Orange, 5 août 2013
Talent, charme et élégance, tout concourait ce soir pour nous faire passer une soirée de rêve sous le ciel étoilé du théâtre Antique d’Orange.
Nous n’avons eu qu’un seul concert lyrique commentait une personne parmi le public, (Roberto Alagna ayant annulé celui du 19 juillet), mais quel concert!
Rien de moins qu’un triomphe digne des grands soirs était réservé à ce trio de charme la soprano, Patricia Ciofi, le baryton, Leo Nucci, et le chef d’orchestre, Roberto Rizzi Brignoli.
Patrizia Ciofi souvent applaudie dans le rôle de Lucia (Lucia di Lammermoor) où elle excelle, aborde aussi le baroque ou les rôles demandant une voix plus large, Rigoletto, La Traviata, elle chante Donna Anna (Don Giovanni) au Royal Opera House de Covent Garden, Suzanne (Les Noces de Figaro), et interprète Violetta dans La Traviata en 2004 pour la réouverture du Théâtre de La Fenice, dirigé par Lorin Maazel. Invitée pour la première fois à l’Opéra de Marseille la même année, elle interprète les 4 rôles des Contes d’Hoffmann, elle reviendra plusieurs fois sur cette scène pour y chanter notamment Lucia ou Ophélie (Hamlet d’Ambroise Thomas). Pour ce concert deux opéras seront à l’honneur, La Traviata et Rigoletto. Elle sera donc tout d’abord Violetta puis Gilda, rôles qu’elle a déjà chantés à Orange.
Sa voix s’arrondit, s’élargit tout en gardant ses aigus lumineux. Cette habituée des Chorégies n’est pas impressionnée par ce vaste théâtre, elle sait comment évoluer, comment projeter sa voix pour être entendue par les spectateurs placés tout en haut et ce soir, elle n’aura pas à lutter contre le vent et ses pianissimi iront directement toucher notre coeur. Galvanisée par un public chaleureux et un partenaire doté d’une énergie et d’une force extraordinaires, elle nous fait participer à un concert dont on se souviendra comme d’un moment magique.
Leo Nucci, ce jeune homme de 70 ans passés reste, dans la mémoire d’un public qui le suit depuis très longtemps “LE Rigoletto”. Pour lui, pour ce rôle qu’il a chanté plus de 500 fois dit-il, nul besoin de costume et de mise en scène, il s’avance en boitant et immédiatement nous nous trouvons face à ce bouffon tourmenté aux idées sombres dont la laideur s’efface devant l’amour qu’il porte à sa fille.
Ce baryton verdien a marqué de nombreux opéras, Macbeth, Le Trouvère, Don Carlos, mais aussi André Chénier (Umberto Giordano),ou Le Barbier de Séville pour n’en citer que quelques uns.
Ont aurait pu craindre que sa voix ait changé, moins de volume ou peu-être un vibrato trop large, et être ainsi déçus alors que sa voix est encore dans toutes les mémoires pour l’avoir écoutée tant de fois il y a près de 30 ans sur cette scène marseillaise tant redoutée des chanteurs. Mais non, trois fois non, aucune déception mais un enthousiasme renouvelé à la hauteur de celui qu’il a pour interpréter chaque Air, aussi bien seul qu’en duo.
A l’aise il l’est, bien sûr il a un “métier” extraordinaire et il s’en sert, mais sans tricher et s’il sait séduire le public, on le sent sincère et sans le talent et la technique peut-on chanter aussi longtemps et aussi bien? Non. Peu de chanteurs l’ont fait, on se souvient du regretté Alfredo Kraus mais les cas sont assez rare et le public se détourne très vite à le moindre déception de ceux qu’ils ont porté aux nues. Alors ce soir, ces bravi venus du fond du coeur de chaque spectateur ne trompent pas. Leo Nucci est le Leo Nucci des beaux jours et ce que l’on applaudit, en plus du talent, c’est l’exploit d’avoir su garder ce timbre chaleureux, cette puissance sonore et surtout ce soutien du souffle sans faiblir jusqu’à la dernière extrémité du son.
les “Viva Nucci” sont mérités et nous espérons le entendre encore longtemps.
