Marseille, Opéra municipal: “Tosca”

Marseille, Opéra municipal saison 2014 / 2015
“TOSCA”
Opéra en trois actes, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce de Victorien Sardou
Musique  Giacomo Puccini
Floria Tosca  ADINA AARON
Mario Cavaradossi   GIORGIO BERRUGI
Scarpia  CARLOS ALMAGUER
Le sacristain  JACQUES CALATAYUD
Angelotti  ANTOINE GARCIN
Spoletta LOÏC FELIX
Sciarrone  JEAN-MARIE DELPAS
Le Pâtre  JESSICA MUROLLO / RANIA SELMI
Le Prête  ANTOINE BONELLI
Roberti  MARC PIRON
le geôlier  FREDERIC LEROY
Orchestre et choeur de l’Opéra de Marseille
Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Direction musicale  Fabrizio Maria Carminati
Chef de choeur  Pierre Iodice
Mise en scène, décorsm  costumes  Louis Désiré
Lumières   Patrick Méeüs
Chef de choeur  Pierre Iodice
Nouvelle production
Marseille, le 11 mars 2015
C’est dans une toute nouvelle production que l’Opéra de Marseille nous proposait ” Tosca ” en cette soirée du 11 mars. Après avoir vu la pièce écrite par Victorien Sardou, créée en 1887, avec Sarah Bernhardt dans le rôle titre, Giacomo Puccini n’aura de cesse d’obtenir l’autorisation de l’auteur de mettre sa pièce en musique. L’opéra n’est plus là pour faire oublier les réalités sociales. Bien au contraire, avec le mouvement vériste, il met en scène des moments de la vie. Créé à Rome en 1900 et rejeté en bloc par la critique, cet opéra obtiendra un immense succès populaire jamais démenti, et sera sans doute, plus encore que Madame Butterfly, la signature musicale de Puccini. Pourtant, ” Tosca ” sera retiré de l’affiche à Paris après seulement trois représentations. Dans cette nouvelle production, le metteur en scène Louis Désiré crée aussi les décors et les costumes. Son point de vue est de nous faire ressentir cette atmosphère lourde, où la mort rôde autour des quatre personnages qui ne savent pas qu’ils vont mourir et qui continuent à vivre sans savoir que déjà tout est dit ; plus qu’une pièce de théâtre, c’est un moment de vie avec une issue fatale conduite par les évènements. Pour nous plonger dans cette ambiance d’où l’on ne peut s’échapper tout est noir, avec un décor tournant où les images s’enchaînent comme des travellings dans des scènes filmées. Noirs donc les décors, mais avec une certaine cohérence, avec un vrai parti pris, où les lumières, conçues par Patrick Méeüs nous montrent de très jolis tableaux. Le premier acte est à notre avis le plus réussi, avec des images très fortes, telle cette vision d’Angelotti seul, éclairé par une lumière crue, comme pour nous marquer visuellement après avoir entendu les premiers accords puissants et dramatiques joués par l’orchestre. Louis Désiré se sert de cette musique pour renforcer son propos. Des accessoires minimalistes, tels le prie Dieu où le petit autel où Tosca vient déposer des fleurs, mais avec un éclairage puissant. Les lumières jouent un rôle prépondérant dans cette production ; indirectes, elles éclairent le personnage principal, laissant le reste dans la pénombre. Nous nous trouvons ici devant un tableau du Caravage, là devant une peinture flamande avec ses encadrements noirs, et les portraits le La Madeleine pourraient avoir été peints par Raphaël. L’église dont le choeur est fermé par les tableaux peints par Mario Cavaradossi qui laissent passer la lumière en transparence est d’un très bel effet. Cette transparence donne de la profondeur à la scène. Bel effet aussi le choeur des enfants en robes noires, ainsi que le Te Deum chanté par des ecclésiastiques tous vêtus de noir. C’est sur ce moment très fort que se termine le premier acte avec un mouvement tournant du décor. Ce mouvement continue au deuxième acte pour nous conduire au palais Farnèse, noir, comme l’âme de Scarpia qui y loge. Longue table en forme de croix, avec un petit balcon où Tosca chantera son ” Vissi d’arte ” avant de tuer Scarpia. Ambiance lourde, ou chaque acteur tente de duper l’autre sans vraiment y parvenir. La religion est aussi omniprésente avec cette grande croix blanche projetée sur le mur qui nous fait pressentir une fin imminente. Le troisième acte, à notre avis, manque un peu d’envergure, comme si tout avait déjà été dit. L’enfermement de Mario derrière les barreaux est un peu restrictif visuellement et empêche son Air ” E lucevan le stelle ” de prendre toute sa dimension. Il tombe, sans peloton d’exécution, comme si la mort l’avait touché au coeur bien avant ce moment, et Tosca reste seule devant le gouffre de cette mort inattendue qui la frappe. On aurait aimé une fin plus traditionnelle, mais pourquoi pas après tout, rester comme Tosca en équilibre devant la mort avec pour seule conclusion les accords de l’orchestre. L’image est certainement frappante. Les costumes, aussi de Louis Désiré, restent dans la ligne de ce drame voulu intime, où seule la robe de Tosca dans un soyeux tissu jaune donne une couleur qui, de ce fait, marque encore les esprits. Adina Aaron est une belle Tosca qui a de l’allure et une voix au timbre agréable. Ses aigus qui vont jusqu’aux contre-ut sont assurés et pleins avec un souffle long qui n’épuise jamais ses réserves. Si sa voix s’est arrondie depuis son dernier ” Trouvère ” chanté sur cette même scène en 2012, on