Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2015
Violon Gidon Kremer
Piano Khatia Buniatishvili
Mieczyslaw Weinberg: Sonate No2 pour violon seul op. 95
Franz Liszt: Mephisto-valse No1; La leggierezza (extrait de trois études de concert); Rhapsodie hongroise No2 (version révisée de Vladimir Horowitz)
Mieczylaw Weinberg: Sonate pour violon seul No3 op. 126
César Franck: Sonate pour violon et piano en la mineur.
Aix-en-Provence le 30 mars 2015
Après deux années d’un réel succès, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence ouvrait grand ses portes à la musique en cette soirée du 30 mars, et Renaud Capuçon et ses invités vont pouvoir renouveler l’exploit de tenir en haleine, durant deux semaines, un public de mélomanes, venu de tous horizons. En cette soirée d’ouverture, on apprenait que la pianiste Martha Argérich, souffrante, ne serait pas là. Evidemment, cette absence causait quelques déceptions, mais la salle était comble pour accueillir Khatia Buniatishvili qui allait jouer aux côtés du violoniste Gidon Kremer, qu’elle connaît bien. Cette superbe pianiste, avec aisance et gentillesse, allait modifier son planning malgré un concert à Londres imminent afin que cette soirée puisse avoir lieu. Le programme aussi allait subir quelques modifications. La sonate No5, pour violon et piano de Mieczyslaw Weinberg, serait remplacée par la sonate No2 pour violon seul du même compositeur, et un mini récital de piano serait donné à la place de la sonate pour violon et piano No8 de Ludwig van Beethoven. Gidon Kremer, fils et petit fils de violonistes est né en Lettonie, il quittera l’Union Soviétique en 1980 pour s’établir en Allemagne, et sera reconnu comme un des plus grands violoniste de son temps. Son large répertoire lui permet d’aborder des compositeurs très différents ; il nous le démontre ce soir. Le choix du compositeur Meiczyslaw Weinberg peut nous paraître étrange, et nombreux sont les auditeurs qui auraient préféré écouter Gidon Kremer dans des pièces plus classiques, néanmoins, la découverte de nouvelles oeuvres est toujours d’un grand intérêt. En effet, Mieczyslaw Weinberg, né à Varsovie en 1919 et mort à Moscou en 1996, dont la production est l’égale d’un Serge Prokofiev ou d’un Dmitri Chostakovitch restera moins joué et moins connu. La Palme d’or au Festival de Cannes en 1958 du film russe ” Quand passent les cigognes “, dont il a composé la musique, le fera connaître dans le monde du cinéma. Sa musique, au style musical assez varié, moins violente que celle de son ami Dmitri Chostakovitch, subit des influences polonaises avec des accents venus du folklore juif. Avec un début sous forme d’étude classique, Gidon Kremer nous emmène, en 7 courts mouvements, à travers une recherche d’atmosphères mais aussi d’histoires à raconter. Il arrive par sa sonorité toujours de grande qualité avec un vibrato intense en soutien, à nous intéresser tout au long de cette sonate assez déroutante pour un public peu habitué à cette musique très dépouillée. Sa belle technique d’archet lui permet des jettato au talon sonores et agréables à écouter. Justesse, solidité de main gauche, longueur d’archet, souffle, avec un son qui remplit la salle, Gidon Kremer aidé de son violon Niccolo Amati de 1641 réussit à transcrire les atmosphères inquiétantes et l’agitation ou le tourment du compositeur. Une oeuvre qui ne met pas en valeur la musicalité de l’interprète telle qu’on la conçoit, mais qui révèle ses qualités de violoniste hors pair et sa grande justesse d’interprétation. Après cet exercice de style assez épuré, Khatia Buniatishvili se mettait au piano pour interpréter des oeuvres de Franz Liszt avec une fougue et un panache qui ne sont pas seulement dus à sa jeunesse. Cette jeune pianiste géorgienne ( bientôt 28 ans ) , qui commence de façon ludique l’étude du piano à l’âge de trois ans, fait une carrière fulgurante. Dotée d’un physique de star de cinéma, avec un tempérament et un charisme époustouflants, elle ne laisse personne indifférent. Certains