Chorégies d’Orange 2014
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Luciano Acocella
Soprano Patrizia Ciofi
Mezzo-soprano Daniela Barcellona
Gioacchino Rossini: “Le Barbier de Séville” – Ouverture: “Semiramide” – “Bel raggio lusinghier, Ah, quel giorno ogno rammento”, Ouverture, “Serbami ognor si fido”.
Gaetano Donizetti:”Roberto Devereux” – Ouverture
Francesco Cilea:”Adriana Lecouvreur” , “Acerba voluttà”
Gaetano Donizetti:”Maria Stuarda”, “Oh nube, che lieve”; “Anna Bolena”, Ouverture, “La Favorite”, “O mon Fernand”; “Anna Bolena”, “Al dolce guidami, castel natio”, “Dio, che mi vedi in core”.
Orange, lundi 4 août 2014
C’est sous un ciel redevenu étoilé que les Chorégies d’Orange nous conviaient à une soirée consacrée au chant lyrique. Deux admirables chanteuses italiennes allaient nous charmer lors d’un concert essentiellement consacré au bel canto: la soprano Patrizia Ciofi, qui, après avoir débuté sur les grandes scènes italiennes développe une carrière qui la mènera à chanter sur les plus grandes scènes d’Europe, dans un répertoire qui va de Don Giovanni à la Traviata, en passant, entre autres, par Lucia di Lammermoor, Rigoletto ou les contes d’Offmann. A ses côtés, la mezzo-soprano Daniela Barcellona, dont la carrière internationale a débuté après avoir remporté un réel succès au Festival Rossini à Pesaro en 1999, dans le rôle de Tancredi. Bien que très à l’aise dans le répertoire bel cantiste, elle ne s’y cantonne pas et on a pu l’écouter dans des rôles aussi différents que ceux de Didon ( Les Troyens ), Eboli ( Don Carlos ) ou Orfeo ( Orfeo ed Eurydice ). Accompagnées par l’Orchestre Philharmonique de Marseille, placé sous la baguette de Luciano Acocella, Patrizia Ciofi et Daniela Barcellona avaient choisi Giaocchino Rossini, Gaetano Donizetti et Francesco Cilea, pour ce concert placé sous le signe du charme et de la complicité.Deux voix qui s’accordent et qui, lorsque la technique est parfaite, se libèrent pour n’être que musicalité.La magie du lieu opère toujours, avec une acoustique qui laisse résonner jusqu’au plus haut des gradins le moindre pianissimo lorsque le vent n’est pas au rendez-vous. Après une ouverture du Barbier de Séville très enlevée, c’est Patrizia Ciofi qui nous fait entendre les premières notes de ce feu d’artifice vocal en entamant l’Air de Semiramide ” Bel raggio lusinghier ” drapée dans une longue robe grise très élégante. Si sa voix s’est élargie, elle possède toujours cette sensibilité qui fait d’elle une soprano charismatique. Ses aigus sont somptueux dans des vocalises d’une grande légèreté. Elle chante cet air, qui passe des notes graves aux plus aigües demandant une voix assez étendue, avec humour et une simplicité qui appelle les bravos. Semiramide toujours, pour le récitatif et Cavatina d’Arsace ” Eccomi alfine in Babilonia – come da quel di “, qui est interprété par Daniela Barcellona, vêtue d’un ensemble pantalon noir très seyant, pour ce rôle travesti. les beaux graves sonores sans être trop appuyés font ressortir la couleur sombre de sa voix, et un bon soutient du souffle lui permet de longues tenues sans aucune baisse de tension. Elle aborde le staccato toujours difficile pour l’émission dans un registre grave, sans lourdeur et avec netteté. Dès ce premier Air, on peut remarquer la richesse de la voix d’une Daniela Barcellona très en forme, vocalisant avec légèreté pour atteindre des aigus lumineux. Semiramide encore avec cette ouverture souvent jouée en concert ; brillante pour l’orchestre elle met en valeur chaque pupitre et notamment le pupitre des cors, remarquable par la rondeur et la chaleurs des sons. Le Duo Semiramide – Arsace ” Serbami ognor si fido – Alle piu care immagini ” terminait en beauté la première partie de ce concert. C’est Patrizia Ciofi qui entame le dialogue d’une voix qui passe très bien, tout en légèreté mais avec aussi beaucoup de fermeté. La réponse de Daniela Barcellona est faite dans une autre tessiture mais dans le même phrasé et dans la même couleur, ce qui donne à ce Duo une si belle unité. D’une justesse parfaite, on a l’impression que ces deux voix étaient faites pour chanter ensemble.
