Connu et apprécié pour avoir dirigé les meilleurs orchestres à travers le monde, le Maestro Lawrence Foster nous parle de sa carrière et de sa prochaine tournée en Chine. Un moment privilégié passé en sa compagnie à Marseille, alors qu’il dirige Le Roi d’Ys.
Cher Maestro, vous êtes connu et reconnu, dans le monde musical pour avoir dirigé les plus grands orchestres, parlez-nous de vos premiers pas vers la musique.
Comme vous le savez, je suis américain et j’ai grandi en Amérique, à Los Angeles très exactement. Ma famille venait d’Europe centrale, avec cette culture où la musique tenait une grande place ; alors, à l’âge de 6 ans, ma mère m’a forcé à apprendre le piano, mais ce n’était pas mon choix, et franchement, je n’ai pas du tout aimé. A 12 ans, un premier concert me fait découvrir ce qui était pour moi le grande musique, et un an plus tard, j’ai commencé un véritable travail : analyse, harmonie, formation de l’oreille pour une écoute plus sélective.. J’ai eu la chance d’intégrer l’ UCLA, l’Université de Californie Los Angeles, puis, à l’âge de 20 ans, de devenir directeur et chef d’orchestre du Ballet de San Francisco. Tout est donc allé très vite.
Vous êtes américain mais aussi de culture roumaine. Une de ces deux cultures vous a-t-elle influencé dès votre plus jeune âge?
Non, non, j’ai été formé par la culture musicale allemande, avec mes professeurs à Los Angeles tout d’abord, mais encore actuellement ; malgré une grande ouverture, les bases ne s’effacent jamais.
Les grands artistes et les grands orchestres avaient cette culture qui marquait leur interprétation, et les sonates de Beethoven étaient pour moi une référence. J’ai abordé les musiques plus spéciales plus tard ; ma femme, roumaine, m’a rapproché de la musique et de la langue de ce pays par exemple, et un projet est né, une intégrale de la musique de George Enesco, projet qui s’est concrétisé à Monte-Carlo par un disque enregistré en 1979.
Le jazz aussi m’a beaucoup influencé, ou la musique de films, et des artistes tels que Franz Waxman, Miklos Rozsa, Elmer Berstein, Lalo Schifrin …. m’ont sans aucun doute formé à certains rythmes, j’ai même joué avec Duke Ellington, et je peux vous dire que cela vous fait acquérir une grande souplesse. Mais vous savez, malgré la mondialisation et l’ouverture à toutes sortes de musiques, la culture allemande continue à influencer le monde musical.
Si l’on connaît bien le Maestro Lawrence Foster, votre discrétion fait que l’on connaît moins Monsieur Lawrence Foster. pouvez-vous nous parler un peu de ce qui vous émeut en général, et dans la musique en particulier ?
-Mon hobby est la lecture, les livres d’histoire tout particulièrement, et ma passion pour la politique m’a amené à souvent prendre position. Je fais partie de la gauche démocrate et, en 1968, j’ai oeuvré pour Robert Kennedy lors de sa campagne électorale, j’ai eu même le triste privilège d’être présent à l’hôtel lors de son assassinat. Je suis ouvert à toutes les musiques mais lorsque je dirige une oeuvre, c’est celle là qui m’intéresse. En ce moment c’est Edouard Lalo puisque je dirige Le Roi d’Ys. J’aime la musique française, et j’ai dirigé un grand nombre d’opéras de compositeurs français tels que Vincent d’Indy, Albert Roussel, Jules Massenet, J F Halévy, Henri Sauguet, Ernest Reyer, entre autres, ainsi qu’une oeuvre du compositeur contemporain René Koering.
Avez-vous fait des rencontres déterminantes qui ont peut-être changé vos directions ?
