Opéra de Toulon, saison 2014 / 2015
ANNA BOLENA
Tragedia lirica en 2 actes, livret de Felice Romani
Musique Gaetano Donizetti
Enrico VIII SIMON ORFILA
Anna Bolena ERMOLENA JAHO
Giovanna Seymour KATE ALDRICH
Riccardo Percy ISMAEL JORDI
Smeton SVETLANA LIFAR
Rocheford THOMAS DEAR
Hervey CARL GHAZAROSSIAN
Orchestre et choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Giuliano Carella
Mise en scène Marie-Louise Bischofberger
Décor Erich Wonder
Costumes Kaspar Glaner
Lumières Bertrand Couderc
Toulon le 16 novembre
Un dimanche après-midi à Toulon placé sous le signe du belcanto où Gaetano Donizetti était à l’honneur. Anna Bolena, le 29ème opéra composé, mais peut-être son premier chef d’oeuvre marquant, est créé en 1830 au théâtre Carcano de Milan, et malgré un immense succès, cet opéra sera un peu oublié au cours des années 1870. C’est sa reprise en 1957 à la Scala, avec Maria Calas dans le rôle-titre et dans une mise en scène de Luchino Visconti, qui lui redonnera ses lettres de noblesse. Cet opéra écrit dans un pur style belcanto baigne dans un climat dramatique et demande des chanteurs aux caractères forts et dotés d’une belle technique. Avec ses nombreux Airs et ses nombreux Duos, cet opéra est basé principalement sur le chant. La mise en scène est confiée à Marie-Louise Bischofberger ; plutôt tournée vers le théâtre, c’est sa collaboration avec Luc Bondy qui la mènera à l’opéra. Marie-Louise Bischofberger prend ici le parti de privilégier les sentiments et les conflits intérieurs d’Anna Bolena et de Giovanna Seymour, faisant ressortir le côté intimiste de l’opéra. Cette production, déjà donnée au Grand Théâtre de Bordeaux, a été ici adaptée pour une scène plus petite. Une direction des acteurs sobre, traditionnelle et juste, fait ressortir les doutes et les peurs des personnages sans côté mélodramatique, même la scène de la folie du dernier acte est pensée et jouée avec maîtrise. C’est une mise en scène sans grande originalité, mais lisible et agréable à regarder. Certains détails, tel le lit de la reine dans lequel se glisse Smeton, ou l’intervention de la fille du roi et d’Anna Bolena qui deviendra la reine Elizabeth Ière d’Angleterre, n’apportent rien, ils pourraient même faire penser à ces pièces anglaises très sérieuses où intervient quelques fois un personnage un peu farfelu, sans doute est-ce ainsi qu’est traité le rôle de Smeton. Les décors d’Erich Wonder sont assez minimalistes et, s’ils ne correspondent en rien au château de Windsor ou à la tour de Londres, ils ont au moins le mérite de se faire oublier et de ne déranger en rien le climat dramatique. Des découpes géométriques laissant apparaître le ciel, ou noires sur fond rouges avec des bougies allumées au début, font de jolis tableaux. Le trône omniprésent est pour le moins étrange, mais est-ce vraiment un trône ? Les lumières de Bertrand Couderc sont assez sombres et souvent dans des tons de bleu soutenu, mais là encore, elles font partie de cette atmosphère angoissante qui règne dans tout l’ouvrage. Seuls les costumes, plus intemporels que correspondant à l’époque, sont peu réussis et, mises à part les robes d’Anna Bolena et de Giovanna Seymour, coupées dans des tissus riches et soyeux, ou les manteaux du roi qui se voudraient somptueux, les autres costumes sont plutôt pauvres et peu seyants. Une atmosphère lourde et intime ressort de cette production. L’interprétation des chanteurs correspond tout à fait à la ligne voulue par la metteur en scène. Nous connaissions déjà Ermolena Jaho pour l’avoir entendu à Marseille en 2005, dans le rôle-titre de La Traviata, et plus récemment à Toulon dans Les Dialogues de carmélites où elle interprétait Blanche de la Force. Elle est ici une reine blessée, meurtrie mais courageuse. Remettant en question ses actions passées, elle devient plus sensible et affronte son destin avec beaucoup de noblesse. La soprano albanaise incarne le personnage avec sensibilité. Altière au début, elle émeut par son jeu et sa voix tout au long de l’ouvrage. La voix justement, est mise au service du rôle, émouvante par le timbre, chaude par la couleur, moelleuse par le vibrato. Sa superbe technique lui permet une grande maîtrise, passant de la prière aux incantations ou à la colère tout en conservant le velouté de sa voix. Soprano dramatique aussi bien que colorature, elle nous fait entendre des vocalises agiles qui atteignent les notes aigües avec facilité, et des phrases musicales au style impeccable. Aucune dureté dans la voix, mais beaucoup de souplesse jusque dans les duos intenses et sensibles. Ermolena Jaho fait sans conteste partie des grandes interprètes de ce rôle. Kate Aldrich est une mezzo-soprano à la hauteur de ses ambitions de nouvelle souveraine. Ses affrontements ainsi que ses mouvements de tendresse envers la reine se font sentir dans les inflexions de sa voix ; elle interprète avec sobriété cette Giovanna Seymour en proie elle aussi aux doutes avec une voix chaleureuse et bien placée. Très éclectique dans ses choix, elle passe de La Clemenza di Tito (applaudie à Marseille en 2013 dans le rôle travesti de Sesto ) à Carmen, rôle qu’elle