Un moment privilégié passé avec le Baryton Leo Nucci, en dix questions- réponses.
Après de longues années d’absence sur la scène marseillaise, quels sentiments ce retour provoque-t-il en vous?
Pour moi, retrouver le public marseillais après plus de quinze ans d’absence sur cette scène qui a vu passer les plus grands chanteurs, est une grande joie, mais aussi une immense émotion. Ici j’ai chanté les plus grands rôles du répertoire dans les somptueuses mises en scène de Jacques Karpo, alors directeur de l’Opéra de Marseille. Avec Michelangelo Veltri à la baguette et des partenaires d’exception tels que Ghéna Dimitrova, José Van Dam, Giacomo Aragall ou Fiorenza Cossotto, pour n’en citer que quelques uns, nous formions une équipe. Ce sont les plus beaux souvenirs de ma carrière, grâce au public, aux musiciens, à l’ambiance familiale qui régnait dans le théâtre. A cette époque venir à Marseille, c’était un peu comme rentrer à la maison.
Votre longue carrière cache-t-elle un secret?
Je n’ai jamais pensé en terme de carrière. Vous savez, lorsqu’on est jeune, on a envie de chanter et l’on chante d’abord pour le plaisir, ensuite par amour pour le public qui vous soutient par ses applaudissements, on entre alors dans un échange, et je suis resté dans ce schéma, plaisir, amour partage, sans penser à faire une carrière.
Lorsque je chante, je vis, et j’essaie de vivre le mieux possible. Le contact avec le public est une émotion en direct. Bien que j’aie chanté dans 68 ouvrages et interprété 72 rôles, je choisis les ouvrages et maintenant, avec plus de soin encore.
Je n’interprète que les rôles dans lesquels je me sens bien vocalement et, (petit sourire) scéniquement. Actuellement, je ne chante que des ouvrages de Verdi. Depuis quelques années, je me produis avec une très petite formation composée de cinq instruments, un piano, un violon, un alto, un violoncelle et une harpe. Nous venons de nous produire à Vienne et entreprendons une tournée dans différentes villes, Londres, Genève, Bilbao… C’est une autre approche du lyrique et permet une alternative au récital avec piano.
Vous enchantez votre public bien sûr, mais aussi un public nouveau, plus jeune, est-ce cela qui vous donne l’envie de toujours chanter?
Oui, bien sûr. Le public est un protagoniste à part entière dans un spectacle, et le mot “échange” revient. Le public nous porte, nous donne l’envie de toujours faire mieux, en échange, nous lui offrons la musique, la voix, la dramaturgie, c’est à dire le rêve. Que serait un artiste sans le public? Notre plus grand souci est de ne jamais le décevoir.
Et en parlant de public, y a-t-il des lieux qui vous portent plus que d’autres?
Non, je ne pense pas. Tous les lieux qui rassemblent un public sont des lieux de communion. Le public où qu’il soit vous donne tout, mais attention, il faut aussi tout lui donner et surtout être honnête; le public aime la sincérité et la ressent instantanément. Lorsque la confiance s’installe c’est merveilleux, c’est une fusion immédiate.
Voyez-vous une évolution dans le domaine de l’opéra?
On a souvent reproché à l’opéra d’être un art un peu figé, mais je ne suis pas d’accord. Sur scène l’opéra fait vivre des personnages, et en plus du théâtre parlé, il apporte la musique. C’est un art complet. Sous prétexte de le faire évoluer on va vers des voies qui ne mènent à rien sinon à détruire ce qui a été si long à construire dans une idée de perfection.
le public nouveau qui va à l’opéra recherche, il me semble, une vérité dans la musique, il n’est pas dans une recherche d’excentricité. Je pense que nous sommes à une époque charnière, les gens n’ont plus envie de gaspillage, ils ne veulent plus perdre leur temps ou leur argent pour entendre et voir des choses qui ne les comblent pas et auxquelles ils ne comprennent parfois rien. Le snobisme tend à disparaître et c’est tant mieux.
Alors, maintenant, le public accepte de voir un opéra sous forme concertante, les salles se remplissent et le succès est au rendez-vous, on ne recherche plus l’émotion où elle n’est pas, le plaisir et l’émotion viennent de la musique et des interprètes uniquement.
Qu’est-ce qui a changé selon vous?
Le changement n’est pas arrivé d’un coup, c’est une évolution sur plus d’une dizaine d’années, mais pas seulement à l’opéra malheureusement. Ce qui a changé c’est la vérité en toutes choses, l’honnêteté, le rapport avec le travail bien fait. Nous sommes entrés dans un monde virtuel où la vie réelle ne compte pas, où l’art n’est basé que sur l’argent. Alors, c’est le public peut-être et je dis bien peut-être, qui va faire changer les choses. Car paradoxalement, lui qui vient chercher du rêve a encore les pieds sur terre et il ne cautionnera plus les spectacles qui ne lui apporteront rien.
Il me semble tout de même que le domaine musical ne s’en sort pas trop mal car les salles sont pleines. Il faut reconnaître qu’un artiste est un artisan qui ne peut pas se contenter de faire de “l’à peu près” et le public le sait. Pour ma part, je veux bien être un légionnaire, mais je ne serai jamais un mercenaire.
Avez-vous des rôles favoris? Rigoletto, bien sûr.
Bien sûr Rigoletto. Je l’ai chanté tant de fois, mais toujours en me mettant dans la peau de ce personnage. J’aime les rôles de “pères”, Germont de Traviata par exemple, des rôles qui correspondent à mon âge, mais j’affectionne tout particulièrement Simon Boccanegra ou le Doge de “I due Foscari”.
Les mises en scène actuelles vous choquent-elles?
Je suis plus que choqué, je suis en colère. Je vois des choses sur scène que je ne peux pas supporter. Je suis contre toute vulgarité, contre les transpositions qui nuisent à l’oeuvre. Les jeunes chanteurs subissent les desiderata des metteurs en scène (maintenant les régies), mais je n’ai jamais été confronté à ce genre de situation. Le privilège de l’âge (sourire), je peux dire non. Je ne chante pas pour me mettre dans des situations délicates ou carrément grotesques et les personnages doivent correspondre à ce qu’ils sont dans le livret. c’est pourquoi je chante très volontiers dans des versons concertantes.
Etes-vous pessimiste quant à l’avenir de l’opéra?
Je ne pense pas que l’opéra passe de mode. Il représente certaines valeurs de l’humanité. C’est un patrimoine philosophique aussi bien qu’artistique. On construit des théâtres dans des pays qui étaient fermés à la musique occidentale. Les opéras se jouent de par le monde et une grande partie des chanteurs de demain viennent d’Asie. L’Asie qui garde encore ses traditions, ne serait-ce qu’au Japon avec le théâtre Kabuki, va peut-être devenir la gardienne des nôtres avec l’opéra.
La culture devient universelle, c’est un kaléidoscope ouvert sur le monde. Espérons que notre culture gardera son identité et ne sera pas noyée dans un lac… d’inculture.
Parlez-nous de vos projets.
Oui, encore des projets, mais simplement consacré à Giuseppe Verdi. Un Simon Boccanegra à Piacenza en mars, je serai aussi à Vienne en avril pour fêter la 500ème (officielle) de Rigoletto, la Traviata fin avril à Munich, puis le Japon, Pekin, La Scalla….. et sans doute un retour à marseille.