Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2014, Grand Théâtre de Provence
Chamber Orchestra of Europe
Violon et direction Renaud Capuçon
Violon Christian Tetzlaff, Alina Pogostkina, James Ehnes
Clavecin Celine Frisch
Johann Sebastian Bach: Concerto pour deux violons en ré mineur BWV1043 ; Concerto pour trois violons en ré majeur BWV1064R
Antonio Vivaldi: Concerto pour deux violons en la mineur op.3 n°8 RV 522; Concerto pour quatre violons en si mineur op.3 n°10 RV 580.
Richard Strauss: “Métamorphoses”, étude pour vingt-trois cordes solistes op.142.
Aix-en-Provence, 26 avril 2014
Cette soirée du 26 avril, était une Soirée carte blanche à Renaud Capuçon. Dans la grande salle du Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, Renaud Capuçon, qui avait composé le programme, allait jouer et diriger du violon des oeuvres qu’il aime, avec des musiciens qu’il apprécie. Johann Sebastian Bach et Antonio Vivaldi, en première partie mettaient le violon à l’honneur ; Richard Strauss ensuite, allait faire sonner et résonner les instruments d’un quatuor très fourni.
Si Bach et Vivaldi sont tous deux contemporains, ils sont de culture différente ; au sévère luthérien, allait s’opposer l’exubérant vénitien. S’opposer ? en aucune façon, le violon fait le lien, et ce violon, ils vont le faire si bien sonner, que près de trois cents ans plus tard, les plus merveilleux violonistes jouent encore cette musique avec autant de joie et de passion que si elle avait été composée spécialement pour eux. Ce soir, non seulement les violonistes étaient prestigieux, mais les violons sur lesquels ils jouaient l’étaient tout autant : Deux Stradivari, un Guanerius del Gesù, et un violon allemand moderne de Peter Greiner, pour un concert à quatre violons de toute beauté. On ne présente déjà plus Renaud Capuçon, tant il est connu et reconnu, ayant joué sur les scènes du monde entier dirigé par les plus grands chefs.
Dans le Concerto en ré mineur pour deux violons de Johann Sebastian Bach, James Ehnes allait dialoguer avec RenaudCapuçon pour le plus grand plaisir d’un public qui allait retenir son souffle de la première à la dernière note. Après avoir entendu les grands concertos d’un Piotr Ilitch Tchaïkovski ou d’un Serge Prokofiev par exemple, on pourrait penser que ceux de J.S. Bach sont plus faciles à interpréter, mais il n’en est rien, car rien n’est plus difficile que de jouer une musique d’une grande pureté, où tout, absolument tout s’entend.
Renaud Capuçon a un son que l’on peut qualifier de somptueux ; avec un tel violon, dira-t-on…. mais on peut être sûr que le son est le reflet de l’âme, du sourire intérieur, et même parfois de l’élévation spirituelle ; il a une technique d’archet époustouflante qui lui permet de respirer, d’accentuer telle ou telle note, de donner de la puissance ou de laisser mourir le son. C’est du Bach comme on aime à l’entendre, deux violons qui se répondent dans la recherche d’un même style ; James Ehnes, avec un grand investissement dialogue, répond, avec un son en harmonie. Même si la pâte sonore n’est pas tout à fait identique la musicalité des deux artistes ne fait aucun doute. Les ralentis sont faits dans un même souffle, les attaques, sans dureté sont parfaitement ensemble, et l’on sent que rien n’est laissé au hasard. Mais si tout est travaillé, tout est aussi ressenti.
Antonio Vivaldi et son Concerto en la mineur, pour deux violons, était joué ensuite par Alina Pogostkina et Christian Tetzlaff.
Ici aussi, on sent un investissement personnel, où chaque note est pensée, jouée, chantée. Si Christian Tetzlaff a un vibrato un peu baroque, avec un jeu parfois un peu maniéré, Alina Pogostkina, très affirmée, avec un archet très à la corde, est peut-être plus moderne dans sa façon de jouer ; mais ils forment un duo où l’envie de jouer ensemble transparaît, avec des nuances et des reprises de thèmes faites dans un même esprit. Le tempo vif du troisième mouvement fait ressortir sans dureté un gettato percutant joué au talon, c’est un Vivaldi avec des touches modernes, joué avec précision et une belle justesse de style.
J.S. Bach encore, pour son concerto en ré majeur écrit pour trois violons.
Renaud Capuçon, Alina pogostkina et James Ehnes, jouaient en solistes. Il est assez délicat d’interpréter du Bach avec des personnalités différentes, mais on peut, avec une grande intelligence de jeu et une grande écoute, arriver à donner une même pulsion et un son plein et homogène, malgré des sonorités différentes.