interprétera aux Chorégies d’Orange en juillet 2015 aux côtés de Jonas Kaufmann. Elle possède une véritable voix de mezzo-soprano dont elle se sert avec intelligence et musicalité, passant avec bonheur des vocalises, aux longues notes tenues sur le souffle. Elle aborde chaque registre avec homogénéité tout en gardant ce timbre chaud qui lui est propre. Voix intermédiaire, sa diction et sa bonne projection lui permettent de se faire entendre dans les ensembles sans avoir besoin de forcer. Vaillante dans ses Airs ou dans l’affrontement avec la reine, elle sait se faire tendre et émouvoir dans les somptueux duos chantés avec Anna Bolena où sa voix profonde se mêle avec une grande musicalité au soprano dramatique. Deux voix différentes liées par un même phrasé et avec une vision identique de la ligne de chant. Le rôle de Smeton était confié à la troisième voix féminine de cet opéra: Svetlana Lifar. Sa voix grave de mezzo dramatique, presque contralto, lui permet d’aborder ce rôle travesti avec une grande aisance vocale. Traité dans le style buffa, avec un costume rien moins que seyant, redingote bleue et coiffure jaune ridicule, Smeton tente de dédramatiser certaines situations. Vocalement, Svetlana Lifar est tout à fait bien, et crédible ; avec une émission directe et de beaux graves, elle peut se permettre un legato souple et des aigus pleins et percutants. Rythme, superbes aigus et vocalises à l’aise, font remarquer cette jeune artiste russe. Face à ce trio féminin de grande qualité, le roi Enrico VIII, chanté par Simon Orfila s’impose. Physiquement, il peut tout à fait être ce roi autoritaire et antipathique. Simon Orfila aborde ce rôle avec cette froideur qui le rend hautain et avec une superbe tout à fait bien venue pour ce roi qui restera sur sa réserve jusqu’à la fin de l’ouvrage. Vocalement aussi, il est Enrico VIII. Au premier abord, le timbre peut paraître étrange, mais on est tout de suite pris par sa vaillance et sa belle technique qui lui permet de rester sur les hauteurs sans jamais faillir. La voix reste homogène lorsqu’il change de registre, et ses graves aussi bien que ses aigus sont beaux et sonores. A l’aise, il projette ses notes d’une voix directe tout en gardant la couleur et la profondeur de sa voix chaude, donnant à entendre un très beau duo avec Giovanna Seymour. Ce roi terrible par sa présence et sa voix est un pilier de cet opéra. Un nom dont on se souviendra et que l’on aimerait voir bientôt sur les affiches françaises. Ismael Jodi, que nous avions entendu à Marseille dans La Traviata en 2005 aux côtés d’Ermonela Jaho, où il interprétait Alfredo, est ici Riccardo Percy. Avec une allure de jeune premier, il a le physique et la voix du rôle. On est souvent surpris aux premières notes par le timbre de ces voix de ténor léger ; des voix un peu nasales, placées dans le masque qui permetentt des notes aigües percutantes et des vocalises agiles. Ismael Jordi fait ici une prestation très applaudie. Investi dans ce rôle du début à la fin de l’ouvrage, il le joue avec dignité, sobriété, mais aussi avec passion. De Percy il a la fougue, la vaillance et le courage. Sa voix, bien que claire et projetée garde un phrasé musical jusque dans les demi teintes. Il vocalise avec efficacité et agilité et tient ses aigus avec assurance. Le timbre s’arrondit, gardant la couleur dans la puissance même. Mais au delà de la brillance, il a aussi cette musicalité qui émeut et le fait se fondre dans la voix de Rocheford pour un superbe duo. C’est la basse Thomas Dear qui interprète le rôle de Rocheford, le frère d’Anna Bolena. Affublé de lunettes modernes et portant un long manteau clair sans époque définie, il a malgré tout de l’allure et une belle prestance. Moins investi, il parait un peu en retrait par rapport aux autres personnages, certains graves manquant de projection. Il a tout de même sa place dans cette distribution très homogène et nous donne à entendre un très beau duo de voix graves avec Percy, chanté avec beaucoup de musicalité. Le personnage d’Hervey, est ici chanté avec vaillance par le ténor Carl Ghazarossian d’une voix claire et chaude. Il est très bien dans ce rôle assez court faisant ressortir toute l’ambiguïté du personnage. Le choeur, bien préparé par Christophe Bernollin est tout à fait en place et participe comme toujours au succès du spectacle grâce à des voix homogènes et un grand investissement de chacun. L’orchestre, dirigé par son chef Giuliano Carella est ici remarquable et remarqué. La direction du Maestro, que nous avions trouvée très française dans Lakmé, reprend avec Anna Bolena les inflexions italiennes, plus incisive, avec des tempi tout à fait appropriés qui laissent sonner et ressortir le spiccato précis des violons. Dès l’ouverture, Giuliano Carella construit sa partition, pour faire entendre les thèmes exposés, avec des crescendi conduits avec souplesse apportant ainsi relief et couleur. Soutenant les chanteurs sans trop d’autorité, l’orchestre sait prendre le relais dans la sonorité des voix, tout en les laissant s’exprimer dans les récitatifs. Très applaudie, cette représentation a comblé un public enthousiaste.