Marseille, Opéra Municipal, Saison 2014 / 2015
“L’ELISIR D’AMORE”
Opéra en deux actes, livret de Luigi Balocchi et Etienne de Jouy.
Musique de Gaetano Donizetti
Adina INVA MULA
Giannetta JENNIFER MICHEL
Nemorino PAOLO FANALE
Belcore ARMANDO NOGUERA
Dulcamara PAOLO BORDOGNA
L’assistant de Dulcamara ALESSANDRO MOR
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Mise en scène Arnaud Bernard
Décors et costumes William Orlandi
Lumières Patrick Méeüs
Production Théâtre du Capitole
Marseille, le 23 décembre 2014
Gaité et tendresse sont au programme pour ces fêtes de fin d’année à l’Opéra de Marseille, avec un Elixir d’amour enjoué, dans une production où humour et poésie se côtoient. Créé au théâtro Canobbiana à Milan le 12 mai 1832, ce melodrama giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti obtient un succès proche du triomphe dès la première représentation. Il sera d’ailleurs joué plus de trente fois la première année, représenté dans trente six pays, et traduit en quatorze langues. Ce succès jamais démenti est certainement dû à un sujet intemporel traité avec légèreté, à une musique qui fait la part belle aux Airs, mais aussi à une musique qui ne se contente pas d’accompagner les chanteurs, avec de belles pages écrites pour le Choeur. Entre opéra comique et opera buffa, teinté de comedia dell’arte, L’Elixir d’amour promet de nous faire passer un moment agréable et plein de charme, pour peu que la production l’ait décidé. Ce sera le cas en cette soirée du 23 décembre. Donnée pour la première fois à Toulouse, il y a plus de dix ans, cette production n’a pas pris une ride, plus amusante que burlesque, et plus attendrissante qu’hilarante. Le metteur en scène Arnaud Bernard a voulu placer l’accent sur le côté tendre des sentiments, en se servant de la poésie contenue dans l’ouvrage sans tomber dans le folklore villageois. Une direction des acteurs millimétrée, avec des déplacements qui donnent du rythme sans toutefois fatiguer le spectateur. Une recherche dans les ” mimiques ” aussi bien que dans les gestes donnent à ce spectacle une dimension où légèreté et profondeur s’ entremêlent. Avec des ” arrêts sur images “, l’opéra de déroule comme si l’on feuilletait un album de vieilles photos, dans des teintes sépia ou bleu monochrome. D’abord statiques, les personnages s’animent et donnent vie à chaque photo. C’est une idée originale qui nous ramène à une enfance pas si éloignée que cela. Peu de décors sinon pas du tout, mais des panneaux coulissants qui nous transportent à l’intérieur d’un appareil photo ; l’objectif s’ouvre, se ferme en changeant d’angle et crée ainsi des atmosphères différentes. Ici, nous ne sommes pas au XVIIIème siècle, mais au début des années 1900, et tout fonctionne parfaitement, avec une économie de moyens qui donne de l’espace. Le rideau s’ouvre sur une scène bucolique, avec des champs projetés où s’activent des paysans joyeux, puis c’est une route de campagne qui apparait pour permettre à la voiture de Dulcamara d’arriver. Car ici, la grande star est cette superbe voiture qui sert à transporter les bouteilles d’élixir aussi bien que de décor, une fois fleurie, pour la photo du mariage. Une grande tente est montée pour abriter le banquet ; tout est fait pour suggérer plus que pour imposer. Nous restons dans l’artistique des photos anciennes ovales, style photos d’école ou photos souvenirs grâce à un taps transparent formant l’encadrement. L’appareil photo est lui aussi omniprésent, nous permettant de savourer ce spectacle à travers son objectif d’où s’échappera d’ailleurs Dulcamara à la fin du spectacle, une fois sa tâche accomplie, comme dans un conte pour enfants. Des idées amusantes : Dulcamara se changeant derrière un paravent, d’où il émerge en petite