Une belle ligne musicale dans des tempi soutenus, et une grande souplesse sur une structure sans rigidité, font de ce concerto un beau moment de musique, avec des passages solistes joués avec brio qui finissent dans une gande reprise tutti.
Le Concerto en si majeur, d’Antonio Vivaldi pour quatre violons terminait ce moment de grâce. Dans un tempo très vif chaque soliste fait entendre sa voix, telle une introduction à un dialogue. Les phrases musicales du deuxième mouvement se répondent avec un même style, et c’est avec beaucoup d’élégance malgré un tempo très soutenu, qu’est joué le troisième mouvement. Cette musique est le reflet d’une époque où la beauté avait un certain prix.
Par le choix des oeuvres, par le choix des interprètes, et par une exécution remarquable, Renaud Capuçon nous montre ici combien il est musicien. Un moment rare où le violon est à l’honneur, soutenu et accompagné de façon admirable par un Chamber orchestra of Europe qui a su soutenir et répondre aux solistes, mais qui a su aussi se faire entendre, avec des attaques d’une grande netteté et des nuances qui suivent la dynamique des violonistes solistes ; tout cela sans la direction d’un chef d’orchestre, mais avec une précision horlogère.
Une mention toute spéciale pour Céline Frisch qui joue la partie de clavecin avec pureté et musicalité. Il est à noter que cette jeune musicienne, qui a été en 2002 la première claveciniste sélectionnée pour les ” Victoires de la musique classique “, a fait ses études de clavecin et de musique de chambre au Conservatoire d’Aix-en-Provence. Le Chamber Orchesra of Europe jouait, en deuxième partie : Métamorphoses de Richard Strauss. Richard Strauss a 80 ans lorsqu’il compose cette pièce écrite sous le coup de l’émotion, après la destruction d’une partie de l’Allemagne lors de la seconde guerre mondiale.
Jouée par 23 instruments solistes : 10 violons, 5 altos, 5 violoncelles et 3 contrebasses, cette composition dure à peu près 30 minutes et laisse entendre les premières notes de la ” Marche funèbre ” du deuxième mouvement de la 3ème symphonie de Beethoven, au cours d’un long adagio de méditation.
Le Chamber orchesra of Europe, fondé en 1981 et composé de musiciens de nationalités différentes, ne possède pas de directeur musical ou de chef d’orchestre attitré mais a joué avec les plus grands déjà. Souvent considéré comme ” le meilleur Orchestre de chambre du monde “, le Chamber orchestra of Europe est tout à fait digne de cette appellation. C’est sans chef qu’il se produit ce soir, dirigé du violon par Renaud Capuçon qui tient le poste de violon solo pour cette soirée spéciale.
Musique étrange, musique intérieure, musique de réflexion basée sur les sonorités, avec des harmonies straussiennes douces d’une grande sobriété, composée par un Richard Strauss habité. Le son soutenu, comme un fil qui se déroule nous fait traverser des zones dévastées et empreintes de tristesse. Sans doute est-ce un choix délibéré que de se limiter à cette formation, où chaque instrument fait entendre sa voix comme une vague de son qui passe, apportant avec élégance une certaine lumière.
Richard Strauss se sert avec talent des sonorités différentes de quatre familles d’instruments, faisant résonner les contrebasses à la manière des pédaliers d’orgue, et employant les violoncelles pour des chants liturgiques. les nuances sont de toute beauté, comme une pièce de dentelle aux mille jours. Renaud Capuçon dirige avec fermeté et efficacité du violon, sans pour cela relâcher l’intensité de son interprétation. L’ensemble est d’une grande cohésion rendant palpable le plaisir de jouer.
C’est une composition épurée, écrite par un Richard Strauss qui semble avoir laissé derrière lui les doutes et les questions, et qui ouvre grand les portes pour un chemin vers une autre dimension.
Jouer sans chef et avec tant de précision et de justesse d’expression une telle oeuvre est exceptionnel. On trouve dans cette interprétation rigueur, musicalité, compréhension et amour collectif, portés par d’immenses talents à la mesure de l’immense compositeur qu’est Richard Strauss. Chaque instrumentiste est un soliste, chaque instrumentiste est à l’écoute de l’autre et chacun est investi d’une mission : servir la musique et le compositeur. Les applaudissements fusent après un long moment de recueillement. C’est une soirée de musique pure, à la rencontre de musiciens d’exception qui élèvent la musique vers des sommets pour atteindre le divin. Ce Festival de Pâques a été une réussite tant sur le plan des concerts et des interprètes que sur les choix et les émotions, et l’on se demande, peut-on aller plus haut encore ? Photo Caroline Doutre