Festival de Pâques Aix-en-Provence 2014, Grand Théâtre
Orchestre Philharmonique de Radio France.
Direction Myung-Whun Chung
Gustav Mahler : Symphonie No 9 en ré majeur.
Aix-en-Provence, 18 avril 2014
En cette soirée du 18 avril, et toujours dans le cadre du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, un concert dédié à la seule symphonie No 9 de Gustav Mahler nous était proposé. Cette symphonie monumentale est assez longue pour justifier une telle programmation, et puis, qu’associer à Gustave Mahler ?
L’Orchestre de Radio France dirigé par son chef Myung-Whun Chung, nous conviait à cette fête, et sans nul doute ce fût une fête ; la fête des sons, de la musique et des vibrations extraordinaires. Gustav Mahler n’a pas toujours été apprécié à la mesure de son talent en tant que compositeur à son époque.” Mon temps viendra” disait-il ; en fait, il faudra attendre les années 1960 pour que sa musique soit jouée partout à travers le monde avec succès. Cette musique, qui n’était pas dans le goût français de l’époque, a fait dire à Claude Debussy, son exact contemporain, à l’issue de l’écoute de sa symphonie No 2 : ” ouvrons l’oeil et fermons l’oreille “. Obsédé par l’idée de ne pas atteindre la puissance de la IXème symphonie de Beethoven, le compositeur hésitait à mettre le chiffre 9 devant une de ses symphonies et déclarait que chacune d’elles était une IXème.
Entre le romantisme et le modernisme, Gustav Mahler introduit les accords avec de légères dissonances et va vers des voies autres que celles du contrepoint ou de l’harmonie classiques, ouvrant ainsi les portes à l’atonalité.
La symphonie No 9 que nous écoutons ce soir est sa dernière oeuvre achevée, composée avant sa mort. Moins sombre, moins pessimiste que ses autres oeuvres, avec tout de même des allusions à la mort, mais plutôt dans l’idée sereine d’un départ, elle n’en est pas moins grandiose et puissante. ” Je suis devenu chef d’orchestre pour diriger Mahler “, disait Myung-Whun Chung, et ici, à la tête de l’orchestre qu’il dirige depuis l’année 2000, on est convaincu qu’il y a une réelle fusion entre le compositeur, l’orchestre et le chef. Myung-Whun Chung est un chef d’orchestre solide au sourire lumineux. Deux qualificatifs qui pourraient ne pas cohabiter vraiment, mais qui donnent dans ce cas précis, une interprétation à la fois robuste sans rudesse et délicate sans mièvrerie. Ses pieds bien ancrés su le podium ne bougeront plus pendant près de 90 minutes, la puissance viendra de ses bras aux gestes d’une netteté rare et au tranchant qui laisse sonner les vibrations, des gestes impressionnants, directement mus par la force de sa musique intérieure.
Le premier mouvement commencé d’une écriture hésitante, nous fait entrer dans l’intimité d’un Gustav Mahler qui a des doutes et continue à se poser des questions, mais avec plus de sérénité, comme s’il avait pris un certain recul par rapport à ses angoisses passées. Les violons jouent avec une belle rondeur de son une mélodie plus optimiste. Evidemment, comme toujours chez Gustav Mahler, la sérénité ne dure pas longtemps et les atmosphères différentes se succèdent. Dans ce mouvement aux nuances contrastées et aux sonorités alternées, Myung-Whun Chung, trouve une unité de son extraordinaire. Il arrive à faire sonner les différents instruments comme si le même instrumentiste jouait simplement dans des tessitures différentes : les trompettes, étonnantes de finesse, prennent le son du hautbois, les timbales celui des contrebasses, les cors celui des violoncelles et la flûte celui des violons dans l’aigu. Tout au long de cette symphonie, on ne sait plus qui joue, l’oreille se laisse tout simplement porter par des sonorités de toute beauté.
Myung-Whun Chung a fait un travail remarquable sur le son et les atmosphères, il connait bien son orchestre et celui-ci semble réagir aux simples ondes transmises. Cet homme est un humaniste et cela se sent dans sa façon de diriger ; malgré des gestes d’une grande netteté, avec une vitesse de bras et une efficacité redoutables, il semble ne rien imposer. Homme de partage, on le sent habité par Gustav Mahler et il donne une unité aux quatre mouvements de cette symphonie, grâce à une rondeur de son unique. Même les cloches, qui pourraient accompagner un convoi funèbre, se font légères.
Dans la danse rustique du deuxième mouvement, les alti donnent le rythme par un détaché mordant au talon, et là aussi, le son se fond avec celui de l’orchestre. On a souvent parlé de l’ironie grinçante de Gustav Mahler, sans doute Myung-Whun Chung, n’a-t-il pas cette vision, les dissonances sont plutôt ici l’image du peuple qui danse avec des idées plus ou moins joyeuses.
Et toujours une gestuelle puissante mais qui reste élégante. Les gestes appellent le son, et le son est ample, même dans lespiani, où une certaine vitesse d’archet donne le côté percutant évitant la dureté.
Le troisième mouvement est d’une grande netteté d’interprétation, avec une belle implication des cordes ; on sent que le rythme habite chaque musicien, et l’on pourrait même imaginer le chef d’orchestre diriger du regard, tant tout paraît millimétré, mais sans affectation et avec beaucoup de ressenti. Chaque coup d’archet, chaque son semble venir de l’intérieur du musicien et le quatuor joue dans un ensemble impressionnant. Toutes les interventions, flûte, petite clarinette, trompette, s’imbriquent les unes dans les autres comme des pièces de joaillerie, pour finir dans un déferlement de sons.
Comme dans la symphonie No 6 de Tchaïkovski, le dernier mouvement est un mouvement lent, où résonne un son de cathédrale, produit par le quatuor au vibrato intense. Il n’y a qu’une seule technique, qu’un seul vibrato, qu’un seul instrumentiste. Avec une baguette au fond des temps, Myung-Whun Chung donne envie de jouer et cette implication de chacun est extraordinaire. Aucun relâchement, que ce soit dans l’éclat de l’harmonie, ou dans la plainte de l’alto solo. Cette symphonie est magnifiquement dirigée par un chef qui donne accès à un Gustav Mahler intime, tout en faisant ressortir sa personnalité. On l’aura compris, cette interprétation de la symphonie No 9 de Gustav Mahler a impressionné un public qui, jusqu’à l’éclairage de la salle a fait une ovation à l’orchestre et à son chef talentueux.