Marseille, Théatre Municipal, Saison Lyrique 2013/2014
“LUCIA DI LAMMERMOOR”
Opéra en 3 actes. Livret de Salvatore Cammarano d’après le roman de Sir Walter Scott.
Musique de Gaetano Donizetti
Lord Enrico Ashton GEZIM MYSHKETA
Lucia, sua sorella BURCU UYAR
Sir Edgardo di Ravenswood ARNOLD RUTKOWSKI
Lord Arturo Bucklaw STANISLAS DE BARBEYRAC
Raimondo Bidebant NICOLAS TESTÉ
Alisa, damigella di Lucia LUCIE ROCHE
Normanno Marc LARCHER
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Pierre Iodice
( en remplacement d’ Alain Guingal )
Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
Décors Jacques Gabel
Costumes Katia Dufflot
Lumières Roberto Venturi
Marseille, 1° février 2014
La Forza del Destino, l’opéra de Giuseppe Verdi, est réputé pour être l’opéra où toutes les catastrophes peuvent arriver, mais ce soir, c’était Lucia di Lammermoor, l’opéra de Gaetano Donizetti qui était placé sous le signe des contretemps et pas des moindres. Eglise Gutiérrez, qui devait chanter le rôle titre, souffrant d’une otite, avait dû être remplacée par Zuzana Markovà; cette dernière ne pouvant assurer deux soirées consécutives était remplacée ce soir par Burcu Uyar, mais là ne devaient pas s’arrêter les changements. Juste avant le lever de rideau, Alain Guingal, le chef d’orchestre, pris d’un malaise se trouvait dans l’impossibilité de diriger et afin que le spectacle ait lieu, le chef de choeur prenait sa place. C’est donc sous la baguette, (non, celle ci n’arrivera qu’après l’entracte) sous la direction de Pierre Iodice, que chanteurs et orchestre furent placés; et malgré ces bouleversements et l’annonce de l’indisposition du ténor au troisième acte, cette représentations de Lucia di Lammermoor, fut un succès. Cette production qui date de 2007, n’a pas vieilli.
Frédéric Bélier-Garcia signe une mise en scène sobre où les sentiments se laissent ressentir grâce à une bonne direction des acteurs et à leur sens du dramatique sans qu’ils soient obligés de surjouer. Un décor minimaliste où chaque élément joue son rôle: la tombe, près de la fontaine plutôt suggérée, un énorme lustre qui prend de la hauteur créant des atmosphères, la forêt animée par des jeux de lumière et dont les feuilles réelles jonchent le sol. Point n’est ici besoin de décor monumental, les lumières suffisent, blafardes avec la pleine lune, rougeoyantes lorsque le soleil les embrase. Seul élément du décor omniprésent, une passerelle placée à différentes hauteurs aide au mouvement des acteurs.
Les costumes de Katia Duflot, toujours de très bon goût et coupés dans des tissus somptueux et chatoyants situent l’intrigue chez des personnages de haut rang, et donnent beaucoup de féminité à toutes les dames. C’est donc Burcu Uyar qui tenait le rôle de Lucia, cette soprano turque déjà appréciée en 2012 à l’opéra de Marseille pour sa prestation dans La Flûte enchantée où elle chantait La Reine de la Nuit, a reçu ce soir une ovation de la part du public. Il n’est jamais facile de remplacer au pied levé, la mise en scène n’étant pas vraiment connue du nouvel interprète, ce fait peut déstabiliser les chanteurs, alors, allier cela au changement du chef d’orchestre…quelques flottements ou hésitations sont tout à fait compréhensibles. Mais Burcu Uyar a assuré avec aisance et la partie scénique et la partie vocale. Dès son entrée on aime sa voix assurée au joli timbre, sa puissance qui garde la rondeur de son, ses nuances faites avec souplesse. Le duo Lucia- Edgardo, est un moment de pure musicalité qui n’exclut pas la force des sentiments, les deux voix s’accordant dans une même ligne de chant. Burcu Uyar sera remarquable aussi dans son duo avec la flûte et dans tout l’Air de la Folie, faisant ressortir l’émotion voulue par le compositeur. Sa belle technique lui permet un staccato précis au timbre cristallin et des aigus (contre ré, contre mi) qui paraissent faciles tant sa voix est assurée. Peut-être ses vocalises sont-elles un peu trop sonores, estompant le côté fragile que l’on prête habituellement à Lucia et peut-être note-t-on une légère difficulté à arrêter le contre mi, mais cela n’est rien au regard de sa superbe prestation et le public qui l’ovationne tout particulièrement ne s’y est pas trompé.
