Théâtre du jeu de Paume, Aix-en-Provence, saison 2015
Alto Lise Berthaud
Clarinette Andeas Ottensamer
Piano Adam Laloum
Robert Schumann: Fantasiestücke op. 73 pour clarinette et piano
Wolfgang Amadeus Mozart: Trio Kegelstatt ( Les Quilles ) pour clarinette, alto et piano KV 498
Max Bruch: Huit pièces pour clarinette, alto et piano op. 83 ( extraits )
Robert Schumann:Märchenerzählungen, pour clarinette, alto et piano op. 132
Aix-en-Provence, le 8 avril 2015
En cette fin d’après-midi du 8 avril, 1h30 de musique de chambre nous était proposée dans le très joli théâtre à l’italienne du jeu de Paume afin d’écouter une formation de musique de chambre assez rare : alto, clarinette et piano. De grands compositeurs pourtant nous ont laissé de belles pages que l’on ne met pas assez souvent au répertoire, mais que l’on écoute avec beaucoup d’intérêt et toujours avec un grand plaisir. Le programme de cette soirée était composé de Fantasiestück de Robert Schumann pour clarinette et piano, du Trio Kegelstatt de Wolfgang Amadeus Mozart pour clarinette, alto et piano, des Huit pièces de Max Bruch pour clarinette, alto et piano (extraits), et de Märchenerzählungen de Robert Schumann pour clarinette, alto et piano. Trois jeunes artistes s’étaient réunis pour nous donner leur version sensible et romantique de ces oeuvres : le clarinettiste Andreas Ottensamer qui a formé avec son père et son frère le trio de clarinettes ” The Clarinotts “, formation d’autant plus originale, que ces trois artistes occupent chacun un poste de soliste dans des orchestres prestigieux, l’altiste Lise Berthaud, qui mène conjointement une carrière de concertiste et de chambriste, et dont l’enregistrement avec Adam Laloum comme partenaire a reçu le diapason d’or en 2013, et le pianiste Adam Laloum, qui joue aussi bien en soliste qu’en formation de musique de chambre et qui a remporté en 2009 le premier grand prix du prestigieux concours Clara Haskil. Ces trois artistes allaient nous transporter dans les ambiances feutrées des salons de musique d’une époque pas si révolue que cela, avec trois compositeurs d’époques différentes mais tombés sous le charme des sons veloutés et mélancoliques de la clarinette ou de l’alto. Robert Schumann tout d’abord avec un duo clarinette et piano écrit avec une certaine fantaisie comme son titre l’indique et interprété avec beaucoup de délicatesse. Un dialogue entre les deux instruments s’installe, Adam Laloum est un chambriste hors pair car, si l’on sent chez lui poindre le soliste, il suit les nuances du clarinettiste, restant dans les sonorités de cet instrument souvent nostalgique qui permet des pianissimi infimes. Plus vifs, plus joyeux, les deux autres mouvements enlèvent un peu de tristesse à cette oeuvre pleine de charme et de sensibilité avec des accents à la clarinette qui donnent du relief. Ce n’est pas la composition d’un homme désespéré, mais plutôt celle d’un homme qui s’interdit d’être heureux. Quelques notes de clarinette aiguës et plus stridentes justifient le choix de cet instrument qui passe facilement des sanglots au brusque réveil. Robert Schumann nous emmène dans son univers souvent tourmenté, donnant la parole au pianiste pour un dialogue où les phrases musicales se répondent avec un toucher plus que délicat. Le trio Kegelstatt que Mozart achève d’écrire en 1768, aurait été inspiré par une partie de quilles. Par contre ce qui est certain c’est que Mozart, tombé sous le charme des sons de la clarinette, est le premier a écrire pour cette formation, il aurait même tenu la partie d’alto. Cette pièce, commencée dans un tempo allant, met en valeur chaque instrument. Si Lise Berthaud avec des attaques sans trop de mordant manque un peu de présence au début, une belle recherche de sonorités fait entrer le timbre de l’alto dans le son suave de la clarinette. Le trio prend ses marques et nous donne une interprétation très musicale de cette partition. Une belle aisance d’archet et un spiccato léger mais sonore font ressortir le son de l’alto qui donne ici toute sa dimension. A l’aise aussi, le clarinettiste dialogue tour à tour avec chaque instrument, laissant au pianiste la possibilité de se faire entendre avec souplesse et agilité trouvant des sons délicats. Un trio enlevé, qui fait ressortir le tempérament de l’altiste, le jeu perlé du pianiste, les grandes qualités du clarinettiste et la recherche musicale des trois artistes. Une interprétation où l’on retrouve toutes les nuances et le caractère voulus par Mozart. Les huit pièces op. 83 écrites plus tardivement par Max Bruch, sont encore empreintes d’un romantisme qui s’exprime d’autant mieux que le piano est ici accompagné par l’alto et la clarinette, instruments romantiques s’il en est. Ecrites vers la fin de sa vie dans une esthétique académique avec un rien de modernisme, époque où il compose aussi le concerto pour clarinette, alto et orchestre, ces pièces sont de vrais petits bijoux qui mettent en valeur les trois solistes. Les quatre pièces choisies ce soir, dont trois sont composées en mineur, laissent entendre de belles phrases musicales aux envolées lyriques contenues. Avec toujours ces recherches de sonorités, le clarinettiste Andreas Ottensamer, avec des sons veloutés ou plus clairs, nous raconte son histoire, l’alto lui répond, puis le piano se fond dans la conversation. Tristesse, langueur mais aussi joie et insouciance, cette joie que ressentent ces trois jeunes artiste à jouer ensemble. Avec la pièce Mächenerzählungen écrite en 1853, nous retrouvons Robert Schumann, son écriture poétique et sa douceur d’expression. Lise Berthaud dévoile ici son énergie dans des phrases graves où son vibrato intense fait ressortir le son profond de l’alto. On apprécie les teintes de la clarinette qui vont du velouté à la clarté plus tendue des sons aigus. Adam Laloum, pianiste habité, fait sonner le piano dans des phrases élégantes, se mêlant à cette conversation musicale sans jamais couvrir les autres instruments. C’est un jeu de sonorités très délicat, qui sert l’oeuvre de Schumann, lui apportant sensibilité, force, tendresse et animation. Un trio qui a trouvé une couleur de son grâce à une écoute et une grande intelligence musicale. Retour à Max Bruch pour un bis où l’on retrouve toute la musicalité qui a fait le bonheur de ce concert. Un moment hors du temps avec ces ambiances feutrées qui émeuvent toujours. Photo Caroline Doutre