Aix-en-Provence, Festival de Pâques
Orchestre Philharmonique de Rotterdam
Direction musicale Yannick Nézet-Séguin
Violon Lisa Batiashvili
Ludwig van Beethoven: Concerto pour violon en ré majeur op 61.
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Symphonie No 6 en si mineur Pathétique.
Aix-en-Provence, 16 avril 2014
La création du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, avait été une réussite aussi bien par la qualité des concerts proposés que par la fréquentation du public, et cette deuxième édition qui a débuté le 14 avril, promet d’être encore plus retentissante. Au programme, en cette soirée du 16 avril dans la salle du Grand Théâtre de Provence, Ludwig van Beethoven et son célèbre concerto en ré majeur joué ici par la jeune violoniste géorgienne Lisa Batiashvili, et Piotr Ilitch Tchaïkovski pour sa grandiose 6ème symphonie, interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam sous la baguette du Maestro Yannick Nézet-Séguin.
Bien qu’encore très jeune, elle n’a que 35 ans, Lisa Batiashvili fait partie du monde très restreint des virtuoses de son temps. Elle allie charme, technique, musicalité et surtout talent ; le talent, c’est posséder tout cela et ce petit plus qui ne s’acquiert pas en travaillant. Le talent se porte en soi, se voit, s’entend et surtout se perçoit.
On ne joue plus du violon actuellement comme on en jouait il y a trente ou quarante ans. Les concertistes s’expriment aujourd’hui avec beaucoup plus d’énergie et d’investissement physique. Alors que les sentiments se faisaient ressentir avec beaucoup d’intériorité, ils sont maintenant exposés avec plus de présence et d’intensité. Ce qui a changé de façon spectaculaire, c’est la technique d’archet. L’archet fait le son, c’est le souffle du chanteur, et tous les grands violonistes actuels ont une prise de son extraordinaire qui fait ressortir les pianissimi intensément. Le violoniste concertiste n’est plus cet instrumentiste élégant et racé qui semblait tirer les sons de son violon tout en restant un peu extérieur, le violoniste nouvelle génération possède son violon, le domine, le soumet et ” joue avec ses tripes “.
Si tout au long de ce concerto de Beethoven, on remarque la sureté de la main gauche de Lisa Batiashvili, sa justesse sans faille et son vibrato intense, c’est sa technique d’archet qui fait toute la différence, le son est pur, aussi bien dans les pianissimi célestes que dans les forte puissants qui ne saturent jamais. Le souffle est dans l’archet et lui permet d’aller au delà des difficultés techniques avec facilité. Servie par le beau son du quatuor et la justesse de l’harmonie, cette superbe violoniste nous donne à entendre un premier mouvement sensible, bien que commencé un peu sagement, mais le tempérament que l’on sent sous chaque note prend le dessus pour nous livrer une cadence de toute beauté.
Plus habitués à entendre les cadences de Fritz Kreisler ou de Joseph Joachim, nous sommes vite séduits parc celle écrite par Alfred Schnittke. Ce compositeur soviétique d’origine allemande intéressé par la musique sérielle, nous fait écouter des harmonies modernes, ponctuées par quelques accents rajoutés aux timbales. C’est une cadence puissante, intense où le son reste homogène dans les changements de cordes et d’archets n’excluant pas les nuances qui jouent sur les émotions.
Le deuxième mouvement lent et suave, permet d’apprécier les sons extrêmement purs du violon Guarnerius del Gésù de 1739. La magie de ces violons, qui depuis près de trois cents ans chantent avec pureté, ne serait pas là sans la pâte sonore du violoniste. C’est une fusion complète entre l’instrument et l’instrumentiste. Aucun instrument n’a le même son, aucun violoniste n’a le même vibrato. C’est donc un mouvement sans lenteur, tout de charme et de tendresse joué dans un style épuré, que Lisa Batiashvili nous livre ici. Bien soutenue par l’orchestre qui se fond dans sa sonorité, elle peut s’exprimer librement, jouant sur les nuances et les ralentis, laissant les notes en suspension.
Le troisième mouvement vif sans excès, reste confortable. Le chef suit avec enthousiasme et précision, tout en donnant une grande souplesse à la soliste qui laisse son archet respirer et permet à chaque note de s’exprimer.
