Aix-en-Provence Théâtre de l’Archevêché
“ARIODANTE”
Dramma per musica en trois actes. Livret anonyme d’après Ginevra di Scozia d’Antonio Salvi
Musique de Georg Fiedrich Haendel
Ariodante SARAH CONNOLLY
Ginevra PATRICIA PETIBON
Dalinda SANDRINE PIAU
Polinesso SONIA PRINA
Il Re di Scozia LUCA TITTOTO
Lurcanio DAVID PORTILLO
Odoardo CHRISTOPHER DIFFEY
Choeur English Voices
Orchestre Freiburger Barockorchester
Direction musicale Andrea Marcon
Mise en scène Richard Jones
Décors et costumes Ultz
Lumière Mimi Jordan Sherin
Chorégraphe Lucy Burge
Metteur en scène et concepteur de marionnettes Finn Caldwell
Aix-en-Provence le 5 juillet
L’Ariodante de Georg Friedrich Haendel était au programme de ce soir dans le théâtre mythique de l’Archevêché. La première de ce spectacle ayant été fortement perturbée par des intermittents irréductibles, la représentation de ce soir devait se dérouler dans le calme.
Né en Allemagne, c’est en Angleterre que Georg Friedrich Haendel, devenu sujet britannique, fera sa carrière ; organiste et claveciniste hors pair, il va écrire plus de 40 partitions d’opéras seria, utilisant les influences musicales de l’Allemagne, de l’Italie de la France et de l’Angleterre, et c’est au Covent Garden de Londres que cet opéra inspiré de l’Orlando Furioso de l’Arioste sera joué pour la première fois en 1735 avec dans le rôle d’Ariodante le castrat Giovanni Carestini.
Point de castrat à notre époque, mais pas moins de quatre rôles ici interprétés par des femmes, dont deux rôles travestis.
C’est au metteur en scène britannique Richard Jones que nous devons la proposition pour le moins surprenante de cet opéra baroque. En effet, très loin de l’épopée de la chevalerie médiévale racontée par l’Arioste, Richard Jones nous fait vivre cet Aridante en Ecosse dans les années 1950, mais ici point de Roi ou de royaume, mais une maison de campagne – de pêcheurs peut-être – où le patriarche fait régner une atmosphère assez stricte.
On pourrait-être déstabilisé d’entendre cette musique baroque aux ornementations d’un autre siècle dans cet environnement, mais finalement on s’y fait assez vite tout en regrettant de ne pas pouvoir apprécier les effet de décors et de costumes qui étaient en vogue à l’époque de Haendel. La chambre de Ginevra ( une chambre de jeune fille au papier peint fleuri ), une salle à manger avec pour tout mobilier une immense table entourée de ses chaises où s’attable la communauté, un office où une marmite chauffe dans l’âtre et une entrée, tout le décor est là, ouvert sur la salle. Des portes, des fenêtres par où rentre la lumière et, détail amusant, pour ne pas rompre l’action, des serrures montées sur roulettes qui nous font comprendre les entrées et les sorties des personnages. Les costumes de Ultz (costumes et décors ) nous confortent dans l’idée que la maisonnée, sans être dans la pauvreté, n’est pas non plus dans l’opulence. Coupés dans des tissus rustiques aux teintes éteintes, ces costumes n’ont rien de seyant, et même la robe verte de Ginevra est démodée à souhait.
Polinesso n’est plus le duc d’Abany jaloux d’Ariodante, mais un pasteur calviniste dont la soutane cache un costume de mauvais garçon qui laisse voir des tatouages. Ce Tartuffe qui joue les Don Juan d’opérette avec la fausseté d’un Yago, est interprété avec un réalisme sans outrance par Sonia Prina qui arrive à nous faire oublier qu’elle est une femme. L’écervellée Dalinda devient avec Sandrine Piau une dame de compagnie sans trop de relief qui, par amour pour Polinesso, se laisse violer et manipuler par lui avec plaisir.
Andrea Marcon, ayant voulu jouer cet Ariodante sans coupures, un couple de marionnettes anime les passages de musique, prévue pour des ballets selon le goût de l’opéra français. On reste dans une sorte de conte où les sentiments des deux héros sont racontés sans paroles et comme mimés par ces marionnettes qui nous transportent dans la proposition de Richard Jones, un rien naïve. Les lumières de Mimi Jordan Sherin sont bien pensées et accompagnent l’action avec intelligence dans un souci de réalité et d’esthétisme, nous donnant quelquefois l’impression de feuilleter un livre ancien. Les acteurs, bien dirigés évoluent avec justesse et efficacité, tout en gardant le rythme imposé par la musique, évitant les temps morts. Une proposition qui, bien que peu adaptée à la musique baroque, évite l’ennui qui pourrait s’installer avec la répétition des Airs, écriture imposée à l’époque de Haendel.