remarque toujours son manque de projection qui enlève un peu de percutant à sa voix. C’est une Tosca tout à fait crédible faisant preuve de force face à un puissant Scarpia, mais nous donnant de beaux moments de musicalité. Elle arrive à nous faire sentir cette tension qui règne dans tout l’ouvrage et à nous émouvoir dans ses duos avec Mario. On pourrait peut-être lui reprocher un léger manque d’intériorité dans son ” Vissi d’arte ” chanté sans grandes nuances, mais Adina Aaron est ici une Tosca de premier plan sur qui repose le succès de l’oeuvre. Giorgio Berrugi qui chante pour la première fois sur la scène marseillaise est un Mario Cavaradossi convaincant. Sa voix chaleureuse au timbre agréable nous livre un Mario vaillant et émouvant aux aigus faciles et colorés. La musicalité se fait sentir dans son phrasé, avec de belles prises de notes. Son ” Victoria ” est puissant, clair avec une belle longueur de souffle et chaque Air, jusqu’au célèbre ” E Lucevan le stelle ” est un moment d’émotion. Ancien clarinettiste, il a gardé de la pratique de cet instrument le souffle et la ligne de chant. Giorgio Berrugi fait ici une prestation remarquée, et on attend le plaisir de l’entendre à nouveau dans un autre ouvrage. Carlo Amalguer, que nous avions déjà apprécié dans le ” Touvère ” ( Le comte de Luna ) sur la scène marseillaise en 2012, est ici Scarpia, un Scarpia inquiétant, puissant, violent même, dont la voix est à la hauteur du physique et du rôle. Carlo Amalguer a sans conteste ” une voix ” , une voix de baryton naturelle dont le timbre chaleureux ne perd rien de sa couleur dans la puissance. A l’aise dans son jeu, il l’est aussi vocalement, avec une belle homogénéité, des graves jusqu’aux aigus. On aimerait simplement un peu pus de nuances et de souplesse dans son interprétation, ce qui nous donnerait à voir cette facette plus sournoise de Scarpia. Antoine Garcin campe ici un Angelotti qui prend toute sa dimension et arrive à être beaucoup plus qu’un personnage secondaire rejoignant ainsi l’idée du metteur en scène de mettre chacun de ces quatre personnages face à sa destinée. Sa voix puissante et bien placée est percutante et son excellente diction lui permet de faire résonner les graves. Avec un jeu sobre et juste, une voix puissante, et mis en valeur par les éclairages, Antoine Garcin est un Angelotti  très présent et très apprécié. Cette distribution homogène nous propose un sacristain chanté par Jacques Calatayud, tout à fait bien dans son rôle ; souvent interprété d’une façon un peu humoristique, ce personnage est joué ici avec sérieux et naturel. Ce baryton basse à la voix bien placée donne la réplique à Mario ou à Scarpia avec du rythme et dans une belle mise en place donnant du caractère au personnage. Loïc Félix, toujours investi et à l’aise dans ses rôles, (on se souvient de ses prestations dans Orphée aux enfers à Marseille, ou Ariane à Naxos à Toulon, entre autres) , est ici un Spoletta remarqué aussi vocalement, nous faisant entendre avec plaisir sa voix de ténor percutante. Jean-Marie Delpas, toujours à l’aise aussi dans ses rôles, est un Sciarrone tout à fait en place. Une mention aussi pour Frédéric Leroy qui incarne le geôlier avec un beau timbre de basse et une belle allure. Il est toujours intéressant de noter les bonnes prestations des artistes du choeur. C’est le cas ici, avec Frédéric Leroy, toujours à sa place dans chaque intervention effectuée sur cette scène. Dans une bonne mise en place, Rania Selmi nous fait entendre sa voix fraîche et juvénile dans le rôle du berger. Le choeur préparé avec soin par Pierre Iiodice, nous donne un choc émotionnel avec ce Te Deum. Pour cette proposition de ” Tosca ” que nous avons trouvée différente et très marquante, l’Opéra de Marseille avait fait appel au Maestro  Fabrizio Maria Carminati, pour diriger cet orchestre qu’il connaît bien. Faisant sonner les cordes et les divers instruments de l’harmonie sans jamais couvrir les chanteurs, ce chef d’orchestre joyeux a su endosser ici la redingote ajustée au drame de la pièce, et donner les inflexions voulues pour coller au plus juste avec l’idée du metteur en scène. Dès les premiers accords tombant tel un couperet le ton est donné. Le Maestro Carminati guide l’orchestre avec souplesse et fermeté dans des tempi appropriés, l’emmenant vers des éclats jamais trop sonores, ou des accompagnements sensibles qui prennent les couleurs des voix de chaque personnage. C’est une direction pensée, mais pas trop intellectualisée, qui sait garder la spontanéité et le rythme contenus dans cet ouvrage, avec les accents dramatiques et la puissance d’un Te Deum remarquable. Un orchestre attentif qui donne beaucoup de relief à un opéra qui n’en manque pas, avec un pupitre de violoncelles mis à l’honneur par Puccini, et qui nous fait entendre solo et soli d’une grande qualité. Une Tosca où chanteurs, chef et metteur en scène ont été ovationnés et qui restera sans aucun doute dans les mémoires. Mais quel est donc le secret d’un succès ? Un bon chef, un bon plateau, et une belle mise en scène. Peu de choses en somme. Opéra retransmis en direct vendredi 20 mars avec quelques minutes de différé sur FR3 Corse. Photo Christian Dresse