Ils commencent par le Duo Violetta Germont, Madamigella Valerie, Ils se mettent en place s’apprécient et leurs voix s’accordent dans un même phrasé, le tempérament du baryton, loin d’écraser sa partenaire la met en valeur et la laisse s’exprimer; ainsi sa voix prend de l’ampleur, le timbre s’arrondit et les piani résonnent jusque dans les notes graves. C’est un beau duo où justesse et belle diction projettent les notes en laissant la musicalité s’exprimer.
la direction souple de Roberto Rizzi Brignoli met à l’aise les chanteurs qui se laissent aller à leurs sentiments dans une ligne de chant délicate et juste. Violetta s’anime et devient fébrile dans son refus de quitter Alfredo mais tout est chanté avec retenue et sensibilité. Soutenue par un partenaire qui, en plus d’être au service de la musique est à l’écoute de cette jeune femme qu’est Violetta, elle chante son Air Ditte alla Giovine avec une émotion retenue qui donne la chair de poule, pour finir dans un Adio poignant.
L’air de Germont est un grand moment de musique où l’on peut apprécier cette voix large de baryton; certes il a toujours son style mais c’est si bien chanté avec un timbre si chaud et homogène dans chaque registre que l’on regrette qu’il soit si court. C’est un grand succès personnel pour sa présence et sa musicalité.
le dernier Air de cette première partie est celui de Violetta, E strano, où l’on sent l’inquiétude, la fragilité mais aussi une force contenue. Au fil des Airs sa voix se libère, elle vocalise avec facilité et délicatesse pour s’affirmer dans Follie, Follie où ses aigus sont projetés sans dureté, son sempre Libera emporte le public suspendu à ses lèvres. Jamais superficielle elle chante comme si sa vie en dépendait et lance un dernier aigu (peut-être pas vraiment écrit) juste et superbe.
la deuxième partie es consacrée à Rigoletto, chanté en entier ici même en 2011 par ces deux grands artistes. Comme à son habitude lorsqu’il chante son Air Pari Siamo, leo Nucci arrive en boitant, et sans décor, dans un costume noir, nous voyons et entendons Rigoletto, voix assurée et sombre, il vit ce rôle tant de fois joué, avec humour, colère, peur, seul il emplit l’espace par la chaleur du timbre et le souffle soutenu. C’est puissant et sans faiblesse. Dans leur Duo on les sent à l’aise, à l’écoute l’un de l’autre, respectant l’intensité de ce drame intérieur que vit Rigoletto. patrizia Ciofi interprète Gilda avec beaucoup de sensibilité, on la perçoit fragile mais déterminée avec une voix toujours assurée faisant des nuances en accord avec le phrasé, d’une grande délicatesse n’excluant pas la puissance. Elle prend ses notes dans le souffle sans brutalité, restant dans la sonorité de son partenaire. C’est plus qu’un Duo tant on sent les chanteurs en osmose.Elle chante son Air Caro nome en évoluant au dessus de l’orchestre, on aurait préféré qu’elle soit tranquille sur la scène, sans avoir à surveiller ses pas dans cet air délicat, mais elle chante avec un timbre velouté aux aigus célestes qui font jaillir des Bravi du public enthousiaste.
L’Air de Rigoletto Cortigiana Vil Razza Dannata n’a pas pris une ride dans la voix de bronze de Leo Nucci et fait toujours le plein d’applaudissements. Voix pleine, sûre, aux graves sonores mais c’est La Vendetta Tremenda Vendetta, que le public fait régulièrement tricer, qui termine la soirée sur un triomphe total. Artiste complet au mieux de sa forme et de sa force, Leo Nucci venu entre deux répétitions aux arènes de Vérone où il chante Rigoletto justement, fait vibrer ce théâtre accompagné d’une Patrzia Ciofi sublime aux aigus superbes.
Roberto Rizzi Brignoli met en valeur l’Orchestre de Bordeaux Aquitaine en interprétant l’Ouverture de Nabucco et le Prélude de l’acte I de La Traviata en première partie et en deuxième partie,le Ballet de l’opéra Macbeth et le Prélude de Rigoletto, nous faisant entendre de belles sonorités dans les violons pour ce Prélude de La Traviata dirigé avec sensibilité par un Maestro de tout premier ordre. Mais l’orchestre est un peu inégal alternant quelques attaques peu sûres et des moments d’une grande musicalité, accompagnant les solistes avec souplesse ne les obligeant jamais à forcer leur voix. On sent chez ce chef d’orchestre un grand respect et une grande connaissance des chanteurs, les soutenant sans jamais leur imposer un Tempo qu’ils ne désireraient pas, ce qui donne cette fluidité cette élégance avec une liberté de phrasé. Un trio de charme pour une soirée exceptionnelle, ovationné par un public qui aurait voulu garder les chanteurs jusqu’au bout de la nuit.