Chorégies d’Orange 2014, Théâtre Antique d’Orange
“NABUCCO”
Dramma lirico in quattro parti di Temistocle Solera
Musica di Giuseppe Verdi
Nabucco GEORGE GAGNIDZE
Ismaele PIERO PRETTI
Zaccaria DMITRY BELOSELSKIY
Abigaille MARTINA SERAFIN
Fenena KARINE DESHAYES
Gran Sacerdote di Belo NICOLAS CURJAL
Abdallo LUCA LOMBARDO
Anna MARIE ADELINE HENRY
Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon
Choeurs de l’Opéra Grand Avignon, Choeur de l’Opéra de Nice, Choeur de l’Opéra National Montpellier languedoc-Roussillon
Choeurs de l’Opéra de Toulon Provence-Méditerranée
Ensemble instrumental de Chorégies d’Orange.
Direction musicale Pinchas Steinberg
Mise en scène, décors et costumes Jean-Paulo Scarpitta
2clairages Urs Schönebaum
Vidéos Christophe Aubry
Orange, 9 juillet 2014
C’est dans le cadre somptueux du Théâtre antique d’Orange pratiquement plein, et pour l’ouverture de ces Chorégies 2014, que Nabucco était représenté en cette soirée du 9 juillet. Cet ouvrage avait été donné voici dix ans exactement, toujours sous la baguette du Maestro Pinchas Steinberg mais dans une mise en scène de Charles Roubaud. Nabucco, créé le 9 mars 1842 à la Scala de Milan évoque l’épisode biblique de l’esclavage des juifs à Babylone. Mais au delà du thème et du livret, ce qui a fait le succès immédiat de cet ouvrage, c’est la récupération par les milanais du choeur des esclaves, le fameux ” Va, pensiero “, qui sera repris par toute une population voulant se libérer du joug austro-hongrois.
Giuseppe Verdi avait besoin d’un tel succès, tant il était déprimé après des deuils successifs et l’échec de son opéra ” Un giorno di regno “. Ce triomphe spontané, Nabucco l’obtiendra aussi à Vienne dès 1843, et cet opéra restera sans doute l’ouvrage le plus représentatif de l’oeuvre de Giuseppe Verdi.
Jean-Paul Scarpitta, qui signe ici la mise en scène et les costumes, a voulu donner une dimension plus intérieure et plus près de la réflexion, mettant l’accent sur la gestuelle des chanteurs. Mais cette mise en scène s’apparente plutôt à une mise en espace qu’à une mise en scène proprement dite. La scène du Théâtre antique est immense et demande un grand nombre d’acteurs pour ne pas paraître vide ; Ici, une centaine de choristes et de nombreux figurants meublent l’espace, mais à part des entrées et des sorties, rien de vraiment pensé dans la direction des chanteurs. Aucun décor ; deux ou trois projections sur le grand mur, imaginées par Christophe Aubry et Julien Cano, changent un peu l’atmosphère sans apporter plus de compréhension, car rien ici, ne suggère que l’on est à Jérusalem ou à Babylone, rien non lus qui explique le renversement de Nabucco ou son retour. Jean-Paul Scarpitta s’en tient au texte. Nous pouvons simplement différencier le peuple hébreux des babyloniens par leurs costumes : noirs pour les premiers et pour les hommes, de grands châles blancs rayés de noir pour les femmes. Les babyloniens sont vêtus de longs manteaux bleu-turquoise qui apportent un peu de couleurs rompant ainsi la monotonie. Un long manteau rouge rayé de noir pour Nabucco lui donne un air de puissance face à un Zaccaria en manteau blanc rayé de noir volant au vent. les nombreux figurants munis de lances et vêtus de pagnes drapés qui laissent voir des tatouages sur leurs corps dénudés créent le mouvement. C’est à peu près tout pour l’action. Rien de vraiment spectaculaire pour la robe rose de Fenena ou pour celles d’Abigaïlle, mais une certaine recherche dans les couleurs et le choix du manteau de Zaccaria qui lui donne une belle allure. Visuellement c’est assez décevant, on pourrait sans doute faire mieux dans un tel espace. Les éclairages d’Urs Schönebaum sont bien faits et donnent du relief à cette mise en scène qui en manque un peu. Les effets de lumières venant de l’extérieur, ou les lumières latérales créant des ombres portées dans un clair-obscur, sont du plus bel effet.
