Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2014, Grand Théâtre de Provence
Orchestre Symphonique de Göteborg
Direction Gustavo Dudamel
Richard Strauss: Poème symphonique Till l’espiègle
Wolfgang Amadeus Mozart: Symphonie No 38 en ré majeur
Jean Sibelius: Symphonie No 2 en ré majeur
Aix-en-Provence, 20 avril 2014
A Aix-en Provence, dans le cadre du Festival de Pâques, Gustavo Dudamel, un autre charismatique représentant de la nouvelle génération de chefs d’orchestres, était ce soir à la tête de l‘Orchestre symphonique de Göteborg. Il est ” le” jeune chef de sa génération.
Ovationné par le public à chacune de ses prestations, la presse lui réserve des critiques hautement élogieuses.
Est-ce dû à son parcours fulgurant et atypique ? Il n’y a pas de fumée sans feu dit-on, et Gustavo Dudamel justement, est habité par ce feu que ses origines venues d’Amérique latine laissent largement exprimer. C’est un homme heureux dans ce qu’il fait et ce qu’il transmet, cela se voit dès qu’il arrive, avec ce sourire mi-joyeux, mi-amusé qui a gardé l’étonnement de la jeunesse, et qui fait penser à celui de Charly Chaplin.
Né à Barquisimeto, une petite ville du Venezuela, il est très tôt imprégné de musique grâce à un père tromboniste et apprend le violon dès son plus jeune âge. Il lui faudra de grandes qualités et un énorme travail pour faire une telle carrière aussi rapidement, tout en venant d’un pays qui n’est pas connu pour être le berceau de la musique classique. Mais il faut compter avec des personnalités comme Jose Antonio Abreu, récipiendaire du Prix Nobel alternatif 2002, et qui fonde en 1975 ” El Estima ” un réseau national d’orchestres pour enfants venus de tous milieux. Il formera 250 000 jeunes musiciens qui pourront pratiquer la musique classique au sein de 126 orchestres, dont certains joueront dans 36 orchestres professionnels. pour un pays qui compte 22 millions d’habitants, c’est un exploit.
Dès 1999 Gustavo Dudamel est nommé directeur musical de l’Orchestre des jeunes Simon Bolivar, fondé justement par Jose Antonio Abreu. Sa distinction au concours de direction d’orchestre Gustav Mahler à Bamberg le fait connaître en Europe où il dirigera bientôt les meilleurs orchestres. Il prend la direction de l’Orchestre Symphoniques de Göteborg, puis celle de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles avec lequel il remporte le Grammy Award, dans la catégorie ” Meilleure performance orchestrale “.
Le programme choisi ce soir est assez déconcertant, Strauss: Till l’espiègle, Mozart: la symphonie o3 dite Prague, et Jean Sibelius: la symphonie No 2 ; programme aussi choisi pour la tournée que va faire Gustavo Dudamel avec son orchestre en France, en Suisse et en Italie. On ne comprend pas bien le choix d’une symphonie de Mozart entre deux compositeurs aussi modernes, et cela déstabilisera un peu le public.
Le concert débutait avec Till l’espiègle. Ce poème symphonique composé par Richard Strauss est reconnaissable dès les premières notes jouées par le cor solo. On retrouve dans cette oeuvre assez courte toutes les émotions vécues par un jeune garçon espiègle et facétieux. L’écriture est très imagée et fait penser aux formules instrumentales proposées par Paul Dukas pour son apprenti sorcier, les deux oeuvres étant écrites à peu près à la même époque.
Gustavo Dudamel rentre tout de suite dans le vif du sujet avec un tempo énergique n’excluant pas l’humour et la sensibilité si bien écrites par Richard Strauss. On remarque tout de suite les qualités d’un quatuor hautement homogène et très investi, avec un violon solo efficace et sensible faisant entendre des sons d’une grande pureté. L’harmonie toujours sollicitée dans cette oeuvre se montre aussi à la hauteur dans les solos et les réponses, jouant sur les couleurs allant de la petite clarinette à la clarinette basse tout en passant par les cors ou les autres instruments des bois.
Le chef d’orchestre très précis, soutient les rythmes d’une baguette nerveuse, tout en gardant une gestuelle élégante. Il fait ressortir les couleurs et l’esprit de ce poème symphonique avec des forte amples, un spiccato léger au quatuor et un beau son de timbales. Malgré quelques attaques pas toujours précises, Ce Till l’espiègle est une belle introduction à ce concert où le quatuor reste à l’honneur.