J’ai bien sûr rencontré de grands musiciens, et ces rencontres influencent même si l’on ne s’en rend pas toujours compte, mais elles n’ont pas été déterminantes pour mes choix. Elles m’ont apporté une large ouverture, une idée nouvelle sur la façon d’aborder la musique, sur son architecture et le cheminement pour arriver à un aboutissement. J’ai des liens profonds d’amitié avec Daniel Barenboim, et côtoyer un tel musicien ne peut que vous influencer.
Bruno Walter m’a aussi beaucoup appris, aussi bien sur le plan musical qu’au niveau de la direction, comment écouter un soliste sans jamais imposer par exemple. La relation avec les musiciens de l’orchestre est déterminante pour le résultat, il faut les regarder et les écouter jouer, vous leur apportez beaucoup, mais ils vous donnent également, et c’est cet échange qui changera un bon concert en un concert qui aura touché le public.
Vos choix professionnels ont-ils été faits selon votre détermination, ou la vie vous a-t-elle montré certaines voies ?
La vie vous amène à faire des choix, vous avez des opportunités qui s’offrent à vous, vous les saisissez ou non, suivant l’instinct ou la réflexion, suivant l’humeur du moment aussi, et quelques fois on peut se tromper, ou alors les choses changent et ce qui était bien au départ prend un tournant que l’on n’avait ni souhaité ni envisagé. C’est ce qui est arrivé à Montpellier par exemple, où tout se passait très bien alors que Monsieur René Koering était directeur de l’Opéra, mais les choses se sont gâtées après son départ, Jean-Paul Scarpitta a pris sa place, et là, mes relations avec le nouveau directeur sont devenues houleuses, et une collaboration n’était plus envisageable, alors je suis parti, je n’accepte pas le manque de respect. Mais ce genre de situation n’est pas courante fort heureusement, il faut savoir dire non, parfois c’est difficile car on a envie de faire ceci ou cela, surtout quand on est jeune, on se trouve pris dans un tourbillon artistique, et l’on sacrifie sans s’en rendre compte ces choses de la vie qui ont une grande importance, je veux parler de la vie familiale bien sûr. Il faut pouvoir cloisonner cela.
Vous qui avez voyagé avec la musique à travers le monde, parlez-nous des différences que vous avez ressenties, aussi bien dans la perception de cette musique, que dans la direction des orchestres.
C’est une chance de pouvoir côtoyer les divers pays de ” l’intérieur ” par l’approche et le contact que l’on a avec les musiciens, et le public, c’est un grand enrichissement. Si l’on peut trouver des caractéristiques communes aux musiciens du monde entier, on peut remarquer que chaque pays a les siennes propres. Au Japon par exemple, vous trouvez dans tous les orchestres une discipline de fer, alors qu’en Chine, qui est pourtant un pays asiatique, règne …un grand désordre, ce qui n’exclut pas les bons résultats. L’Amérique est une grande machine qui ne laisse souvent pas assez de temps pour approfondir, l’Italie et la France sont des pays latins, c’est à dire que l’on peut y trouver le très bien et aussi le moins bien, mais dans tous les cas, on y fait de la musique et c’est très important et les orchestres peuvent porter très haut le flambeau de la musicalité. Prenez l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui a appris la rigueur, et a trouvé la chaleur et l’inspiration sous la baguette de Marek Janowski et de Myung Whun Chung, il est devenu l’une des meilleures phalanges d’Europe. L’Angleterre et l’Allemagne ont des orchestres merveilleux d’un niveau constant. Alors, on n’aborde pas les orchestres, d’un continent à l’autre, de la même façon. Il faut être souple et s’adapter pour pouvoir en fin de compte, imposer sa propre vision.
Vous venez de recevoir le grand prix ” Orphée d’or 2013 “, vous avez une grande culture de la musique française, et vous dirigez comme un français, expliquez-nous ce phénomène.
