Marseille, Opéra municipal, saison 2014 / 2015
“LES CAPRICES DE MARIANNE”
Opéra comique en 2 actes, livret de Jean-Pierre Grédy, d’après la pièce d’Alfred de Musset
Musique Henri Sauguet
Marianne AURELIE FARGUES
Hermia JULIE ROBARD-GENDRE
Octave MARC SCOFFONI
Coelio FRANCOIS ROUGIER
Claudio NORMAN D.PATZKE
Tibia CARL GHAZAROSSIAN
L’aubergiste XIN WANG
Le chanteur de sérénade GUILLAUME ANDRIEUX
La duègne JEAN-VINCENT BLOT
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Claude Schnitzler
Mise en scène Oriol Tomas
Décors Patricia Ruel
Costumes Laurence Mongeau
Lumières Etienne Boucher
Coproduction Centre Français de Promotion Lyrique
Marseille, le 30 janvier 2015
Il est agréable de constater que les scènes lyriques n’hésitent pas à prendre des risques en programmant des oeuvres méconnues ou injustement oubliées, mais qui sont toutefois le reflet de certaines époques. Nous replonger dans ces climats nous permet de faire une pause souvent apaisante et intellectuellement enrichissante. Nous devons le plaisir de cette reprise au Centre Français de Promotion Lyrique, ( présidé par Raymond Duffaut ) qui a su fédérer une quinzaine de théâtres lyriques pour que ce projet aboutisse, mettant en lumière de jeunes chanteurs. C’est donc avec curiosité que nous prenions le chemin qui mène à l’Opéra de Marseille en cette soirée du 30 janvier, pour assister à la deuxième représentation des Caprices de Marianne ( casting No 2 ) . Cette pièce d’Alfred de Musset, très souvent jouée au théâtre, présentée par des metteurs en scène célèbres ( Jean Vilar, Lambert Wilson.. ) pour n’en citer que deux, a été boudée par le public sous sa forme opéra. Créé au Festival d’Aix-en-Provence en 1954, à la demande de Gabriel Dussurget, fondateur de ce festival, cet opéra verra le jour sur une musique d’Henri Sauguet, avec des décors conçus par le peintre Jacques Dupont et sur un livret de Jean-Pierre Grédy, qui fera pendant 40ans les beaux soirs du théâtre de boulevards avec son complice Pierre Barillet. Le public marseillais qui avait déjà accueilli favorablement en 2012 ” La Chartreuse de Parme ” du même Henri Sauguet, ne s’attendait pas à écouter de grands Airs dans le style de ceux écrits par Giuseppe Verdi, et si la salle n’affichait pas un complet rédhibitoire, un public choisi et éclairé était au rendez-vous, réservant à cette représentation des Bravi et des applaudissements chaleureux. Un travail soigné, sans fausse note où tout est à l’unisson, du plus petit détail de mise en scène aux inflexions de l’orchestre nous était proposé. Henri Sauguet nous livre ici une partition encore plus aboutie que celle écrite pour” La Chartreuse de Parme ” , dans un patchwork de séquences musicales appropriées, dont les harmonies, qu’elles soient tonale, atonales ou polytonales, ne heurtent jamais l’oreille. Les rythmes cadencés, balancés, servent à définir les personnages. Cette musique descriptive pourrait servir d’étude de caractères, présentée de façon claire et colorée. La partie orchestrale très riche et fouillée, reste pourtant subtile et délicate, laissant écouter les chanteurs sans les obliger à forcer la voix. Claude Schnitzler est à la baguette ; ce chef d’orchestre français, déjà apprécié à Marseille pour avoir dirigé des oeuvres de compositeurs aussi différents que Gian Carlo Menotti ou Richard Wagner, aime la musique française et la défend avec beaucoup d’acuité et de sincérité. Faisant ressortir les couleurs voulues par le compositeur, il s’arrange pour ne jamais couvrir les voix tout en les soutenant jusque dans les pianissimi. Cette direction intelligente et sensible, permet à l’orchestre, toujours à l’écoute, de s’exprimer en gardant une belle rondeur de son, que l’on retrouve dans la petite harmonie, les cuivres et les interventions de trompette. Une lecture musicale en adéquation avec la proposition scénique. Cette oeuvre est présentée ici comme une pièce théâtrale mise en musique, mettant en scène les sentiments délicats d’amour et d’amitié. Et si les passions peuvent amener au crime, cela est fait sans une grande violence, qu’elle soit musicale ou visuelle. Patricia Ruel a imaginé un décor unique d’une étrange beauté et, puisque nous sommes à Naples, La Galerie Umberto Ier est choisie avec justesse pour être le lieu où se déroulera l’action. Sommes-nous encore dans le théâtre classique, ( unité de lieu, de temps et d’action ) ? Mais ce qui fait l’originalité de ce décor est que tout en respectant la configuration de cette Galerie, elle est présentée dans une perspective se rétrécissant vers le haut, vers la verrière, menant à une élévation de la pensée et des sentiments. Des arcades, laissant apercevoir l’intérieur d’une taverne et l’entrée de la maison de Marianne, et puisque tout ce passe ici, la fontaine servira de lieu de réunion ou de salle de bain, donnant l’occasion à Coelio et à sa mère de se retrouver pour un moment d’intimité ; Une coiffeuse choisie avec soin nous