Monsieur Bernard Foccroulle, directeur du Festival d’Aix-en-Provence, a bien voulu, malgré un planning très chargé, nous recevoir dans ses bureaux du Théâtre de l’Archevêché. Avec beaucoup de gentillesse il nous parle un peu de lui-même, de ses ambitions pour le Festival d’Aix-en- Provence, et du programme de cet été 2014.
Pour commencer Monsieur Foccroulle, pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de vos premiers pas vers la musique?
Avec une maman pianiste, j’ai été élevé au son de la musique, mais l’instrument qui d’emblée m’a interpellé, c’est l’orgue. C’est un choix étonnant pour un enfant de cinq ans et je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Etant trop petit pour en jouer, j’ai dû patienter de nombreuses années et commencer mon apprentissage musical par l’étude du piano, mais mon amour pour l’orgue était toujours présent. Ayant grandi et après de sérieuses études au conservatoire de Liège, j’ai pu commencer une carrière de concertiste comme organiste.
Qu’est-ce qui vous a amené à prendre la direction d’un Théâtre Opéra?
Des rencontres, comme bien souvent. Après Liège, je suis tout naturellement allé à Bruxelles où j’ai pu voir les productions du Théâtre Royal de la Monnaie. Je suis devenu l’assistant de chefs d’orchestre, Sylvain Cambreling, par exemple et j’ai rencontré Gérard Mortier, alors directeur du Théâtre de la Monnaie. Son travail et ses programmations originales m’ont fortement intéressé. Aussi lorsqu’il s’en va en 1992, me confiant la direction du théâtre, c’est avec beaucoup de plaisir que je prends sa succession tout en restant dans la continuité de son travail. Je resterai quinze ans à la direction, la durée de trois mandats. J’ai dû faire face à des tâches tout à fait différentes pour moi; la gestion, les difficultés financières étaient très éloignées du travail de musicien ou de compositeur qui m’avait occupé jusque là. Mais tout en élaborant les programmations, j’ai continué à mener une carrière d’organiste en donnant des concerts et en enregistrant les oeuvres de Jean Sébastien Bach. C’était pour moi plus que nécessaire, comme une bouffée d’oxygène, une porte ouverte sur la musique à l’état pur. J’ai quitté le Théâtre de la Monnaie pour prendre la direction du Festival d’Aix en Provence après le départ de Stéphane Lissner en 2006.
Pouvez-vous concilier votre carrière d’organiste avec vos obligations?
Oui, encore maintenant, je ne pourrais concevoir une vie sans cette ouverture. Au-delà de la musique, jouer de l’orgue c’est suivre une voie vers le spirituel quel qu’il soit, une façon de se régénérer, mais je ne vous cacherai pas que cela demande une grande organisation et un énorme travail. Je donne encore de nombreux concerts ce qui représente des heures de pratique, pour vous donner un exemple, hier soir, l’église Saint-Jean de Malte où je dois donner un concert dans le cadre du Festival de Pâques au mois d’avril, m’a ouvert ses portes à 21h pour une répétition impromptue, je joue en concert dimanche à Liège.
L’élaboration d’une saison de festival s’échelonne-t-elle sur plusieurs mois voire plusieurs années?
L’élaboration d’une programmation est une ligne de pensée qui suit un long processus: le choix d’un thème, trouver un lien entre les oeuvres, cette année ce pourrait être le voyage, mais aussi le voyage dans les consciences, le voyage intérieur. Ensuite il y a une recherche d’équilibre entre les composantes mais aussi une recherche de complicité entre le chef d’orchestre, le metteur en scène et les artistes. De trop grandes divergences de vue affaibliraient le résultat et empêcheraient la magie d’opérer. Tout ceci prend beaucoup de temps et demande une grande disponibilité.
Qu’est-ce qui motive vos choix, oeuvres, chanteurs, chefs d’orchestre, metteurs en scène?
Tout d’abord je tiens à rester dans la ligne du festival: Mozart, oeuvres baroques et créations. Ensuite mes choix sont souvent nés d’une rencontre, d’une réflexion sur des associations d’artistes. Par exemple, je voulais programmer La Flûte Enchantée et je pensais en même temps au travail du metteur en scène Simon McBurney. Tout en me demandant s’il accepterait ma proposition, j’ai constaté que le Nederlandse Opera d’Amsterdam montait justement ce spectacle. C’est ainsi qu’est née cette coproduction bien qu’en principe le Festival d’Aix-en-Provence ne propose pas de coproduction. Une autre idée s’est concrétisée grâce à Katie Mitchell qui avait mis en scène l’opéra Written on skin avec le succès que l’on connaît. Elle avait déjà donné une version avec mise en scène de La Passion selon Saint Mathieu de Jean Sébastien Bach et avait envie de se lancer dans une nouvelle aventure avec cette fois Les Cantates du même compositeur. Etant moi même fasciné par la musique de Bach, nous avons donc décidé de revisiter ces Cantates en accord avec le jeune chef d’orchestre Raphaël Pichon qui me semblait tout indiqué. Pour Ariodante aussi il a fallu trouver les bons collaborateurs, ceux qui vont ensemble créer l’émotion.
Le choix des distributions est un choix délicat, il faut éviter toute tension et créer une atmosphère qui implique chaque artiste dans cette recherche d’excellence. Ainsi pour le Don Juan que nous avions programmé en 2010, un dialogue s’était installé entre le metteur en scène Dmitri Tcherniakov et le chef d’orchestre Louis Langrée, en toutes choses, un échange est nécessaire.
Vous paraissez être un esthète, n’êtes-vous pas choqué par certaines mises en scène?