tenue, ou Belcore arrivant sur un tricycle suivi par ses soldats ; tous les éléments propres à une époque où le public désireux de s’amuser se délectait des pièces de théâtre écrites par Georges Feydau, sont réunis ici pour nous divertir. Les costumes ainsi que les décors sont imaginés par William Orlandi. Les costumes bien coupés, seyants, aux couleurs passées telles qu’elles apparaissent sur les photos apportent une touche d’authenticité à un récit tout à fait cohérent. Les lumières de Patrick Méeüs restent dans cette recherche de style et d’atmosphères qui font de ce spectacle une réussite. Mais au delà du visuel, à l’opéra, rien ne peut fonctionner sans une homogénéité et une osmose entre plateau et fosse d’orchestre. Plus encore que dans l’opera seria, l’opera buffa doit être millimétré, car les vocalises et la vélocité des paroles demandent une grande rigueur ” pour faire mouche “. que dire de ce casting sinon qu’il est de haut niveau et aussi en rapport avec l’atmosphère voulue par le metteur en scène. Chaque rôle et chaque interprète est à sa place, avec un unisson de style et d’interprétation ; aucun trait n’est trop poussé et tout est réglé avec mesure. Inva Mula est ici la coquette Adina. Du rôle elle a le physique : jolie, menue, mutine ; elle interprète sans forcer cette jeune fille érudite, qui se veut libérée mais qui ne résistera pas pas longtemps à l’amour de Nemorino. Vocalement, c’est aussi parfait. On pouvait se demander, après l’avoir entendue dans des rôles tels que Rozen ( Le roi d’Ys ) ou Desdemona (Otello ) à Marseille et même dans l’immense théâtre antique d’Orange, comment elle allait aborder ce rôle plus léger. Nous ne sommes pas déçus, bien au contraire ; grâce à une technique parfaite et à son style irréprochable, elle peut aborder avec facilité et en toute liberté, vocalises, sauts d’intervalles, pianissimi et contre-ut. Elle joue et chante avec une aisance qui nous laisse pantois. Avec quelle délicatesse est prise chaque note, et avec quelle subtilités sont faites les nuances ! Nous sommes sous le charme de cette voix cristalline, et d’une Inva Mula au sommet de son art. Parler de sa prestation, c’est aligner les superlatif, et nous nous associons au public pour lui crier Brava ! A ses côtés, et dans un rôle beaucoup moins important mais qui donne l’occasion de se faire remarquer lorsqu’il est interprété avec talent, nous écoutons Jennifer Michel, déjà appréciée il y a peu à l’opéra de Toulon dans le rôle de Rose ( Lakmé ) et qui est ici Gianetta. Nous retrouvons les qualités qui lui sont propres : une voix claire, bien placée, qui permet de se faire entendre dans les ensembles, une belle technique qui laisse écouter son timbre agréable, et une pertinence de jeu tout à fait appropriée à cette mise en scène. Gaetano Donizetti, a écrit ici avec bonheur pour les voix d’hommes, tout en nous laissant entrevoir une étude de caractères tant ces différents personnages sont décrits avec justesse. Un ténor, un baryton, une basse buffa, et nous avons là un panel vocal de toute beauté. Paolo Fanale, est le Nemorino rêvé : un physique approprié, dont il joue avec justesse et subtilité, un sourire à faire fondre les coeurs – Adina n’y résistera pas – et une interprétation intelligente qui laisse ressortir les émotions de ce jeune homme amoureux. Déjà apprécié en 2013 sur cette même scène dans le rôle de Tito, ( La clémence de Titus ), nous le retrouvons ici avec les mêmes qualités, et plus encore. Paolo Fanale passe de Mozart à Donizetti, du seria au buffa avec une aisance et une justesse d’expression époustouflantes. Si sa voix n’est pas ce que l’on pourrait qualifier d’exceptionnelle, il possède une technique, une musicalité, une ligne de chant et surtout une intelligence