La symphonie de Mozart dite “Prague” qui continuait ce concert était un peu décevante, peut-être ressortait-elle moins, jouée après la musique enlevée de Richard Strauss ? Toujours est-il qu’elle nous a paru un peu terne et sans trop de relief, malgré une direction délicate, expressive avec retenue et malgré le superbe son du quatuor. Dès le premier mouvement, les violons sont remarquables dans les reprises du thème, avec des attaques nettes et une vitesse d’archet qui donne du son sans rudesse.
Le deuxième mouvement est joué sans lenteur, il est dirigé avec des gestes souples et amples qui laissent couler les notes avec musicalité, on a l’impression là aussi, que les violons jouent sur une seule corde. Cette symphonie reste élégante jusque dans le troisième mouvement et fait ressortir en alternance, la délicatesse, opposée aux sonorités fortes jouées sans dureté. Gustavo Dudamel dirige sans raideur, avec un corps souple au léger balancement, et une économie de gestes qui laissent l’orchestre s’exprimer, avec un beau son de timbales et un quatuor brillant.
La symphonie No2 de Jean Sibelius qui nous était donnée à écouter en deuxième partie du concert était très attendue et nous semblait plus adaptée au style de l’orchestre et à son chef qui l’aurait, selon la rumeur, dirigée près de deux cents fois. Le compositeur finlandais Jean Sibelius aurait pratiquement composé cette oeuvre au cours d’un voyage en Italie. Bien que souvent appelée l’Italienne, c’est plutôt à des atmosphères du nord de l’Europe que cette symphonie nous fait penser.
Pas d’interprétation métaphysique, Jean Sibelius compose dans une idée de discours ouvert. Il utilise des moyens instrumentaux considérables et s’en sert pour une allégorie à la nature dans un style de musique à effet.
Cette symphonie est ici magnifiquement dirigée par un Gustavo Dudamel qui laisse aller son tempérament aux dynamiques, souvent appuyées par des rythmes faits pour les accentuer. Très puissant et avec de belles respirations, le premier mouvement est admirablement interprété par une harmonie d’une grande justesse ayant trouvé une belle unité de son, propulsée par le détaché immuable du quatuor.
L’atmosphère change au deuxième mouvement, avec les pizzicati des contrebasses, et l’harmonie participe à cette ambiance empreinte de nostalgie. la montée en puissance avec le magnifique roulement de timbales est un moment crucial de cette symphonie où les cuivres montrent une grande cohésion de sons pour des immenses forte qui ne saturent pas. On sent une fusion entre les musiciens, entre le quatuor et l’harmonie. Sans doute habitués à jouer cette musique ils sont très à l’aise et peuvent se laisser aller avec le chef d’orchestre vers une interprétation libérée. Il y a dans tout ce mouvement avec des moments plus sombres, une grande ligne musicale où les changements de tempi sont bien amenés.
Le troisième mouvement, enchaîné, laisse percer une ambiance inquiétante, donnée par le chef d’orchestre qui a fait sienne cette symphonie, laissant jouer les cordes dans une grande homogénéité qui emporte l’orchestre ; avec toujours ces changements de dynamiques qui tiennent en haleine.
Le quatrième mouvement est joué dans un tempo très vif par des violons au détaché diabolique, sur lesquels le hautbois vient jouer sa mélodie mélancolique, telles quelques réminiscences. Cette mélodie très connue, transcrit bien l’idée que l’on se fait d’un chant nordique. Les oppositions de couleurs et de nuances jouées avec une ligne musicale soutenue, tiennent l’auditeur dans une tension permanente. C’est très bien écrit, très bien joué, avec des interventions justes et imagées, qui font ressortir les instruments pour finir en apothéose avec un soleil au zénith.
Un tonnerre d’applaudissements est venu saluer Gustavo Dudamel et son orchestre. Cette symphonie rachète oh ! combien, une première partie un peu moins brillante.
Après de nombreux rappels, le public réclamant en bis le ” Mambo ” de Leonard Berstein, Gustavo Dudamel nous offrira un autre Berstein, le Divertimento ( 2ème mouvement ) waltz, Allegro con grazia. Moins connu, moins rythmé mais tout à fait agréable, joué par un quatuor délicat qui met à l’honneur ses solistes. Cette Waltz terminera ce concert, digne des grandes soirées musicales. Photo Caroline Doutre