Marseille, 8 novembre 2013
L’opéra de Marseille, pour sa deuxième production de la saison, avait décidé de programmer La Straniera de Vincenzo Bellini.
Pour une première représentation à Marseille, cet opéra très peu joué était donné en version concertante et allait être retransmis sur France Musique.
Le public venu très nombreux a réservé un triomphe à cet évènement musical à chaque représentation. La Straniera fait partie des premiers opéras composés par V.Bellini mais déjà, on sent ici le génie du compositeur pour la mélodie et la connaissance des voix qui donne à ses oeuvres cette impression de légèreté qui n’exclue pas la profondeur et le sens du dramatique.
Malgré un livret assez étrange d’après le roman du vicomte d’Alincourt, l’opéra s’écoute avec un immense plaisir et beaucoup d’émotion, la partition orchestrale n’étant pas non plus dénuée d’intérêt.
On a souvent reproché à Bellini une écriture un peu facile cependant, l’orchestre n’a pas ici un simple rôle d’accompagnateur et participe à part entière à la beauté de l’ouvrage par son orchestration et la richesse de ses mélodies d’une sensibilité toute romanesque écrites pour la flûte ou le hautbois entre autres.
Pendant une ouverture très courte Bellini nous fait entendre quelques accents folkloriques, clin d’oeil à la Bretagne où se déroule l’action après trois accords sonores et précis. Cette musique nous laissera sous son charme jusqu’à la fin de l’ouvrage.
La direction du Maestro Paolo Arrivabeni est placée sous le signe de l’élégance et de la musicalité. Sans geste inutile mais avec une grande précision il conduit l’orchestre plus qu’il ne le dirige, l’emmenant avec souplesse vers toutes les nuances qui font ressortir la sincérité des émotions communiquées par le compositeur. Les forte ne sont jamais durs et ne couvrent non plus jamais les voix qui peuvent s’exprimer sans forcer tout en laissant l’orchestre sonner. Le détaché piano des cordes se fait alors avec fluidité donnant un sentiment de facilité.
Patrizia Ciofi, nous donne ici une interprétation époustouflante du rôle d’Alaide. Sa voix s’est étoffée et a pris de la maturité sans céder en rien à la légèreté que nous lui connaissons. Ses aigus montant jusqu’au ré bémol sont fluides et d’une beauté teintée de grâce, souvent pris dans le souffle, ils permettent des attaques sans dureté laissant à la voix souplesse et agilité.
Elle chante ses airs dans un tempo allant, en osmose avec le chef d’orchestre ce qui renforce encore cette impression de facilité. Le timbre chaud de sa voix aux vibrations enveloppantes est un ravissement.
Patrizia Ciofi, chante d’une voix libre, homogène qui garde sa couleur et sa rondeur dans chaque registre; mais en plus de sa voix sans faille, c’est la musicalité et la grâce qu’elle met dans chaque note qui font d’elle une soprano particulièrement émouvante, pouvant envoûter une salle de bout en bout de l’opéra. Les superlatifs qui la qualifient sont aussi nombreux que les bravi qui la saluent. Son dernier air “sono all’ara” est somptueux.
Isoletta, second rôle féminin,est interprété de façon magistrale par Karine Deshayes, qui se produit à Marseille pour la première fois. Pour elle aussi les qualificatifs élogieux sont nombreux. Grâce à sa technique sa musicalité peut s’exprimer en toute liberté et son “Ah! si non m’ami più” en duo avec la flûte est un grand moment d’émotion où l’on apprécie ses graves aussi bien que ses vocalises légères d’une justesse parfaite. Elle utilise sa voix avec beaucoup de nuances et d’intelligence. Une émission facile, un joli phrasé, une grande souplesse et une puissance jusque dans les aigus qui restent mélodieux font de Karine Deshayes, une chanteuse de tout premier plan bien que sa voix soit un peu claire pour une mezzo-soprano.
Ludovic Tézier, baryton français à la carrière internationale interprète avec maestria le rôle de Valdeburgo. Il met au service de l’oeuvre sa voix au timbre chaleureux et sa belle technique qui lui ont valu les éloges de la critique. Il chante avec souplesse et passe avec homogénéité de l’aigu au grave faisant montre d’une facilité d’émission.
Une voix généreuse, du souffle, un joli phrasé, de beaux piani séduisent le public qui l’ovationne sans modération. Sa musicalité lui permet de s’accorder avec les voix de ses partenaires pour nous donner de superbes quatuors vocaux ou un non moins superbe duo avec Arturo au deuxième acte. Peut-être lui faudrait-il un plus grand investissement dans l’expression?
C’est Jean-Pierre Furlan, qui interprète Arturo. Ce ténor qui a abordé quelques uns des plus beaux rôles de l’opéra italien aussi bien que français allant de Tosca à Turandot ou Faust sur de grandes scènes internationales, a déjà chanté à Marseille dans Carmen et plus récemment dans Samson et Dalila, rôles dans lesquels il avait été fort apprécié.
Après les premières notes où son vibrato semblait un peu serré, il se reprend vite pour nous livrer une interprétation à la hauteur de ses partenaires. Sa voix au timbre particulier s’arrondit pour nous faire entendre des aigus sonores, sûrs, au timbre chaud. C’est d’ailleurs par ses aigus rayonnants sans être claironnants qu’il se fait le plus remarquer.
On aime son investissement, l’énergie qu’il met dans son interprétation rendant crédible son personnage, sa bonne projection en plus d’une bonne diction, la chaleur de ses aigus, son souffle ( en abuse-t-il un peu?) et sa grande musicalité. C’est Nicolas Courjal, qui chante à la fois le rôle de Montolino et celui du Prieur; il entame depuis quelques années une belle carrière se faisant écouter sur les scènes du Châtelet, de Venise, de Genève ou de Londres en passant par Marseille ou les Chorégies d’Orange. Sa solide voix de basse semble avoir pris de l’ampleur faisant ressortir le côté sombre de la voix. Il gagnerait toutefois à affiner son interprétation par plus de souplesse et de phrasé gommant ainsi certains accents un peu trop percutants. Cela n’enlève pas ses grandes qualités qui font de lui un partenaire à la hauteur de cette distribution en tout point remarquable. Marc Larcher, chantait le rôle d’Osburgo d’une voix au timbre agréable, prenant de l’assurance au cours de l’ouvrage. A noter la très bonne prestation du Choeur qui donnait à entendre une belle homogénéité des voix dans un ensemble parfait aux attaques nettes, de jolies nuances et comme toujours une bonne diction. Sous la baguette d’un Maestro inspiré, l’orchestre en grande forme a su trouver un souffle et une rondeur de son qu’on souhaite lui voir garder. Un public enthousiaste, de nombreux rappels, des bravi à n’en plus finir pour cette dernière représentation de La Straniera qui restera dans les mémoires.Photo Christian Dresse