musicale qui font de lui un artiste de haut niveau. C’est un parcours sans faute, et l’on peut se demander où il trouve les inflexions de sa voix pour rendre ce personnage aussi touchant, aussi amusant parfois, et aussi juste toujours. Le timbre est agréable dans chaque registre, et chaque Air ( bien que d’émotion différente ), est chanté avec sensibilité. Et que dire d’Una furtiva lagrima, interprété comme il se doit avec délicatesse, sans recherche d’effets qui ne sont pas de mise ici ? Applaudi encore et encore par un public qui le voyait avec les yeux d’Adina, nous sommes certains d’avoir vécu un moment de grâce et nous nous réjouissons à l’idée de l’entendre très bientôt dans Falstaff sur la scène de l’Opéra de Marseille. Le baryton argentin Armando Noguera, est un Belcore à la voix chaude et profonde. A l’aise dans ce rôle de composition, il est un sergent bourreau des coeurs sympathique et amusant, qui fait ressortir les excès de son tempérament avec rythme et humour. Sa voix sonore et bien placée est mise au service d’un jeu qui rend ce personnage tout à fait crédible ; il a lui aussi une belle technique qui lui permet une élocution rapide avec des notes percutantes. Son timbre chaud laisse ressortir les graves et l’on apprécie Armando Noguera, aussi bien pour sa prestation d’acteur, que pour ses qualités vocales, tant il est le Belcore souhaité. Le rôle de Dulcamara est confié à un baryton : Paolo Bordogna. Si la voix manque un peu des résonances graves, et le personnage un peu de cette rondeur habituelle aux voix de basse buffa, Paolo Bordogna n’en n’est pas moins un Dulcamara de tout premier plan. Il donne à ce charlatan, une truculence et même une humanité parfois, qui cadrent tout à fait avec l’intention de cette production. En redingote et chapeau haut de forme, c’est un riche bourgeois qui descend de sa belle voiture. Il porte avec autant d’allure le costume de clown que l’habit de bourgeois et se met au service de l’ouvrage avec beaucoup d’aisance. A l’aise, il l’est aussi vocalement, volubile, ses notes sont percutantes et sonores avec une technique qui le laisse libre pour une interprétation éblouissante de vitalité et de justesse. Alessandro Mor, joue le rôle de l’assistant de Dulcamara avec intelligence et pertinence, rendant ce personnage assez présent. Le Choeur de l’Opéra de Marseille fait montre encore une fois de sa bonne préparation et de son grand investissement. Vocalement en place, il donne vie à cette mise en scène tout en faisant ressortir par des mouvements lents ou des courses folles les intentions voulues par le metteur en scène. Le Choeur de femmes du IIe acte est particulièrement remarqué, avec un engagement aussi bien scénique que vocal. Un grand bravo à Pierre Iodice, chef de ce Choeur qui donne toujours le meilleurs, et qui tient ici, au piano-forte, la partie de continuo pour des récitatifs précis qui soutiennent les chanteurs. C’est le Maestro Roberto Rizzi Brignoli, déjà apprécié pour sa direction dans Le Comte Ory en 2012, qui dirige cet Elixir d’amour avec fougue et détermination. Si quelques légers décalages se font quelquefois sentir, il apporte couleurs, rythmes soutenus et belles sonorités à la partie orchestrale, tout en soutenant les chanteurs sans jamais les couvrir. Très italien dans sa façon de diriger, il donne beaucoup de relief à cette musique enjouée, où la tendresse se retrouve toujours au détour d’une mesure. Très applaudi, il coordonne ce succès avec une grande élégance. Une soirée qui donne déjà un petit goût de fête pour une fin d’année joyeuse où l’émotion perce sous les notes percutantes ou le staccato. Un grand bravo à cette production qui a su enchanter le public. A l’affiche jusqu’au 4 janvier. Photo Christian Dresse