Opéra de Monte-Carlo: “Eine Florentinische Tragödie” & “Pagliacci”

Monte-Carlo salle Garnier, saison 2014 / 2015
“EINE FLORENTINISCHE TRAGÖDIE
Opéra en 1acte, livret d’après la pièce d’Oscar Wilde A Florentine Tragedy
Musique d’Alexandre von Zemlinsky
Guido Bardi  ZORAN TODOROVICH
Simone  CARSTEN WITTMOSER
Bianca  BARBARA HAVEMAN
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Direction musicale  Pinchas Steinberg
Mise en scène et lumières  Daniel Benoin
Décors Rudy Sabounghi
Costumes  Nathalie Bérard-Benoin
PAGLIACCI”
Drame en 2 actes, livret de Ruggero Leoncavallo
Musique de Ruggero Leoncavallo
Canio  MARCELO ALVAREZ
Nedda  MARIA JOSE SIRI
Tonio   LEO NUCCI
Peppe   ENRICO CASARI
Silvio    ZHENGZHONG ZHOU
Deux paysans VINCENZO CRISTOFOLI, DOMENICO CAPPUCCIO
Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo
Chorale de l’Académie de musique Rainier III
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Direction musicale Pinchas Steinberg
Mise en scène  Allex Aguilera
Décor  Rudy Sabounghi
Costumes  Jorge Jara
Lumières  Laurent Castaing
Chef de Choeur Stefano Visconti
Monte-Carlo, le 28 février 2015
C’est dans la salle Garnier, petit théâtre bijou de Monte-Carlo, que nous étions conviés à passer cette soirée placée sous le signe de la jalousie. La direction du théâtre a fait preuve d’audace en programmant ” Une Tragédie Florentine “, oeuvre d’une grande qualité mais peu jouée, couplée avec le très célèbre ” Pagliacci “. Choisies pour leur durée assez courte, ces deux pièces ont entre elles ce lien très fort: le drame de la jalousie. Deux compositeurs de styles différents, avec des approches différentes, mais d’une intensité dramatique identique : Alexandre Zemlinsky et Ruggero Leoncavallo. Et pour coordonner musique, chant et puissance émotionnelle, le chef d’orchestre Pinchas Steinberg, bien connu et toujours apprécié du public monégasque. Alexandre Zemlinsky, de confession israélite, fait partie de ces compositeurs oubliés dont les musiques considérées comme dégénérées, avaient été interdites dès 1933 dans l’Allemagne nazie ; malgré une grande notoriété à Prague et à Vienne où il était né, son exil à New York le maintiendra dans l’oubli. Entre Salomé et Elektra, Alexandre Zemlinsky entre dans dans le vif du sujet dès les premières notes avec une musique d’une force et d’une intensité particulières, pour s’apaiser et passer à un style plus doux, plus mélodieux, presque romantique. C’est sur la partie orchestrale, colonne vertébrale du drame que repose tout l’intérêt et le charme de l’oeuvre. Ce huis clos où la jalousie mène au crime se joue avec finesse parfois, hypocrisie et éclat toujours. Les personnages s’évaluent, s’observent, mais la musique nous apprend dès le début que tout finira fort mal. Fortement influencée par la musique de Richard Strauss, d’après une pièce écrite, comme pour Salomé, par Oscar Wilde, Une Tragédie Florentine nous fait entendre des accents de musique plus légère tels ces solos de violon qui rappellent les ambiances d’Ariane à Naxos, ou le rythme d’une valse. Pour cette pièce qui est passée de l’époque Renaissance aux années Mussolini, Rudy Sabounghi a créé un décor intime et de bon goût. Nous sommes ici chez un riche marchand de tissus florentin. La pièce est sobre, couverte de boiseries, ouverte sur la ville, une longue table de drapier pour tout mobilier, avec une idée qui fait descendre des cintres de longues draperies dans lesquelles le mari étranglera l’amant après un duel à l’épée. Nathalie Bérard Benoin a imaginé des costumes classiques, dans une unité de teintes rouges qui évoluent selon les personnages pour devenir plus fanées avec le costume du mari qui apparaît effacé et harassé au début ; le personnage s’affirmant, c’est dans l’habit du Dulce qu’il se présente plus tard, dévoilant ses intentions. La robe de Bianca, dans les mêmes teintes est seyante et raffinée, portée par une femme sans grand caractère qui recherche la virilité qu’elle ne trouve plus chez son mari ; elle pensera la trouver chez Guido Bardi. Daniel Benoin signe une mise en scène claire et classique, où chacun est à sa place, réglant les gestes et les déplacements sur la musique, ses rythmes et son évolution. Mais cette époque transposée enlève de la force à ce drame et le retour de Bianca même, vers son mari, perd en intensité laissant la musique seule porter la force dramatique. Le ténor Zoran Todorovich est un fringant et vigoureux Guido à la voix assurée et bien placée. Déjà apprécié dans le rôle de Dick Johnson ( La Fanciulla del West ), il s’impose scéniquement aussi bien que vocalement, avec ce petit rien de désinvolture qui sied au personnage. A l’aise, il assure ses aigus faisant ressortir le timbre chaleureux de sa voix, donnant vitalité et consistance à son personnage. S’affirmant encore dans la colère, il conserve phrasé et musicalité. La soprano néerlandaise Barbara Haveman est ici la charmante Bianca. Légère et aguichante avec Guido, elle reprend le personnage effacé face à son mari Simone. Elle évolue avec aisance et chante avec musicalité, parfois avec tendresse, toujours avec de belles nuances. Le timbre de sa voix est rond et coloré avec des prises de notes délicates d’une belle homogénéité. Barbara Haveman arrive à rendre sa prestation intéressante malgré un rôle assez effacé. Mais le rôle principal, celui sur qui repose ce drame, est Simone, le mari. Paraissant sans grand caractère au début, il se révèle manipulateur et féroce à la fin. Le baryton basse Carsten Wittmoser est ce mari. Si sa voix au timbre agréable est homogène, son allure et sa prestance nous laissaient espérer un plus grand investissement dans ce rôle clé ; Sa technique vocale lui permet de jolis phrasés nuancés mais son jeu statique, peut-être dû à une direction d’acteurs peu approfondie, rend le caractère du personnage assez flou, d’où cette fin sans grande force. Le caractère dramatique repose donc ici sur la musique superbement interprétée par un orchestre qui a su trouver les sonorités fortes ou suaves voulues par le compositeur. Le Maestro Pinchas Steinberg, prenant l’orchestre à bras le corps a donné à cette partition la force et le souffle nécessaires sans jamais oublier cette élégance qui le caractérise, nous laissant apprécier les multiples facettes de cette musique.