Certaines voix sont excellentes et donnent du rythme à la représentation. On remarque tout de suite le timbre et la chaleur de la voix de Martina Serafin qui chante ici le rôle d’Abigaïlle. La voix très en place, sonore et colorée est tout à fait adaptée à ce lieu qui demande ampleur et projection. Ses aigus percutants et somptueux qui atteignent le contre-ut, avec aisance et rondeur de son, savent se faire plus nuancés et plus veloutés dans le piano, tout en gardant les accents dramatiques propres à sa voix. Elle est aussi très à l’aise dans les ensembles, modulant sa voix tout en lui conservant son timbre. Un jeu un peu trop intérieur peut-être ? Il faut dire que la mise en scène ne l’aide pas, et la simple pierre noire figurant son trône n’est sans doute pas empreint de majesté. La jeune mezzo-soprano Karine Deshayes qui possède un répertoire très divers est ici Fenena. C’est aussi pour elle une prise de rôle. En robe rose elle manque un peu de présence, et sa voix, tout en ayant un timbre velouté manque aussi d’ampleur sur cette scène. Peut-être est-ce dû à une projection un peu faible ; mais elle possède un joli phrasé qui lui permet de nous offrir un duo de charme avec Ismael. Plus investie dans son jeu, la jeune Marie-Adeline Henry est une Anna vive à la voix sonore et bien placée. Chacune de ses intervention est remarquée donnant fraîcheur et vie à ce rôle par le percutant de sa voix ; c’est une prise de rôle réussie et une première fois sur cette scène. Dmitri Beloselskiy fait ici une prestation remarquable pour ses débuts aux Chorégies. Tout vêtu de noir sous son long manteau blanc rayé de noir il a beaucoup d’allure. Il évolue bien, donnant au rôle de Zaccaria une puissance qui ferait presque de l’ombre à Nabucco. S’il n’a pas les graves des grandes basses russes, il n’en est pas moins ici un très grand Zaccaria avec ses aigus sonores et faciles. Ses Airs sont chantés sans précipitation, avec des attaques directes, dans des tempi “allant”. Grâce à une bonne projection sa voix passe avec aisance malgré le vent. Emplissant le théâtre lorsqu’il chante seul, il nous fait entendre de belles tenues de notes. Phrasé et musicalité font de lui un Zaccaria que l’on n’oubliera pas.
On pensait se trouver devant un immense Nabucco avec George Gagnidze, mais on reste un peu sur notre faim. Si sa voix avait trop de volume au Théâtre de l’Archevêché l’été dernier pour le rôle de Rigoletto, elle manque carrément d’ampleur sur cette immense scène du Théâtre antique où il chante pour la première fois. Sans doute n’a-t-il pas pu prendre ses marques, avec des répétitions annulées pour cause de mauvais temps et une générale reportée. Il sera certainement plus à l’aise au cours de la prochaine représentation. Du grand Nabuchodonosor il a la stature, même si le manteau qu’il porte ne le met pas en valeur. Ses aigus forte sont puissants et colorés, mais c’est dans le medium chanté piano que la voix perd son timbre. Plus habitué à chanter forte, les nuances piano semblent lui poser un problème quant à la projection et au placement de sa voix. Il n’en reste pas moins un bon Nabucco même si sa prestation est par moments un peu décevante.
Le ténor Piero Pettri, qui a chanté dans des opéras aussi différents que ceux d’Iphigénie en Aulide, Lucia di Lammermoor, ou Rigoletto, entre autres, est ici pour ses débuts aux Chorégies un Ismael très applaudi. Sans être claironnante, sa voix qui possède un joli timbre passe. Bien placée, elle lui permet de jolies nuances tout en gardant sa couleur. Un rôle court et pourtant remarqué. On aimerait écouter Piero Pettri dans un rôle plus adapté à ses possibilités. La basse Nicolas Courjal n’est pas un inconnu pour les spectateurs des Chorégies, et son interprétation du Gran Sacerdote est juste et sonore, on lui reprochera peut-être sa prononciation qui ne permet pas de comprendre le texte, mais certes, Nicolas Courjal, possède une voix. Dan le rôle très court d’Abdallo, Luca Lombardo est tout à fait bien. Ce chanteur marseillais lauréat de plusieurs prix internationaux aborde chaque rôle avec talent et professionnalisme, et l’on se souvient encore du remarquable Don José qu’il avait interprété il y a quelques saisons sur la scène de l’Opéra de Marseille. Un plateau dominé par les voix d’Abigaïlle et de Zaccaria mais qui reste tout à fait homogène. Nabucco est un opéra qui reste marqué par les belles parties de choeur. Les choeurs des théâtres de Montpellier, Nice, Avignon et Toulon Confondus, sont donc très à l’honneur, et les applaudissements qui les saluent sont tout à fait mérités ; des attaques nettes, une belle homogénéité dans les voix et une grande souplesse d’interprétation, font montre d’un grand travail en amont. on regrette simplement que le ” Va, pensiero ” soit commencé si piano. Cela se justifierait dans une salle d’opéra, mais ici, ce début du choeur si prenant, se perd un peu dans la vastitude du lieu.
Un des grands gagnants de ce spectacle est sans doute le Maestro Pinchas Steinberg, très apprécié et très applaudi par le public des Chorégies. Il dirige l’orchestre et l’immense plateau d’une baguette ferme et énergique malgré l’élégance et la souplesse qui le caractérisent. Il est dans une recherche de nuances et de couleurs qui enlève le caractère quelques fois un peu ” pompier ” que l’on reproche souvent à Verdi. L’orchestre bien préparé et malgré quelques faiblesses dans la petite harmonie déploie ses sonorités avec ampleur sans dureté, et l’ouverture est une introduction jouée avec force ou retenue suivant la musicalité. Pinchas Steinberg est un chef d’orchestre qui tient l’orchestre et soutient le plateau donnant tous les départs avec efficacité, tout en insufflant sa vision de l’ouvrage. Si la température extérieure était assez froide, les applaudissement d’un public chaleureux ont réussi à réchauffer l’atmosphère.