sont agacés, d’autres enthousiasmés, mais personne ne peut nier son professionnalisme et sa technique magnifique. Elle attaque la Mephisto-valse dans un tempo rapide, avec un jeu viril et brillant, faisant sonner le piano comme personne. On peut lui reprocher sa très grande force ou le manque de respirations parfois, mais cette interprétation personnelle fait ressortir le côté romantique et sensuel de Franz Liszt . Sous les doigts de Khatia Buniatishvili ( n’en a-t-elle que dix ? ) on redécouvre cette Mephisto-valse où le diable semble s’être caché. Avec Leggierezza, une des trois études de concert, Khatia Buniatishvili nous fait entendre avec un toucher délicat, combien elle peut être sensible, dans un phrasé et un legato au souffle long et des notes qui s’égrainent comme des perles. Son jeu naturel avec un rien de sophistication nous fait ressentir les humeurs intérieures ; et la salle retient son souffle jusqu’à la dernière vibration. La Rhapsodie hongroise No2, commencée avec noirceur est interprétée avec des rythmes marqués sans exagération et avec des trilles qui sonnent comme des cloches. Et toujours ce son, qui malgré une interprétation personnelle est toujours présent, un son qui n’appartient qu’à elle. Des pensées qui dialoguent, pour revenir à une introspection. Vélocité, nuances, pour finir dans un forte féroce. Un mini récital consacré à Liszt qui fait se soulever la salle dans des bravos enthousiastes.
La deuxième partie commençait avec une autre sonate de Mieczyslaw Weinberg, la No3 pour violon seul. Le son de Gidon Kremer est toujours aussi beau, aussi plein, avec une pâte sonore qui fait sonner chaque note dans des nuances piano, des notes suraiguës ou des jettato et l’on se laisse emporter par les vibration d’un vibrato intense. Cette sonate, plus dépouillée encore que la sonate No2 reste une gageure car, comment soutenir l’attention du public sans phrase musicale, avec simplement le velouté des sons ou le balancement des rythmes ? Gidon Kremer réussit ce pari de défendre une oeuvre, seul, devant une salle pleine, avec un violon et une partition où peu de choses sont écrites, mais avec une présence et une connaissance profonde de son instrument. Ce n’était certes pas facile. Pas facile non plus d’enchaîner la sonate de César Franck après n’avoir joué ques pièces modernes, la prise de son n’est pas la même, le poids sur l’archet change, et les sont sont plus soutenus. Le charme opère malgré un peu trop de fantaisie dans le 1er mouvement. Etonnamment, c’est Khatia Buniatishvili qui joue ici le jeu de la sobriété. loin de la fougue d’une Mephisto-valse, elle se fond dans les sonorités de son partenaire pour mettre en valeur les phrases musicales sans jamais déborder et l’on peut louer en cela sa profonde musicalité jamais prise en défaut. Si les nuances sont belles, si l’on sent une certaine recherche, on ne ressent pas l’unité d’expression ou une même vision de l’interprétation, mais on retrouve de beaux moments de dialogues dans la puissance. Le charisme de Gidon Kremer, l’intensité du son et le jeu perlé de Khatia Buniatishvili ont donné avec cette sonate de César Franck une grande leçon de musicalité. En bis, les interprètes joueront pour le plus grand plaisir du public, une pièce romantique ( No4 ) d’Antonin Dvorak dans une atmosphère sentimentale où le violon sonne comme une plainte dans un même motif repris dans différentes tonalités avec un piano en accompagnement qui arrive à faire entendre son propre discours. Puis pour terminer ce concert, Liebesleid ( chagrin d’amour ) l’une des trois pièces Alt-Wiener tanzweisen, écrites par Fritz Kreiler. L’élégance du violoniste, sa finesse de jeu où rubato et liberté sont suivis par le piano dans une valse où une certaine volupté se laisse percevoir. Un concert de grande qualité, de caractère aussi, d’où l’on sort avec le sentiment d’avoir vécu un grand moment de musique. Une ouverture de festival réussie avec une promesse d’autres grandes joies musicales. Photo Caroline Doutre