Le compositeur napolitain Ruggero Leoncavalo, bien qu’ayant composé divers opéras, restera pour le grand public le compositeur d’une seule oeuvre :  Pagliacci, qui sera jouée de par le monde dès sa création à Milan en 1892. Dans cet opéra vériste, introduit par un prologue, Ruggero Leoncavallo met en scène théâtre et réalité sur un livret qu’il écrit lui-même. Allex Aguilera signe ici une mise en scène au plus près du texte, respectant le lieu et l’intention de l’auteur ; seule liberté, les acteurs défilent costumés et interprètent la comédie dans leurs costumes de ville. Mais ici, théâtre, vie, drame et comédie se mélangent, laissant libre cours à quelques fantaisies. Rudy Sabounghi signe le décor qui passe de la place du village aux gradins où ont pris place les villageois. Une direction des acteurs juste donne vie à ce drame de la jalousie, dans un espace réduit où l’intensité dramatique est au rendez-vous. Les lumières de Laurent Castaingt ainsi que les costumes de Stefano Visconti conservent l’unité et le côté vériste de l’ouvrage. Dès les premières notes, Leoncavallo nous entraîne dans le vif du sujet avec une entrée en matière colorée et rythmée où les thèmes sont exposés dans une suite de mélodies et d’atmosphères inquiétantes amenant un prologue chanté avec maestria par un Leo Nucci des grands soirs. Investi, faisant résonner sa voix chaleureuse aux intonations variées, il poursuit une prestation extraordinaire de bout en bout de l’ouvrage faisant de son Tonio, l’archétype de celui par qui le malheur arrive. Aussi grand acteur que chanteur, on retrouve toutes ses qualités qui nous charment depuis tant d’années : timbre aux couleurs chaudes, puissance et rondeur de son, souffle et musicalité. A l’aise dans son jeu, il l’est aussi vocalement avec des aigus d’une sûreté absolue.  c’est une interprétation inoubliable. Nous avons ce soir avec le ténor Marcelo Alvarez (Canio ) et la soprano Maria José Siri ( Nedda ) un trio d’exception. Investi dans son jeu, avec une voix d’airain aux aigus sonores et colorés, le ténor argentin incarne un Canio humain, torturé par la jalousie, qui chante avec passion sans forcer sur la voix ou sur le style. Son ” Ridi Pagliaccio “ est d’un grand réalisme, chanté avec une profondeur qui fait ressortir la douleur. Maria José Siri est une Nedda qui arrive à tenir tête à un Canio déchaîné, aussi bien qu’au fourbe Tonio. Elle assure avec force et musicalité les Airs qui s’enchaînent faisant ressortir les différentes couleurs de sa voix, passant avec bonheur de la légèreté ( Ballatella des oiseaux ) à la colère, de la tendresse à la frayeur. Maria José Siri est une soprano complète, qui donne une grande force au personnage de Nedda, souvent interprété avec plus de fragilité. A côté de cette femme de caractère, le baryton chinois Zhengzhong Zhou ( Silvio ) paraît assez effacé. Si le timbre de la voix est agréable, le manque de projection en affadit la couleur, laissant une impression de personnage un peu en retrait. Enrico Casari est un vaillant Peppe dont la voix de ténor fait merveille dans la Sérénade, on regrette qu’il ne porte pas le costume d’Arlecchino et que le metteur en scène ait omis de lui donner une guitare, nous privant ainsi du clin d’oeil du compositeur qui fait entendre les pizzicati du violon alors qu’il s’accorde. Le choeur très présent et très investi fait ici une très belle prestation. L’orchestre fait preuve encore, dans une musique tout à fait différente de celle de Zemlinsky d’une grande souplesse et d’une belle intelligence d’exécution, faisant ressortir de superbes sonorités. Une nouvelle fois, Pinchas Steinberg nous démontre combien le chef d’orchestre fait aussi le succès du spectacle, en guidant l’orchestre, mais en donnant aussi à tous les artistes le souffle et les couleurs voulues par le compiositeur. Une soirée remarquable en tous points. Photo ©Alain Hanel photographies – OMC 2015