C’est Arnold Rutkowski qui ce soir est Edgardo. Déjà apprécié à Toulon où il interprétait Rodolfo dans la Bohème de Puccini et Pinkerton dans Madama Butterfly du même compositeur, ce jeune ténor polonais forme ici avec sa partenaire un couple romantique à souhait. Il chante avec vaillance, faisant ressortir ses émotions; très convaincant, il met sa voix au service de son jeu. Aussi bien dans les passages en récitatif que dans ses Airs, la voix sonore résonne d’une façon homogène, mais il fait remarquer aussi sa musicalité, sa sensibilité et le timbre velouté de sa voix. Ses aigus à l’aise et bien projetés sont toujours agréables. Il fait montre d’une telle vitalité dans toute la première partie, que l’on peut à peine ressentir une légère fatigue après l’entracte, mais cela est si furtif que l’on pense être influencé par l’annonce faite un moment plus tôt. C’est un Edgardo talentueux, fougueux aux inflexions mélodieuses qui donne à entendre jusqu’à la fin de très beaux aigus. Sa première prestation à l’Opéra de Marseille restera dans nos mémoires. Un autre moment fort de cette soirée nous est donné par le baryton albanais Gezim Myshketa, lui aussi invité pour la première fois sur cette scène. Il est un superbe Enrico, tant scéniquement que vocalement. Investi dans un rôle qu’il habite, sa voix se met au diapason de son jeu, sombre, coléreux, on ne voit pas ce qu’on pourrait lui reprocher. Présent dès le début, il chante d’une voix puissante et projetée une cavatina rythmée et pleine de rage; sa voix reste d’une grande homogénéité tout au l’on de l’ouvrage, ses aigus sont brillants et le passage des notes se fait sans difficulté alliant mordant et souplesse. Cette souplesse lui permet d’accorder sa voix avec celle d’Edgardo dans leur duo du second tableau de l’acte II, qui se termine par un sextuor remarquablement écrit et très bien chanté. Gezim Myshketa est un baryton que l’on aimerait entendre plus souvent tant il est apprécié.
Nicolas Testé, est déjà connu du public marseillais qui a eu plusieurs fois le plaisir d’écouter sa voix de basse. Ayant commencé ses études musicales par l’étude du piano et du basson, sa musicalité se fait sentir dans chacune de ses interventions où l’on remarque sa finesse d’interprétation. Il est un Raimondo tout à fait convaincant. Plus basse baryton que basse profonde, il nous fait entendre un médium mélodieux, timbré et chaleureux. Sans être très sombre, la voix porte et garde sa couleur dans chaque registre, il chante avec facilité et avec une diction parfaite. Sa profondeur de son donne un bel équilibre aux ensembles.
Gaetano Donizetti n’a donné qu’un rôle assez court à Arturo, mais Stanislas de Barbeyrac que nous avions déjà remarqué à Marseille dans I Pagliacci et à l’opéra de Toulon dans les Dialogues des Carmélites est à la hauteur de ce casting homogène. Sa voix de ténor est claire et colorée, assurée et timbrée. Il a une belle allure et chante avec aisance, faisant ressortir les nuances. C’est un chanteur que l’on a plaisir à retrouver.
Lucie Roche qui interprète le rôle d’Alisa, est une jeune mezzo-soprano qui a commencé ses études de chant à Marseille. Sa voix est belle et le timbre est joli, elle évolue avec aisance, rendant son rôle intéressant. Chaque intervention est en place et tout à fait pensée, les rôles courts ont aussi leur importance, et bien interprétés l’on a beaucoup de plaisir à les écouter.
Le cas se présente aussi pour le ténor Marc Larcher. que l’on avait déjà entendu dans La Straniera cette saison. Jouant avec vaillance, sa voix percutante résonne avec facilité, grâce une excellente diction et une bonne projection. le timbre est agréable et il a tout à fait sa place dans cette distribution.
Le choeur, investi et bien dirigé dans cette mise en scène, est un personnage à part entière, les hommes surtout dont les interventions sont plus nombreuses et toujours de premier plan. De beaux ensembles aux attaques précises avec une réelle homogénéité. Un grand bravo à Pierre Iodice, qui a bien voulu prendre au pied levé la direction de l’orchestre sauvant ainsi le spectacle d’une annulation certaine. Dire que c’est courageux est bien faible, mais le courage ne suffit pas pour tenir plateau et musiciens; le public qui à la fin de la représentation lui fait une ovation nous démontre que Pierre Iodice a fait preuve de talent, d’autorité et de réelles capacités. L’orchestre très attentif a gardé sous sa direction une belle rondeur de son, et une grande écoute des chanteurs; les solos de flûte, clarinette, cor, hautbois sonnent avec souplesse et même si l’ensemble paraît quelques fois un peu trop fort, il ne couvre jamais les chanteurs. Si ceux-ci, pas du tout habitués à la gestuelle de ce nouveau chef, sont un peu tendus au début, ils prennent vite leurs marques et paraissent très à l’aise en cours du spectacle.
Au final, une représentation qui démontre un grand talent, une grande facilité d’adaptation et un beau professionnalisme de chaque interprète. A l’heure où nous publions, nous sommes heureux d’apprendre que Stanislas de Barbeyrac vient d’être récompensé dans la catégorie ” révélation artistique ” aux 21ème Victoires de la Musique Classique 2014. Photo Christian Dresse