Patricia Petibon excelle dans ces rôles aux sentiments exacerbés les laissant s’exprimer par la voix. C’est une Ginevra à la fois heureuse et naïve aussi bien qu’anéantie et blessée. Au sommet de son art scéniquement, elle l’est aussi vocalement. Si elle manque un peu de projection au début, elle prend tout de suite de l’assurance pour faire une prestation où tout est à l’unisson. Elle se sert des inflexions de la voix pour exprimer ses sentiments ; ses vocalises sont légères, rythmées, justes et gardent le timbre de la voix qui s’est arrondi au fil des mesures. Elle sait chanter avec souplesse pour s’unir à la voix de ses partenaires et nous faire ainsi entendre de superbes duos. Quelquefois excessive dans son jeu, elle est ici une interprète plus sage et joue la scène de la folie avec intelligence et mesure.
Ariodante, est chanté avec sensibilité par la mezzo-soprano Sarah Connolly. Si elle est tout à fait fait à l’aise dans les opéras baroques, elle ne s’y cantonne pas, et on peut l’apprécier aussi bien dans des opéras de Richard Wagner, que dans ceux de Richard Strauss ou d’Hector Berlioz par exemple. Elle investi ici le rôle d’Ariodante avec style et simplicité, donnant l’impression que ce rôle écrasant, qui ne comporte pas moins de 9 interventions se chante avec facilité. La voix est claire, et le timbre mélodieux est homogène dans toutes les tessitures. Ses vocalises agiles gardent leur rondeur de son sur chaque note tout en restant expressives. Sa voix lumineuse ne tombe jamais dans l’excès et chacune des notes est chantée avec musicalité. Sa belle technique lui permet des sauts d’intervalles nuancés, ainsi que des trilles brillants. Sarah Connolly se glisse avec naturel dans ce pantalon trop court et trop large pour interpréter avec justesse l’Ariodante crédule et sensible pris au piège de cette communauté repliée sur elle même. Une interprétation qui fait ressortir la sensibilité de cette musique qui reste simple malgré ses multiples ornementations. Polinesso est un autre rôle majeur de cet opéra. Il est ici interprété par la contralto Sonia Prina qui fait une démonstration magistrale dans ce rôle de travesti. Elle est aussi à l’aise dans les vêtements de mauvais garçon que dans la soutane de ce prêtre fourbe. Scéniquement, elle est un des piliers de cette mise en scène. Si sa voix paraît un peu blanche au début, on s’habitue très vite à son timbre, pour se laisser séduire par sa belle technique, la rondeur de son dans les aigus, et ses vocalises à l’aise. Joué d’une façon moderne, Polinesso est tout à fait crédible et donne même un sens à cette mise en scène qui, dans un opéra baroque pourrait être contestable.
Sandrine Piau chante ici le rôle de Dalinda avec beaucoup de retenue. Elle chante dans un pur style baroque faisant résonner son vibrato juste après les prises de notes. C’est du très beau chant. Dans un pantalon bleu et un tablier à fleurs, elle met sa voix au service du personnage voulu par le metteur en scène, tout en restant éblouissante dans ses vocalises.
Jouant Lurcanio, le frère d’Ariodante, le ténor David Portillo est parfait. Investi dans ce personnage plein de vie, il vocalise avec précision faisant entendre des aigus assurés et colorés. La grande maîtrise de sa voix lui permet de jouer avec aisance tout en gardant le rythme et le tempo qui donnent du relief à son personnage. Tout en ayant l’allure souhaitée pour un Roi ou un maître de maisonnée en kilt, la basse Luca Tittoto pèche par un vibrato serré et tremblotant qui ôte toute couleur à sa voix. C’est dommage car ses Airs sont moins agréables à écouter. Si les graves sont là, les aigus sont un peu étouffés. On le sent plus à l’aise dans les vocalises lorsque sa voix devient plus souple. Malgré une courte intervention, on peut apprécier la voix du ténor Cristopher Diffey qui interprète le rôle d’Odoardo.
C’est Andrea Marcon qui était ce soir à la tête du Freiburger Barockorcherter. Très apprécié pour sa prestation dans La Flûte Enchantée, la semaine dernière, l’orchestre n’arrive pas ici à atteindre le même niveau. Sans doute, le chef laissant le pupitre pour reprendre la partie de clavecin manque-t-il de précision, autorisant ainsi quelques flottements. On peut regretter le manque de relief dans l’interprétation bien que les tempi soient soutenus. Mais c’est sans nul doute une belle prestation où le chef et l’orchestre restent à l’écoute des chanteurs, pour un opéra qui dure quatre heures sans que l’on ressente de lassitude. De belles nuances et une rondeur de son au quatuor permettent aux chanteurs de s’exprimer sans être jamais couverts par l’orchestre. Une mention spéciale est décernée aux marionnettistes qui prennent le relais des danseurs pour nous faire participer aux états d’âme de Ginevra confrontée à ses cauchemars, quand, chassée par son père elle se rêve en prostituée, ce qui la troublera au point de tourner le dos à cette communauté qui l’avait reniée, et de partir toute seule alors que l’on célèbre ses noces avec Ariodante. Une longue soirée très applaudie par un public amateur d’opéras baroques. Photo Pascale Victor