Opéra de Marseille, concerts, saison 2013 / 2014.
Orchestre Philharmonique de Marseille.
Choeurs de l’Opéra de Marseille et de l’Opéra de Monte-Carlo.
Direction Lawrence Foster
Soprano Ricarda Merbeth.
Mezzo Simone Ivas
Ténor Donald Liraker
Basse Daniel Kotlinski
Ludwig van Beethoven :Symphonie No 9 en ré mineur. op. 125.
Marseille, 4 avril 2014
Le public marseillais a de tout temps aimé les événements de tous ordres, et particulièrement les événements musicaux; et en cette soirée du vendredi 4 avril, nombreux étaient ceux qui s’étaient donné rendez-vous dans cette salle du Silo pour écouter la monumentale Neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven, transmise en direct sur les ondes de Radio Classique.
En effet, chose tout à fait inhabituelle, Radio Classique allait consacrer cette journée à Marseille, a son Opéra, son orchestre et son choeur, diffusant interviews et concert. Cette symphonie, certainement la plus connue du compositeur, jouée pour la première fois à Vienne en 1824, allait connaître un grand succès jusque là jamais démenti.
Si Beethoven met deux ans pour la composer, il a depuis trente ans en tête un projet : mettre en musique l’Ode à la joie du Poète Friedrich von Schiller. Venant après les symphonies de Haydn et de Mozart, cette orchestration allait marquer un tournant décisif dans l’écriture et le style musical.
Le dernier mouvement, qui introduit quatre chanteurs solistes et un choeur très fourni, est un monument de puissance et de couleurs, et son Hymne à la joie sera retenu en 1972, pour être la musique de L’Hymne européen.
Pour cette soirée, l’Orchestre de Marseille au grand complet, ainsi que que les choeurs de l’Opéra de Marseille et de l’opéra de Monte-Carlo ( 70 chanteurs ), étaient placés sous la baguette du Maestro Lawrence Foster.
Dès les premières notes, on sent que ce chef, en poste à Marseille depuis plus de deux ans maintenant, a pris complètement possession de son orchestre, et à l’issue de ce concert, on a véritablement l’impression d’avoir vécu un moment privilégié, où musiciens, chef, chanteurs et public, étaient en parfaite communion.
Tout au long de cette symphonie qui dure plus d’une heure, Lawrence Foster réussit à tenir une tension dans le son et l’interprétation qui soutient l’attention des musiciens mais aussi celle du public. C’est un fil tendu qui se déroule, passant d’un mouvement à l’autre, malgré les changements de sentiments et de tempi.
C’est assez exceptionnel, car il y a dans l’écriture de cette symphonie, des passages qui pourraient sembler n’avoir aucun lien entre eux. Ici, on comprend tout à fait ce que Beethoven a voulu transcrire ; cet humaniste, cet homme de partage nous livre ses doutes, ses espoirs, ses moments de gaîté et de mélancolie.
C’est grâce au choix des tempi, très justes, jamais exagérés, et aux nuances exécutées avec souplesse et rapidité que Lawrence Foster nous maintient ainsi, suspendus aux archets.
Le premier mouvement Allegro ma non troppo, commence dans un mystérieux piano des violons. Les atmosphères changent rapidement et les accords joués avec netteté mais sans dureté chassent le mystère.
Avec une justesse parfaite, les instruments solistes de l’harmonie dialoguent dans une même sonorité, donnant la parole à des archets à la cordes qui font entendre un détaché incisif, rythmé par des roulements de timbales aux sons percutants mais moelleux qui laissent vibrer les harmoniques.
Le Scherzo molto vivace, reste confortable, laissant les cordes sonner dans un spiccato aéré où l’on sent l’engagement personnel de chaque musicien. Dans ce mouvement, comme dans toute l’oeuvre, les timbales jouent un rôle majeur, c’est la structure sur laquelle les instruments solistes peuvent jouer en toute liberté ; avec un son d’une belle rondeur, elles se mêlent aux sonorités de l’orchestre. Dans ce scherzo, le détaché pétillant du quatuor répond à la petite harmonie et au spiccato du hautbois dans un même souffle, sans aucune lourdeur. Si le chef semble laisser jouer sans trop intervenir dans le legato des cordes qui fait un tapis sonore au cor solo, il reste vigilant et ses arrêts sont nets et sonores.