Oui bien sûr il m’arrive d’être choqué, mais pas toujours dans le sens que vous pouvez imaginer. Une mise en scène plate, conventionnelle qui enlève de sa force à une oeuvre me choque autant qu’une mise en scène inutilement provocante. Je préfère une vision qui fait évoluer, qui est en osmose avec un public qui comprend ce que l’on veut dire. l’opéra est un art vivant, il n’est pas nécessaire de le maintenir dans une certaine époque, et je suis persuadé qu’une actualisation loin de le déformer, si elle est bien pensée, lui redonne force et vitalité. Vous savez, à l’époque de Mozart les opéras tels que La Clémence de Titus étaient joués en costumes et perruques poudrées qui n’avaient rien à voir avec les toges romaines, alors, pourquoi ne pas donner Les Noces de Figaro par exemple dans des costumes actuels?
Vous êtes très attaché à l’éducation musicale des jeunes, vous sentez-vous impliqué en tant que directeur du Festival? Et vous considérez-vous comme un directeur engagé?
Monter des spectacles est un privilège, mais c’est aussi une responsabilité. Nous sommes des ambassadeurs de la musique et oui, je suis très attaché à l’éducation musicale des jeunes. C’est le public de demain mais aussi celui d’aujourd’hui, nous avons ouvert les pré générales à ce jeune public, et vous n’imaginez pas à quel point ils sont fascinés par ces spectacles. C’est une ouverture vers un monde inconnu jusque là, mais aussi un rapprochement, nous essayons de leur faciliter au maximum l’accès à ces “mondes” d’expressions.
Un directeur engagé? Oui, certainement. Engagé dans le travail d’une institution responsable, engagé dans une société où l’art doit jouer un rôle majeur pour l’avenir. L’art ne peut-il pas donner une certaine direction, aller vers le dialogue par le mélange des cultures , le partage des diverses expressions et enfin amener l’humanité à voir la beauté en toutes choses?
Pensez-vous que l’on doive faire abstraction des traditions dans l’opéra d’aujourd’hui et êtes-vous pour le mélange des genres, compositeurs classiques, metteurs en scène avant-gardistes?
Je ne pense pas que l’on doive faire abstraction des traditions, elles sont le lien entre les époques et je tiens aux valeurs que l’on transmet, mais je pense que l’on peut aller au delà. Si nous prenons par exemple le cycle de lieder de Franz Schubert, cette nouvelle production est un mélange des genres; plus que ma rencontre avec William Kentridge, c’est la rencontre entre Franz Schubert et cet artiste sud-africain qui va transcender la musique par la vision de paysages hivernaux, ramenant le spectateur à un voyage glacé intérieur au moyen de la vidéo. Les choses faites avec intelligence et sincérité font immanquablement évoluer.
Le Festival d’Aix-en-Provence prend de nouvelles directions, Festival d’Aix en juin, académie européenne de musique, Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. Le Festival d’Aix-e-Provence appelé ” Le Salzbourg français “ ne perd-il pas un peu son côté élitiste et n’avez-vous pas peur qu’il devienne un grand marché de la musique un peu comme le Festival d’Avignon pour le théâtre?
– Si par élitisme vous pensez au travail fourni, au but vers lequel nous tendons, alors le Festival d’Aix-en-Provence restera élitiste, mais uniquement dans un désir d’excellence, avec l’aura prestigieuse qui entoure chaque artiste et le soin tout particulier que nous apportons à chaque programmation. mais si vous pensez que le Festival d’Aix-en-Provence doive être réservé à une élite, je vous dis tout de suite non. C’est justement une ouverture que je recherche, une ouverture qui donne accès, à un plus large public, à des des représentations d’une grande qualité. Une ouverture vers des musiques différentes implique plus une idée de partage, de connaissance et de fraternité qu’un grand mélange musical.
Votre plus grande réussite en tant que création est-elle Written on Skin?
Il est difficile de faire un choix mais Written on Skin a eu un immense succès, direct tout d’abord, faisant l’unanimité auprès du public et des critiques, mais aussi un succès qui ne s’est jamais démenti au cours des reprises dans les théâtres à travers le monde. Ce fut un choc visuel, auditif et émotionnel. C’est ouvrage peut-être considéré comme un chef d’oeuvre, qui marquera son époque car il a touché tous les publics en général et chaque personne en particulier.
Quelle est la production qui vous a le plus marqué?
– Je suis encore sous le choc de la disparition de Patrice Chéreau et son Elektra de la saison dernière est constamment présent à ma mémoire. Cette production est pour moi l’aboutissement parfait d’une collaboration et d’une osmose entre des artistes de talent. La mise en scène, les décors, l’orchestre et les chanteurs étaient si liés, si proches qu’une perfection est née. Cet Elektra restera l’ultime testament de cet immense artiste qu’est Patrice Chéreau.
J’ai lu que vous faisiez des marches au Népal, est-ce une façon de vous ressourcer devant de somptueux paysages ou aussi une sorte d’élévation spirituelle?
L’une et l’autre très certainement. Marcher dans l’himalaya implique automatiquement une idée d’élévation et ces paysages majestueux nous emmènent vers une immensité, une grandeur mais nous remettent à notre place, plus petite, aussi. Ce que l’on voit, une harmonie, ce que l’on ressent, une plénitude, la paix des traditions bouddhistes,et l’infini que l’on partage avec l’humanité tout entière.
Etes-vous un directeur heureux?
Mais oui, et j’espère que cela se voit et se ressent.
Le sourire lumineux de cet homme de partage nous dit combien il est heureux de ce que lui apportent l’art et la musique, mais heureux aussi de ce qu’il peut apporter aux autres.