J’aime la musique française, et j’aime aussi la France, son histoire, sa culture et sa littérature. Les philosophes français, Voltaire, Jean-jacques Rousseau m’ont donné le goût de cette langue qui a aussi une musique. Je me sens français par la culture, j’aime aussi bien lire Sacha Guitry, que les conférences de presse de Charles de Gaulle. Voyez-vous, si l’on devait faire un parallèle entre la musique et certains hommes politiques français, Charles de Gaulle serait pour moi Toscanini, et François Mitterand Karajan.
Un de mes grands regrets est de ne pas maîtriser la langue française à un haut niveau. Je pense que pour bien diriger la musique d’un pays, il faut en connaître la langue, car chaque langue a un rythme, une prononciation qui donne une musique. Alors, si vous pensez que je dirige dans l’esprit français, cela vient sans doute de cette connaissance et de cet amour. Je suis resté 12 ans à la tête de l’Orchestre de Monte-Carlo, et l’obligation que nous avions de jouer de la musique française était pour moi une joie. Je pense que cette musique n’est pas assez appréciée dans le pays qui est le sien, et il me tient à coeur d’en faire découvrir certains trésors.
Est-ce l’amour pour cette musique qui vous a fait accepter, après Montpellier, le poste de Directeur Musical de l’Orchestre Philharmonique de Marseille ?
Les choses se sont passées le plus simplement du monde, j’avais été invité par l’Opéra de Marseille en 2008 pour diriger Salammbô, l’opéra d’Ernest Reyer, en ouverture de saison, et cela s’était merveilleusement passé. J’ai découvert un orchestre de qualité, réceptif et très à l’écoute. Cette impression, s’est confirmée lorsque je suis revenu diriger La Chartreuse Parme d’Henri Sauguet, pour une collaboration avec Madame Renée Auphan qui signait la mise en scène. C’est pendant ces semaines de travail intense que Maurice Xiberras le Directeur Général de l’opéra, m’a proposé le poste de Directeur Musical, et ma réponse fût un oui spontané ; puis Wozzeck, d’Alban Berg a été programmé, c’était pour moi un défi, mais un énorme travail a été fourni avec l’orchestre et les musiciens se sont montrés plus qu’attentifs. Ils ont fait montre d’une grande connaissance de la partition et d’un investissement personnel de la première à la dernière répétition, ce qui m’a beaucoup touché, nous avons même lié des liens d’amitié. Les musiciens français, s’ils sont un peu individualistes, savent faire preuve d’imagination et de spontanéité, ce qui les rend sympathiques. Aussi, j’apprécie beaucoup cette collaboration au sein de l’Opéra de Marseille.
Parlez-nous de cette tournée exceptionnelle que les musiciens vivent comme une nouvelle aventure.
Pour moi, cette aventure, comme vous dites, représente un des plus grands évènements de ma vie musicale. Rendez-vous compte, emmener pour la première fois cet orchestre en tournée, c’était pour moi un challenge ; et pour une tournée de très haut niveau. Deux concerts en Allemagne, au festival très renommé de Bad Kissingen, avec de grands solistes, puis envol vers la Chine pour cinq concerts de prestige dans des villes telles que Jinan, Shanghai, Guangzhou, Shenzhen, ou Pékin, avec retransmission sur grand écran devant la Cité interdite, sur l’immense place Tian’anmen. C’est assez extraordinaire tout de même. Pour moi, c’est un honneur et une grande joie. C’est aussi l’occasion de faire connaître ” hors les murs ” cet orchestre qui a d’immenses qualités et qui a déjà atteint un très haut niveau. Mon souhait serait de faire réaliser aux hommes politiques marseillais quel ” bijou ” ils possèdent, leur donner ainsi l’envie de s’en servir comme d’une vitrine qui ferait honneur à leur ville. Il faut pouvoir faire montre d’une implication dans des voies différentes. Vous l’avez deviné, je suis un chef d’orchestre et un Directeur Musical tout à fait comblé.
Quelques projets dont vous voulez parler ?
je suis un homme incorrigible et j’ai toujours des projets, mais peut-être suis-je un peu superstitieux, alors chut.. je vous en parlerai plus tard.