Orange, 3 Août 2013
Les scènes d’opéras, c’est bien connu, sont des scènes où tous les drames peuvent arriver, qu’ils soient tirés d’histoires mythiques ou de faits réels modifiés.
Les Chorégies d’Orange pour fêter le 200ème anniversaire de la naissance de Richard Wagner et de Giuseppe Verdi, après nous avoir présenté Le Vaisseau Fantôme nous livrent ce soir Un Bal Masqué, le drame composé par Verdi sur un livret de Antonio Somma d’après celui écrit précédemment par Eugène Scribe pour Auber. Il a pour thème l’assassinat à Stockholm du roi de Suède Gustave III par le comte Anckarström. Composé pour être joué au théâtre San Carlo, le remaniement prévu par la censure napolitaine décide Giuseppe Verdi à présenter son opéra à Rome où il sera créé en 1859, après avoir malgré tout subi quelques modifications.
Représenter l’assassinat d’un roi européen étant délicat dans le contexte politique de l’époque, le lieu de l’action sera transféré à Boston en Nouvelle-Angleterre au XVIIème siècle. Le roi Gustave devient Riccardo comte de Warwick gouverneur de la ville et son secrétaire et ami sera Renato.
Cet opéra tout en étant un opéra phare dans l’oeuvre de Verdi est toutefois moins connu que Rigoletto ou La traviata. Il n’en reste pas moins un opéra où les grands Airs se succèdent mettant comme toujours les chanteurs en valeur avec une partie orchestrale plus fouillée, composée avec grand soin où le dramatique des situations est mis en relief par la musique.
Faire des mises en scène cohérentes sur cette immense scène du Théâtre Antique d’Orange est toujours délicat. Jean-Claude Auvray prend ici le parti du minimalisme et mise sur une direction intelligente des acteurs qui évoluent avec fluidité sans aucune gêne suivant le rythme de l’action et de la musique chassant tout ennui.
Il est agréable et reposant de pouvoir se laisser charmer par les voix sans avoir à se poser la question traditionnelle, mais qu’a donc voulu nous dire le metteur en scène? Ici tout est clair, un bel effet de projection d’étoiles avec les signes du zodiaque, une boule lumineuse où apparaissent des écritures ésotériques et le décor est planté pour l’arrivée d’Ulrica la diseuse de bonnes ou mauvaises aventures un peu sorcière.
Aucun décor donc à part celui naturel et majestueux du théâtre d’Orange, les changements de lieux sont créés par les lumières toujours adaptées au dramatique de l’ouvrage et à la noirceur de certains sentiments. Quelques objets simples, des candélabres allumés, des masques tenus à bout de bras que l’on peut éloigner pour permettre de chanter avec plus de faciliter, un cheval de bois faisant référence au fils d’Amelia, les seules subtilités sont les allusions faites au roi Gustave, un fauteuil qui pourrait être un trône ou une maquette de théâtre qui fait penser à celui construit sous le règne de ce roi amateur d’art lyrique.
Le choeur est traité avec intelligence remplissant la scène et évoluant avec aisance.
Comme à son habitude Katia Duflot crée des costumes élégants sans recherche d’excentricité, en harmonie avec la sobriété de la mise en scène créant des points lumineux par leurs couleurs chatoyantes, ainsi dans la scène du bal masqué où les robes aux lignes uniformes se différencient par des teintes allant du gris au doré, référence au XIIIème siècle, celui du roi Gustave III. Costumes stricts et plus modernes pour les hommes qui restent dans le drame et la passion. Seule la robe noire d’Ulrica montre quelque originalité dans sa conception tout en restant seyante, sa perruque extravagante est digne des sorcières des contes de Perrault.
Pour sa première prestation aux Chorégies d’Orange Kristin Lewis, interprète Amelia, cette jeune et belle soprano possède une voix aux qualités indéniables dont elle se sert avec intelligence et musicalité. Aussi à l’aise dans les graves que dans les aigus son timbre chaleureux lui permet d’avoir cette qualité de voix qu’elle garde dans chaque registre. Elle est aussi belle à regarder qu’agréable à écouter et projette ses notes avec délicatesse nous faisant entendre des pianissimi célestes dans un phrasé d’une grande musicalité. A l’aise dans ses Airs où dans les ensembles, ses duos sont sensibles et homogènes. C’est une superbe Amelia dont la voix passe au-dessus de l’orchestre et s’envole sans forcer vers les plus hauts gradins dans cette soirée sans un souffle d’air où les notes restent comme en suspension.
Sylvie Brunet-Grupposo est une Ulrica à la belle présence, elle incarne parfaitement ce personnage inquiétant tout en restant dans la mesure. Malgré des graves qui manquent de puissance, sa bonne projection nous fait entendre des aigus bien placés et sonores avec une ligne de chant très musicale. Elle arrive à être impressionnante tout en jouant avec sobriété.
Anne-Catherine Gillet déjà très appréciée en début de saison à Marseille dans le rôle de Michaëla (Carmen) est ici un Oscar de tout premier plan; vive, enjouée, amusante très à l’aise dans cette prise de rôle, sa voix fraîche passe sans forcer au-dessus de l’orchestre. Ses attaques sont franches et ses aigus délicats, chaque intervention est en place et son Air “Saper Vorreste” est un moment de fraîcheur avec des notes aigües sûres et timbrées.
C’est Ramon Vargas qui chante ici Riccardo. Ce ténor mexicain possède les qualités nécessaires pour être un Riccardo de premier ordre, joli timbre dans chaque registre aucune difficulté pour prendre ses notes, musicalité, phrasé, souffle, sensibilité, ses aigus sont sûrs et chauds que lui manque-t-il? Pas grand chose, un peu d’ampleur peut-être.
Il chante pour la première fois dans cet immense théâtre, il s’affirme au fil des actes et on le sent beaucoup plus à l’aise avec une voix qui s’élargit. Sans doute prend-il ses marques. On sent un chanteur sincère, qui chante avec son coeur et la deuxième représentation le trouvera certainement plus détendu.
C’est aussi la première fois que Lucio Gallo chante à Orange. Chanter Renato n’est pas si facile, il faut une voix ample et pleine, ronde et chaleureuse, sans doute Lucio gallo est-il un peu impressionné, il reste en deçà de son personnage, un peu raide et sa voix s’en ressent éprouvant quelques difficultés à garder dans les aigus la rondeur des médiums. le trio masculin de la vengeance est un beau moment où les voix s’accordent. Sans doute devra-t-il jouer plus librement pour donner un peu plus d’ampleur à sa voix.
Nicolas Courjal et Jean Teitgen ont tous les deux les voix de basses qui conviennent à ces rôles de comploteurs est font tous deux une excellente prestation aussi bien vocalement que scéniquement.
Le choeur aussi, bien préparé et bien dirigé fait résonner les voix avec un grand investissement.
Alain Altinoglu était à la tête de l’Orchestre Bordeaux Aquitaine, faisant preuve de beaucoup de musicalité avec des tempi justes, évitant les allegro trop rapides, laissant chanter à l’aise, sans trop élargir non plus, ce qui permet de garder un certain rythme dans un ouvrage où l’action est absente. Les interventions des solistes sont très musicales et l’orchestre habitué aux opéras ne couvre jamais les voix leur permettant de passer sans forcer. Après quelques hésitations l’orchestre devient plus homogène et prend une belle rondeur de son. Un spectacle très réussi qui rend incompréhensible la réaction d’un certain public envers une régie qui a fait montre d’une grande intelligence et d’un bel équilibre.