chez Maxim Vengerov, et quel toucher délicat chez Roustem Saïtkoulov ! Une oeuvre jouée à deux, mais portée par un seul souffle. Serge Prokofiev, anticonformiste et avant gardiste, aura du mal à s’imposer vraiment, mort le même jour que Joseph Staline, son décès ne sera annoncé que plus tard. Sa sonate No1, composée en 1946 et créée par David Oïstrakh son dédicataire, est une oeuvre empreinte de gravité. Les deux sonates jouées ce soir sont toutes deux composées durant une période de guerre, l’une en 1918, l’autre pendant la deuxième guerre mondiale ; écrites dans un mode mineur, elles font ressortir l’atmosphère lourde de ces époques douloureuses. Cette sonate débute avec les notes sombres du piano accompagné par les trilles étranges du violon. Les deux artistes semblent enfermés dans un climat lourd, où les notes du piano paraissent sonner le glas, le violoniste jouant ses propres notes rapides en sourdine comme s’il ne voulait rein entendre, et pourtant, quel ensemble, quelle recherche….et la salle s’arrête de respirer. L’énergie revient dans un rai de lumière comme après un long engourdissement. Passer du fortissimo au pianissimo dans un même archet, quelle stabilité intérieure. Ce duo d’une précision suisse joue pourtant avec une liberté et une aisance qui donnent une impression de facilité, des notes harmoniques du violon aux sons cristallins du piano, pour aboutir à des accents un rien féroces sans dureté. Cette entente à 3 mains et un archet est surprenante et spectaculaire, et finit dans un lent pianissimo pour un moment de grâce. Autre atmosphère dans la seconde partie où Johannes Brahms, Antonin Dvorak, Henry Wienawsky et Fritz Kreisler flirteront avec Paganini et Eugène Ysaÿe pour mettre en valeur la virtuosité du violoniste où staccato volant, jettato, et spiccato feront la part belle à un archet que rien ne peut arrêter, mais avec aussi quelques incursions dans une ambiance de cabaret russe avec cette Danse slave d’Antonin Dvorak. Le public qui a retenu son souffle durant toute la première partie du concert ne peut s’empêcher d’applaudir aux moindres démonstrations acrobatiques du violoniste virtuose. Après deux heures de concert, fraîcheur et humour sont encore au rendez-vous pour ce Caprice d’après l’étude en forme de valse de Saint-Saëns, d’Eugène Ysaÿe où éclat de technique rime avec charme pour ce joli duo. Infatigable, Vengerov joue Fauré ” Après un rêve ” avec un archet d’un grand calme, mais avec encore trop d’expressivité pour de la musique française ; mais retour aux Danses hongroises de Brahms pour des bis qui s’enchaînent et finir par Massenet et sa Méditation de Thaïs jouée avec calme et retenue dans une belle longueur de souffle et des aigus d’une grand pureté. Maxim Vengerov s’est assagi, il joue avec plus d’intériorité, de sérénité aussi, aidé en cela par un pianiste qui sait faire respirer les notes, et dont le toucher est aussi délicat qu’un archet effleurant les cordes d’un violon. Un concert hors norme où technique et musicalité étaient au rendez-vous, salué par une longue standing ovation du public.