Malgré un tempo lent sans excès, l’adagio molto cantabile, reste tendu et soutenu. Les gestes amples du chef d’orchestre appellent les sonorités moelleuses du quatuor et du thème chanté par les alti et le hautbois. Le son est généreux tout en restant dans le piano. C’est le son que l’on retient surtout où la mélancolie de la clarinette se mêle à l’espoir contenu dans les notes des violons. C’est d’une grande beauté de style qui suggère les sentiments par des nuances très bien maîtrisées.
Il faut attendre le dernier mouvement, le Finale, qui débute par un éclat de sonorités mettant à l’honneur les trompettes, pour atteindre la pleine puissance de cette symphonie. Mais comme dans toute l’oeuvre, les phrases mélodiques font place à la force, et dans cette longue introduction, Beethoven se sert de la couleur des instruments pour reprendre les thèmes qui lui sont chers, ainsi, cette belle exposition jouée par les contrebasses et les violoncelles.
Si le compositeur a su se servir de l’orchestre et explorer le registre de chaque instrument avec génie et intelligence, il n’en est pas de même dès qu’il écrit pour les chanteurs. Les tessitures sont tendues et haut perchées pendant de longues mesures, ce qui produit un déséquilibre chez les solistes, où la soprano et le ténor couvrent les voix graves. C’est moins flagrant pour la partie des choeurs, et même si c’est d’un bel effet, cela reste particulièrement difficile à chanter.
C’est la basse qui ouvre ce feu d’artifice vocal. Daniel Kotlinski, dont les aigus manquent d’ampleur est plus à l’aise dans les graves où sa voix s’épanouit avec plus de facilité. Cette écriture, qui fait commencer la voix de basse A capella, dans une tessiture haute, est assez risquée, et on préfère l’écouter dans le medium, alors que le timbre s’arrondit faisant ressortir les rythmes, ou dans le duo musical avec le ténor. Donald Liraker, chante la partie de ténor ; sa voix claire et puissante est tout à fait adaptée à l’écriture et à la langue allemande. Chaque mot est projeté, rendant les notes incisives et sonores. Ses aigus sont éclatants et le medium coloré. Il fait de jolies nuances, ce qui lui permet de ne pas passer trop au-dessus des autres voix.
Ricarda Merbeth, que nous avions appréciée la saison dernière dans Elektra, où elle interprétait le rôle de Chrysothémis, chante avec musicalité tout en retenant un peu sa voix pour ne pas couvrir ses partenaires par des aigus trop éclatants, et ils sont nombreux. Il est difficile dans cette écriture, de maîtriser la voix sans prendre trop de risques, mais dans la mesure du possible. Ricarda Merbeth y parvient et garde un timbre agréable avec une belle rondeur de son malgré cette tessiture tendue.
Dans toutes les versions entendues, la voix de mezzo a du mal à se faire entendre, entre une soprano et un ténor qui chantent des notes aiguës forte à ses côtés. Simone Ivas, ne peut rien contre cela et c’est dommage, car dans les quelques notes où elle chante seule, on peut apprécier son timbre chaleureux et sonore qui fait la liaison harmonique dans le quatuor vocal, faisant ressortir la partie intermédiaire, appuyée par la voix de basse. Un beau quatuor qui fait preuve de musicalité en faisant de belles nuances.
Dans ce Finale éclatant, la partie de choeur est primordiale. Le choeur fait ici montre de professionnalisme et d’un réel talent, mettant au service de l’oeuvre la personnalité de chacun : voix homogènes, force, netteté des attaques, puissance dans le son et sensibilité dans les nuances, à l’écoute d’un chef attentif à faire ressortir chaque inflexion. Un choeur admirablement préparé et hautement apprécié.
Tout au long de cette symphonie, l’orchestre a montré une efficacité et une musicalité en tous points digne des applaudissements reçus. Il est impossible de citer chaque soliste, mais on doit remarquer la grande justesse de l’harmonie, les superbes solos, qu’ils soient joués au cor ou au trombone, les reprises de thèmes à la petite harmonie, jouant sur les nuances et la sonorité. Les cordes, aussi, sonnant comme un seul instrument. L’orchestre semble avoir trouvé un son, apanage de tous les grands orchestres. Le Maestro Lawrence Foster, a su apporter un souffle nouveau à cet orchestre qui joue avec beaucoup d’enthousiasme. Sans être à la recherche d’effets, il dirige avec conviction, efficacité, donnant sa touche personnelle à cette symphonie si souvent jouée. Ce que l’on retient, est cette tension qui, du début mène à l’explosion finale, et une musicalité sans exagération. Une soirée pleine d’émotion.