Opéra de Marseille, saison 2014 / 2015
Ténor Juan Diego Florez
Piano Vincenzo Scalera
Gioacchino Rossini :”La Lontananza”, “Bolero”, “Addio ai Viennesi”
Hector Berlioz:” Les Troyens” – ” O blonde Cérés ”
Georges Bizet:”La jolie Fille de Perth” – ” A la voix d’un amant fidèle ”
Jules Massenet: ” Werther” – ” O Nature, pleine de grâce ” “Pourquoi me réveiller ”
Francesco Paolo Tosti:”Ideale”, “Malia”, “Parted”
Léo Delibes:”Lakmé” – ” Prendre le dessin d’un bijou”
Charles Gounod:”Roméo et Juliette” – ” L’amour !… Ah ! lève-toi soleil ”
Jacques Offenbach:”La Belle Hélène” – ” Au mont Ida ”
Opéra de Marseille, le 5 octobre 2014
En cet après-midi du 5 octobre, les mélomanes marseillais et les fans de Juan Diego Florez s’étaient retrouvés pour ce récital donné à guichet fermé ; c’est dire si le ténor péruvien, qui ne s’était plus produit à Marseille depuis 2011, était attendu. En effet, dans la tournée qui doit le mener d’Istanbul à Genève, de Salzbourg à Baden-Baden, la seule salle française où ce jeune ténor charismatique doit se produire est tout simplement l’Opéra de Marseille. Au programme, quelques Airs d’opéras français (de ceux enregistrés pour son nouveau disque L’Amour), mais aussi des mélodies de Gioacchino Rossini et de Francesco Paolo Tosti. On retrouvait ici l’atmosphère spéciale à Marseille dès qu’il s’agit de chant et que l’on croyait un peu perdue, passée de mode. Mais non, le public marseillais est toujours aussi enthousiaste, aussi passionné et sensible…. au contre-ut ; considéré comme étant un public difficile, il est débordant de chaleur dès qu’on le fait vibrer, et Juan Diego Florez prendra avec humour les débordements de remerciements et de bravi intempestifs venus d’une salle si vivante et si chaleureuse. Un Juan Diego Florez tout sourire qui commence sont récital par trois mélodies de Gioacchino Rossini, tirées d’un de ses albums Péchés de vieillesse. La voix est claire et brillante, un peu tendue au début peut-être, mais elle laisse apprécier la ligne de chant dans “Lontananza”, le phrasé et une belle rondeur de timbre dans le medium, avec une belle diction ; il vocalise avec aisance, donnant du rythme au “Bolero” aux aigus éclatants tout en faisant ressortir la musicalité contenue dans “Addio ai Viennesi”, avec de jolies prises de notes. Berlioz pour continuer, l’Air des Troyens :” O blonde Cérès “ , chanté avec le même investissement et la même recherche de musicalité, peut-être manque-t-il un peu de légèreté pour les compositions d’Hector Berlioz si difficiles à interpréter par un chanteur étranger ? La Jolie Fille de Perth, ” A la voix d’un amant fidèle ” de Georges Bizet et Werther de Jules Massenet ” O Nature pleine de grâce ” et le célébrissime ” Pourquoi me réveiller ? ” terminaient la première partie de ce concert. On sent le chanteur plus à l’aise dans ce répertoire. Sa technique sans faille lui permet des nuances extrêmes et des demi-teintes pleines de charme. Toujours investi dans ce qu’il chante, son interprétation de Werther déchaîne un public déjà survolté et, souriant, il accueille les Bravi avec cette simplicité qui fait tout son charme. Mélodies encore en ce début de deuxième partie, mais du compositeur italien Francesco Paolo Tosti, qui fut anobli par le roi Edouard VII. Ces trois mélodies “Ideale”, “Malia” et “Parted”, intimistes, sont chantées avec beaucoup de délicatesse et d’intériorité, n’éteignant pourtant pas la flamme que l’on sent dans chacune de ses interprétations ; Parted, joliment chantée en anglais, donne un petit côté salon anglais. Puis, Léo Delibes ; à l’Air de Gérald ” Prendre le dessin d’un bijou” de Lakmé, nous préférons l’interprétation de l’ Air ” Ah ! lève-toi soleil ” du Roméo et Juliette de Charles Gounod, où la lumière contenue dans la voix est tout à fait appropriée. Une très bonne diction et des aigus sûrs et mélodieux font de Juan Diego Florez un très beau Roméo, entre puissance, souffle et demi-teintes. Après ce moment de romantisme, nous retrouvons le facétieux ténor que nous aimons tant dans l’Air de Pâris: ” Au mont Ida ” de la Belle Hélène de Jacques Offenbach, avec ses aigus vaillants. L’humour lui va très bien, à l’aise, il a du style, on retrouve le Juan Diego Florez du Comte Ory. Il est plus naturel dans sa façon de chanter, donnant des aigus libres et chaleureux sous les applaudissements d’un public délirant d’enthousiasme pour ce ténor généreux. Généreux dans son chant, mais aussi pour son public, lui offrant pas moins de six Bis. Donizetti:“L’Elisir d’amore”, chanté avec sensibilité dans un medium large et coloré, puis l’Air de Lombardi alla prima crociata:”La mia Letizia infondere “ de Giuseppe Verdi avec un beau legato et une voix homogène sans forcer, puis Donizetti encore pour un feu d’artifice de contre-ut dans La fille du régiment sous les bravi du public, une chanson espagnole, “Jurame”, donnant beaucoup d’émotion dans un style parfait, et la fameuse chanson “Marechiare ” de Francesco Paolo Tosti, puis, pour finir, car il faut bien finir, “La donna e mobile” du Rigoletto de Verdi. S’il était permis d’émettre quelque critique, nous trouverions certains graves un peu éteints, et quelques aigus un peu forcés, mais il est tellement éblouissant dans son répertoire, tellement percutant, tellement généreux avec sa voix, tellement, tellement…que nous nous associons au public pour lui crier Bravo, avec peut-être un rendez-vous à prendre en décembre à Vienne pour une Cenerentola tout à fait dans ses cordes….vocales. Comme pour son précédent concert donné à Marseille en 2011, Juan Diego Florez était accompagné par le pianiste Vincenzo Scalera. Il est vrai que si la salle croulait sous les bravi, ils étaient aussi destinés au pianiste sans qui un tel succès n’aurait pas pu avoir lieu ; plus qu’un accompagnement, c’est un véritable duo que nous avons écouté, le jeu sensible de Vincenzo Scalera, son toucher délicat et perlé donne la réplique dans un même phrasé, une même compréhension musicale. Quoi de plus difficile pour un pianiste que de se tenir au niveau d’un chanteur sans le couvrir, tout en faisant ressortir la composition et la musique de sa propre partition. La chose est délicate, mais ici le pari est tenu, et l’on écoute avec plaisir chaque note jouée par un pianiste habité, dont la musicalité transparaît dans chaque nuance. Une fin d’après-midi de haute tenue et d’immense plaisir.