laissera entrer dans la chambre de Marianne, et une voiture ambulante vendant des beignets nous ramènera vers l’extérieur. C’est charmant, minimaliste, ingénieux et traité avec beaucoup de goût. Oriol Tomas se sert du décor pour une mise en scène d’une grande justesse tout en délicatesse ; une direction des acteurs intelligente permet une lecture des sentiments sans grandiloquence mais avec humour et finesse, laissant la liberté à chaque acteur de faire ressortir ses propres sentiments. Rien n’est poussé à l’extrême, ni le personnage de Claudio caricaturant un magistrat, pas plus que celui de Tibia, homme de main de Claudio, mi rocker, mi gravure de mode style Jean-Paul Gaultier. Les lumières d’Etienne Boucher sont simples, efficaces, en accord avec l’action, et transforment la Galerie avec des couleurs pastel ou d’un rouge plus vif, en passant par un éclairage néon plus cru au moment du carnaval, faisant ressortir les édifices en grisaille. C’est simple et réussi. Les costumes de Laurence Mongeau sont un savant mélange de modernité, de romantisme des années 5O, et d’un débridé carnavalesque, gardant toutefois une certaine retenue, avec un lapin blanc aux longues oreilles, des grosses têtes en carton pâte ( sommes-nous chez Alice au pays des merveilles ? ), en passant par la Duègne, travesti immense en longue jupe stricte, pour arriver à une Marianne style Audrey Hepburn habillée par Givenchy. Bon goût et allure font la part belle à l’humour et à l’élégance. Visuellement nous sommes gâtés et l’on sent que le public apprécie. Les voix ont ce ” je ne sais quoi ” qui fait que la pièce est réussie. La ligne de chant est typique de ces compositeurs lyriques français, pas d’Airs ou très peu, et quelques mélodies sans grandes envolées, mais les notes délicatement posées et délicatement chantées font que chaque chose est à sa place. De belles phrases tout de même et, s’il est vrai que le texte perd en force lorsqu’il est mis en musique, il garde ici, ( bien que tout ne soit pas de Musset ) le charme et l’étrange pouvoir de nous transporter dans les sentiments du début du XIXe siècle. Aurélie Fargues est ce soir Marianne, brune, fine et pétillante, elle sait passer du badinage à l’indifférence avec nuance tout en gardant un pouvoir de séduction. Sa voix fraîche vocalise avec légèreté ; si elle ne possède pas une grande voix, elle a la puissance requise pour des aigus éclatants et une homogénéité dans chaque registre qui permet d’apprécier son timbre agréable et la fluidité de sa ligne de chant ; sensibilité, musicalité et jeu d’une grande justesse, font partie de ses atouts. Julie Robard-Gendre est Hermia, grande, brune, silhouette longiligne sculptée dans une robe noire élégante, elle arrive par sa voix profonde à nous transmettre les émotions d’une mère inquiète, une voix juste et bien placée qui s’accorde avec celle de Coelio pour un duo tout en retenue. Marc Scoffoni est un Octave qui ne force pas son personnage ; ce baryton à l’émission claire mais ronde sait faire ressortir la profondeur de ses sentiments par les inflexions de sa voix jamais prise en défaut. Il forme avec Coelio, à la voix de ténor mesurée, ce personnage bicéphale, deux têtes, deux voix, différentes mais semblables qui s’unissent dans un duo pour une seule voix. François Rougier incarne ce jeune homme amoureux, sensible, romantique et mélancolique, pris entre son drame intérieur et le badinage qu’il ne comprend pas. Il chante avec sensibilité, prenant les notes avec délicatesse. Il est émouvant dans ce rôle, comme en retrait dans un monde étranger. Le magistrat de Norman D. Patzke est lui tout à fait affirmé ; avec une voix de baryton basse, il assume ce personnage sans trop le caricaturer, faisant résonner sa voix grave dans un jeu sobre, débordé parfois par ses émotions. Carl Ghazarossian interprète Tibia avec mesure, sachant apporter un peu de fantaisie à ce drame ; il est à l’aise dans ce costume déjanté et chante avec intelligence tout en faisant ressortir les nuances et le rythme sans forcer. Xi Wan est un aubergiste de qualité qui défend avec une belle rondeur de son cette chanson napolitaine, peut-être la seule vraie mélodie de l’ouvrage. Voix bien placée, chant propre et clair qui sait mettre de l’expression tout en donnant de jolis aigus. Une autre petite sérénade, chantée avec conviction et musicalité par Guillaume Andrieux nous est proposée. Jean-Vincent Blot est une Duègne que l’on remarque, malgré un rôle vocalement très court ; faisant résonner ses Ora pro nobis, il sait aussi faire entendre sa voix grave dans le magnifique quatuor du IIe acte. Une équipe de chanteurs homogène évoluant dans un cadre bien choisi, accompagnée par un orchestre qui a su s’intégrer intelligemment pour former un spectacle divertissant avec toujours ce qu’il y a de grave dans les oeuvres d’Alfred de Musset. Une soirée un peu hors du temps avec de grands moments de musicalité. Photo Christian Dresse