Yannick Nézet-Séguin dirige avec efficacité dans un tempo soutenu, se mettant au service de la soliste.
C’est du beau violon, d’une grande musicalité, pour une interprétation où orchestre et soliste ont joué dans une parfaite communion de sentiments.
Sous les bravos et les applaudissements enthousiastes du public, Lisa Batiashvili, charmante et dans un français parfait, nous annonce une Chanson géorgiennejouée en bis, accompagnée par le quatuor de l’orchestre.
Cette mélodie aux accents orientaux interprétée avec sérénité exprime la nostalgie. Le beau son plein, rond, donné par un archet à la corde laisse ressortir le contre-chant du quatuor. Les glissandi harmoniques des violoncelles repris par la soliste créent une atmosphère particulière. Point n’est besoin de virtuosité dans ce bis pour reconnaître et apprécier une artiste qui nous a charmés tout au long de la première partie de ce concert.
Les sixièmes symphonies semblent inspirer les compositeurs d’une étrange manière. La symphonie No 6 de Gustav Mahler sera nommée Tragique plus tard et celle de Piotr Ilitch Tchaïkovski sera appelée Pathétique par le frère du compositeur.
Quand on sait que Tchaïkovski mourra quelques jours après avoir dirigé cette symphonie pour sa création, on peut penser que ce titre lui convient très bien, en plus de l’angoisse qui transparait dans toute l’oeuvre.
Si la musique apporte à elle seule cette sensation de tristesse et d’appréhension, sa conception même, renforce cette atmosphère lourde ; en effet, très inhabituellement, elle se termine par un mouvement lent, dans un grand piano, comme un adieu au monde et à ses angoisses.
Au début du premier mouvement, les moments de mélancolie évoqués par le quatuor et la clarinette solo cèdent la place à des moments de révoltes joués par un orchestre déchaîné, féroce même. Le chef d’orchestre joue sur les contrastes avec une grande implication. Il fait jouer son orchestre, le fait-il trop ?
On sent un Tchaïkovski en proie aux tourments arrivés à leur paroxysme.
Yannick Nézet-Séguin impose sa vision de l’oeuvre tout en faisant ressortir les sonorités de l’orchestre, aussi bien les larges sons des trombones joués comme un choral, que le son émouvant de la clarinette et joue sur les couleurs des instruments.
L’Allegro con grazia est vraiment écrit avec grâce, cette valse pourtant à cinq temps, est un moment d’optimisme et de répit voulu par le compositeur.
Peut-être le tempo trop rapide enlève-t-il un peu de légèreté et de charme à ce mouvement ?
Yannick Nézet Séguin paraît être un chef d’orchestre moderne, pressé. Investi dans ses gestes il oublie quelques fois de laisser les notes respirer. Il dirige sans baguette et prend littéralement son orchestre ” à bras le corps “. Un orchestre à l’écoute et qui répond avec vivacité aux demandes d’un chef attentif mais peut-être un peu trop nerveux, qui sait toutefois faire de belles nuances et de superbes pianissimi.
Le troisième mouvement commence ” sur les chapeaux de roues ” avec un détaché précis des violons. C’est un beau travail de chef qui tient le rythme, mais ce rythme infernal enlève le petit côté militaire du temps en marche avec les doutes qui l’accompagnent.
Une montée en puissance vraiment très forte termine ce mouvement en apothéose.
Pour éviter tout risque d’applaudissement intempestifs, le chef enchaîne d’un geste large et sans respirer le dernier mouvement. Les sonorités deviennent plus profondes, le calme revient après la tempête des sons et l’on peut pleinement profiter du vibrato intense du quatuor et de sa respiration intérieure.
Yannick Nézet-Séguin nous livre une version personnelle de cette symphonie, un peu trop agitée et loin de l’atmosphère russe si chère à Tchaïkovski qui revendiquait haut et fort pour sa musique, l’appartenance à l’âme de son pays.
C’est une belle performance de chef et d’orchestre auxquels on reconnait d’immenses qualités mais assez éloignée de la personnalité douloureuse de Piotr Ilitch Tchaïkovski, peut-être la retrouve-t-on dans cette fin, jouée piano comme dans un souffle qui s’éteint. Nous avons fait une balade en Russie dans un train à grande vitesse qui nous laisse essoufflés mais ravis par cette soirée de musique à la rencontre de personnalités talentueuses.