Marseille, 27 septembre 2013
Après Cléopâtre et les Troyens programmés en fin de saison, toujours dans la continuité de Marseille Méditerranée et pour fêter les 200 ans de Guiseppe Verdi qui seront encore célébrés tout au long de l’année 2013 dans le monde entier, l’Opéra de Marseille ouvrait cette nouvelle saison avec Aïda.
En cette soirée du 27 septembre, on annonçait Zoran Todorovich souffrant mais désireux d’assurer le spectacle. Après le remplacement de la soprano, Elena Pankratova dans le rôle titre souffrante elle aussi, on pouvait se demander si cet opéra ne jouait pas de malchance. Il n’en fût rien.
La représentation a enthousiasmé une salle comble séduite par la musique et les chanteurs aussi bien que par la mise en scène. Celle-ci était confiée à Charles Roubaud avec Emmanuelle Fabre pour les décors, Katia Duflot pour les costumes et Philippe Grosperrin pour les lumières. Cette équipe qui nous a déjà donné des productions remarquables reprenait celle présentée en 2008. Sans grand changement classe, beauté, sobriété étaient encore au rendez-vous. Charles Roubaud délaisse les clichés habituellement réservés au “triomphe” pour mettre en exergue un ballet tribal de toute beauté certainement le point culminant de cet acte.
Pas de décors monumentaux qui rétrécissent la scène mais des projections en 3 dimensions permettant de représenter les pylônes du temple ainsi que d’immenses statues de pharaons tout en légèreté. Le dieu Ptah dans le temple de Vulcain est simplement évoqué par une projection dorée du dieu en fond de scène qui s’agrandit pour ne plus laisser voir qu’un disque doré eux rayons lumineux d’un très bel effet. Légèreté aussi pour les appartements d’Amnéris où des rideaux de fils peints de visages de femmes égyptiennes laissent apercevoir la profondeur de la scène en transparence, teintes dorées et moment de fraîcheur avec le jeu des enfants dans les appartements des femmes.
Quelques jolis effets aussi grâce aux projections de guerriers égyptiens en marche pendant le triomphe tandis que Radamès apparaît derrière un voile rendant cette vision presque surnaturelle. Autre moment fort de cette mise en scène, l’oeil oudjat qui se découvre lentement en fond de scène regardant fixement le destin qui s’accomplit alors que Radamès ne répond pas à l’appel du Grand Prêtre. Le défilé des prêtres en robes jaunes tel un ballet sous l’oeil qui rougit reste un beau moment visuel. Les lumières souvent indirectes contribuent à la beauté du spectacle en créant les atmosphères.
Les projections permettent des effets spectaculaires ainsi pour la scène finale dans la crypte du temple de Vulcain où sont enfermés Aïda et Radamès, les murs ornés de bas reliefs s’avancent pour s’ouvrir sur le ciel étoilé où s’envolera le dernier duo d’amour. Charles Roubaud nous livre une version plus dépouillée, plus intimistes mettant l’accent sur les sentiments, loin de la grandiloquence à laquelle nous sommes plus habitués.
Les costumes que signe Katia Duflot sont toujours élégants et plus dans une recherche d’esthétisme que d’authenticité, nous ne le lui reprocherons pas. Ici, un parti pris d’opposition de couleurs les égyptiens sont tout de blanc vêtus et les nubiens en costumes noirs. Peut-être la coiffe d’Amnéris manque t-elle un peu de majesté par rapport à celle d’Aïda? mais chaque costume est choisi dans de jolis tissus qui évoluent avec les mouvements. Les plus beaux étant les jupes noires des danseurs nubiens leurs doublures de couleurs vives apparaissant au grès de leurs évolutions, un moment fort de l’opéra avec ce ballet chorégraphié avec maestria par Laurence Fanon.
La soprano canadienne Michèle Capalbo dans le rôle titre chante pour la première fois à Marseille. Dotée d’une voix puissante et assurée elle est une très belle Aïda avec beaucoup d’allure et une grande présence, un peu trop peut-être, sa fierté et sa colère sont parfois trop prononcées pour une esclave face à la fille du pharaon. De ce fait elle en devient moins émouvante et sa prière Numi pieta chantée un peu trop forte ne réussit pas à nous toucher. c’est dommage car sa voix s’assouplit dans les piani pour devenir beaucoup plus mélodieuse. D’une intonation parfaite ses aigus sont assurés avec un soutien du souffle sans reproche. Le timbre s’arrondit avec les nuances et prend des teintes plus douces ce qui la rend plus émouvante ainsi dans le duo final avec Radamès. c’est une Aïda appréciée par le public qui lui réserve un beau succès tout à fait mérité.