La deuxième partie du concert était dédiée à Gaetano Donizetti,avec une petite parenthèse accordée à Francesco Cilea.
Roberto Devereux donc, avec l’ouverture aux accents du ” God save the queen “, jouée avec un bel investissement des cordes et une grande précision dans le spiccato. Puis c’est Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea. Reprenant un rôle féminin, c’est vêtue d’une robe rouge chatoyante, que Daniela Barcellona interprète l’Air de la Principessa di Bouillon ” Acerba volluttà – O vagabonda stella d’Oriente “, avec une diction qui projette les graves et les fait résonner. Sa voix devient plus dramatique tout en consevant sa souplesse et sa sensibilité, avec des aigus pleins et de longues tenues. C’est d’un style différent où puissance rivalise avec rondeur de son. Après Cilea, nous revenons à Donizetti pour ne plus le quitter. Tout d’abord Maria Stuarda, Patrizia Ciofi chante l’ Air de Maria ” Oh nube ! che lieve per l’aria – Nella pace nel mesto riposo “. Un début plein de tendresse où la musicalité fait ressortir le velouté de la voix, chanté avec délicatesse dans une interprétation empreinte de simplicité pour laisser place à une virtuosité aux aigus éclatants et faciles.
Nous quittons Maria Stuarda pour un moment d’orchestre avec l’Ouverture d’Anna Bolena, pétillante, rythmée et joyeuse, interprétée avec brio. Puis c’est l’Air de la Favorite ” L’ai-je bien entendu ? – O mon Fernand ! tous les biens de la terre ” chanté avec souplesse dans un tempo allant, par Daniela Barcellona ; morceau de bravoure s’il en est qui finit sur un aigu magnifique qui garde toute sa couleur. Anna Bolena pour finir ce concert ; tout d’abord l’Air d’Anna ” Piangete voi – Al dolce guidami castel natio..” Air d’une grande beauté chanté avec un bel investissement dans un dialogue avec la flûte ou le cor anglais. Les attaques de patrizia Ciofi sont toujours d’une grande pureté, les notes sont prises avec délicatesse, et l’on ne sait ce qu’on apprécie le plus chez cette chanteuse : la voix, la couleur ou la musicalité. Le Duo ” Dio, che mi vedi in core” Anna-Giovanna, pour finir. C’est un Duo somptueux sans aucune faiblesse dans les voix qui arrivent à trouver la même couleur et le même phrasé malgré des tessitures différentes. Mais on ressent un léger flottement…et, avec le charme qui la caractérise, Patrizia Ciofi avoue qu’elle s’est un peu perdue dans ce Duo, puis c’est avec simplicité et un petit sourire complice que les deux chanteuses reprennent au signe du chef d’orchestre, pour terminer ce Duo en tous points sublime. C’est une ovation amplement mérité, qui fait suite aux dernières notes, tant ce concert nous a comblés. Un moment de communion entre les chanteuses, mais aussi avec l’orchestre et son chef. Nous aurons en bis la Barcarolle des Contes d’Offmann de Jacques Offenbach, chantée avec sensibilité et soutenue par un accompagnement discret mais présent, suivi par le Duo des Fleurs de Lakmé de Leo Delibes qui terminait ce concert dans une même respiration et un même vibrato, chanté avec de belles nuances, dans un équilibre irréprochable.
L’Orchestre Philharmonique de Marseille, qui revient d’une tournée qui l’a emmené en Chine, après s’être produit au Festival de Bad Kissingen en Allemagne, semble avoir conservé la fougue et l’énergie nécessaires pour ces concerts qui se donnent dans les immenses salles des mégapoles chinoises. Cet orchestre paraît avoir trouvé, depuis quelques mois, le son et l’homogénéité qui caractérisent les grands orchestres. Sous la baguette énergique de Luciano Acocella, les divers pupitres et leurs solistes ont fait montre d’une musicalité et d’un ensemble très remarqués. les sonorités affirmées dans les Ouvertures dirigées avec brio afin de mettre l’orchestre en valeur, se font plus discrètes pour accompagner les chanteuses, tout en gardant la précision et le pétillant spécifiques aux ouvrages de bel canto. Un concert rare qui fera oublier les intempéries et donnera envie de revenir l’été prochain pour d’autres moments de grâce.