Marseille, Salle du Silo, Saison 2014 2015
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Violon Arabella Steinbacher
Bruno Mantovani:”Finale”
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour violon en ré majeur
Antonin Dvorak:Symphonie No 8 en sol majeur
Marseille 20 septembre 2014
C’est par un concert donné dans la salle du Silo que Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, a choisi d’ouvrir sa saison 2014/ 2015. L’orchestre retrouve ici, Lawrence Foster, son chef et directeur musical, avec qui il a effectué cet été une tournée à travers la Chine, après s’être produit au Festival de Bad Kissigen en Allemagne.
Un programme classique nous était proposé ce soir, avec pourtant une incursion dans le monde de la musique contemporaine avec Finale, de Bruno Mantovani. A tout juste 40 ans, Bruno Mantovani ne compte plus les distinctions reçues dans les divers domaines, difficiles à énumérer ici. Chef d’orchestre et, depuis 2010 directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, c’est le compositeur, dont les oeuvres symphoniques, instrumentales et lyriques sont jouées dans le monde entier, qui sera parmi nous ce soir, au travers de finale. Pour cette courte oeuvre symphonique, composée en 2007 pour la dernière épreuve du Concours International de direction d’orchestre de Besançon, le titre choisi est un simple clin d’oeil à cette finale.
Essayant de créer ” un sentiment jubilatoire qui marquerait un point de non retour “, le compositeur nous fait ressentir cette impression d’aboutissement, souvent inconfortable, qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle situation sans retour possible, jubilatoire ou non ; les sonorités de certains instruments pourraient tout aussi bien nous transporter dans une ville en plein chaos d’où l’on ne sortirait que par une destruction. La composition est étrange, vivante, mystérieuse, toujours intéressante, mais surtout défendue par un orchestre que l’on retrouve au mieux de sa forme, dirigé par un chef clair, attentif à faire ressortir cette palette de sonorités qui fait l’intérêt de cette oeuvre, où chaque soliste réussit à donner un caractère différent à chacune de ses interventions. Une pièce intéressante donc, et qui par son interprétation, maintient l’auditeur dans un certain questionnement.
Atmosphère différente, avec la jeune violoniste Arabella Steinbacher qui nous plongeait dans une page de pur romantisme avec le concerto de Tchaïkovski, pour une interprétation tout à fait personnelle de cette oeuvre.
A l’heure des acrobaties violonistiques dans des tempi dangereusement accélérés, Arabella Steinbacher nous invite à partager un moment de charme et de grande musicalité. Un violon un peu sage diront certains ? Plutôt en retenue, tel qu’on aime l’entendre, qui fait sonner chaque accord et qui nous laisse jouir de chaque note. Une rare élégance se dégage de cette violoniste qui joue avec un grand déploiement d’archet donnant ainsi une impression de facilité. Un jeu sûr, maîtrisé n’excluant pas la virtuosité, avec une homogénéité de son due à un vibrato intense, et un archet joué à la corde jusque dans les plus infimes pianissimi aux sons cristallins. Si Arabella Steinbacher joue pour séduire elle y réussit fort bien, surtout dans ce deuxième mouvement, aidée en cela par un chef attentif, qui suit la soliste pour un dialogue avec l’orchestre, insufflant aux divers instruments ce souffle aux accents slaves et mélancoliques tel cet échange avec la clarinette. Mais c’est dans le dernier mouvement que l’on peut mesurer toute la virtuosité et la fougue dont cette superbe artiste est capable, avec une main gauche sûre, solide lui permettant des portamenti de charme et de bon goût. Arabella Steinbacher n’est pas dans une recherche de facilité, mais plutôt d’authenticité, pensant chaque note, chaque accent, c’est sans doute ce qui donne cette impression de limpidité à son interprétation. Un grand moment de musicalité et de communion avec un orchestre qui ne s’est pas contenté d’accompagner une soliste. Un immense bravo à cette artiste qui se produisait pour la première fois à Marseille. Pour rester dans une atmosphère russe, mais tout autre, Arabella Steinbacher nous offrait en bis le 1er mouvement de la sonate de Serge Prokofiev pour violon seul. Cette oeuvre, peu jouée en concert, permet à la soliste de nous faire écouter encore un moment, le son chaud de son Stadivarius Booth de 1716, dans une technique impeccable de clarté et de pureté.
La 8ème symphonie d’Antonin Dvorak que nous écoutions en deuxième partie de ce concert, a été créée à Prague en février 1890, quelques mois à peine après sa composition. Proche des inspirations populaires, cette oeuvre nous fait participer aux ambiances du village de Vysoka où elle a été composée. Malgré quelques accents douloureux propres au caractère slave, cette symphonie reste joyeuse et pleine d’énergie. Lawrence Foster en fait très justement ressortir dès les premières notes le côté joyeux et festif en gardant un tempo allant, même dans les passages les plus romantiques. Prêtant une grande attention aux nuances, il les fait se succéder, s’intercaler sans brutalité, donnant une facilité de compréhension des sentiments souvent changeants chez ce compositeur. Cette souplesse de direction lui permet de faire sonner les cuivres sans avoir des sons saturés, laissant ainsi à l’auditeur le plaisir d’écouter les vibrations des grands forte. Si les changements de mesure et de tempi sont faits de façon énergique et claire, ils restent toutefois dans l’idée d’une continuité de tempo, ce qui donne une homogénéité à cette symphonie où les thèmes différents abondent.
Lawrence Foster joue sur les sonorités tout en conservant la qualité de son qu’il a su donner à son orchestre, faisant ressortir les oppositions force et légèreté avec cohésion. La valse du 2ème mouvement hésite avec élégance et séduction entre une ambiance mondaine ou champêtre avec des réminiscences piano jouées comme un doux souvenir. L’appel des trompettes, comme pour une introduction, nous transporte dans un monde différent, mais toujours avec cette unité voulue par le chef d’orchestre qui garde sa vision de l’oeuvre et passe du picolo aux trilles sonores des cors dans un immense crescendo sans brutalité. C’est une superbe interprétation de cette 8ème symphonie où les sentiments sont toujours proches de l’exaltation, sans excès, mais avec brio et mesure ; des oppositions encore, faites avec souplesse par un chef qui donne à sa baguette des inflexions d’une grande musicalité. Etonnant Lawrence Foster aux cheveux blancs, qui, lorsqu’il monte sur le podium, déborde d’une énergie communicative et jubilatoire. Une nouvelle saison commencée sous les meilleurs auspices.