Face à elle Sonia Ganassi est une Amnéris de qualité elle chante avec beaucoup de musicalité et une grande justesse d’expression pour cette prise de rôle. Sa voix homogène et bien placée lui permet une diction parfaite chaque note étant prise avec délicatesse sans aucune dureté. On sent dans ses aigus soutenus et clairs une technique sans faille. Aucune faiblesse si ce n’est des graves sans grande résonance ni assez d’ampleur. Mais c’est vraiment la seule chose que l’on puisse lui reprocher car investie dans son personnage elle nous fait partager ses émotions. Ludivine Gombert est une Grande Prêtresse à la voix fraîche et mélodieuse. Son phrasé fait ressortir sa musicalité et l’on apprécie sa prestation.
Zoran Todorovich qui chante Radamès était annoncé souffrant pour ce rôle qui requiert une voix large , puissante mais aussi nuancée on pouvait craindre pour le succès du spectacle. Il n’en fût rien. Déjà apprécié dans le rôle d’Andréa Chénier en 2010, il a gardé son timbre chaleureux tout au long de l’ouvrage. D’entrée son Celeste Aïda est convaincant malgré une légère nervosité. Ses aigus sont sûrs avec une certaine souplesse permettant des nuances harmonieuses et bien amenées. Avec une bonne projection sa voix reste sonore et musicale dans le medium et il nous offre avec Aïda un duo final très émouvant. Cette prise de rôle nous fait découvrir un Radamès puissant et généreux qui a su convaincre le public.
Marco di Felice complète ce quatuor fait de passions. Déjà très apprécié en 2010 dans le rôle de Gérard dans Andréa Chénier aux côtés de Zoran Todorovich il est ici un Amonasro puissant et fier dont la voix assurée ne laisse place à aucune hésitation. Homogène dans chaque registre son timbre profond marque ce rôle qu’il choisit d’interpréter d’une façon altière avec des gestes quelquefois un peu trop conventionnels. Ses aigus sont puissants et soutenus et sa bonne diction projette les notes sans dureté c’est un Amonasro impressionnant qui pourrait peut-être affiner un peu son jeu.
Luiz-Ottavio Faria campe un Ramfis à la belle stature. Il possède une voix de basse sonore d’une grande étendue qui prend de l’assurance au cours de l’ouvrage. Peut-être est-il un Grand Prêtre un peu statique et cela se ressent dans sa voix qui manque de souplesse et de projection mais la couleur est belle et ses Radamès, Radamès, chantés à l’acte IV sont puissants et sonores.
Le Roi d’Egypte est aussi chanté par une voix de basse, celle de Philippe Kahn, de l’allure, de la prestance mais manquant d’aisance dans ses déplacements. Sa voix profonde nous fait entendre des graves sonores bien soutenus avec une grande longueur de souffle qu’il devrait projeter avec plus de netteté. Le rôle du messager chanté avec énergie et musicalité par le ténor Wilfried Tissot a été très apprécié. Un plateau homogène avec des voix qui s’accordent et se distinguent dans les sextuors.
De grands applaudissements pour l’ensemble du choeur très impliqué dont l’impact sonore ainsi que la rondeur des voix étaient remarqués aussi bien dans les parties chantées forte que dans les choeurs de coulisses chantés mezza voce. Fabrizio Maria Carminati, premier chef invité de l’Opéra de Marseille était à la baguette pour l’ouverture de la saison. A l’aise dans ce répertoire italien qui lui va bien il retrouve l’orchestre pour lui insuffler cette énergie avec laquelle il dirige chaque ouvrage, les tempi sont allant sans être trop rapides laissant les respirations s’installer avec des changements bien amenés. Dans cette orchestration très fournie il arrive à maintenir un niveau sonore qui ne couvre pas les voix.
Les nuances soutiennent les chanteurs dans les passages piano et l’on peut percevoir les changements d’atmosphères dès les premières notes jouées à l’orchestre. Dans cette partition délicate, les sonorités des instruments sont dosées avec intelligence et musicalité. Le triomphe est éclatant sans être tonitruant et le ballet est joué sans lenteur tout en laissant évoluer les danseurs. Une mention spéciales pour les trompettes d’Aïda toujours très attendues qui tout en étant très présentes gardent des sonorités rondes et sont jouées avec musicalité. Une représentation d’Aïda très particulière où chacun est à sa place et dont on se souviendra pour sa justesse et ses belles couleurs très appréciée et applaudie par un public enthousiaste.