Aix-en-Provence, 4 Juillet 2013
Pour fêter les 200 ans de la naissance du compositeur Giuseppe Verdi, le Festival d’Aix-en Provence avait décidé de Programmer Rigoletto pour sa soirée d’ouverture, changeant un peu ainsi l’image du festival. Cet ouvrage écrit d’après le drame de Victor Hugo Le roi s’amuse n’avait jamais été joué sur cette scène. Considéré comme l’une des trois oeuvres de la maturité de Verdi, ce drame romantique mélange les Airs légers et populaires et les moments d’une rare intensité dramatique. Cet ouvrage puissant qui dévoile l’âme humaine est soutenu par une écriture orchestrale colorée, adaptée avec justesse aux situations et composée avec beaucoup de finesse.
Ici, des duos, trios, quartets admirablement écrits, mélangent la fraîcheur de la voix de la soprano aux voix graves et sombres.
La mise en scène est confiée à Robert Carsen qui revient à Aix-en-Provence après près de vingt ans d’absence.
Il revisite l’ouvrage et l’on pouvait s’attendre à mieux pour ce retour. Loin des ors de la cour du duc de Mantoue, l’action se passe sous le chapiteau d’un cirque et naturellement, le bouffon Rigoletto devient le clown de service. Pourquoi pas? Mais non, l’ouvrage y perd en intensité. Des inventions, des extrapolations, et pas toujours du meilleur goût font ricaner a salle un moment consternée.
Monterone arrive avec un grand sac d’où il extrait le corps de sa fille morte, la salle de bal à la cour du duc de Mantoue est transformée en séance de domptage où les fauves sont des steap-teaseuses en porte-jarretelles et strings léopard adoptant des poses lascives, ce qui rend tout à fait inappropriée la musique de bal jouée par l’orchestre. Rigoletto joue avec une sorte de mannequin dénudé d’une façon assez obscène. Ce genre de scènes aurait certainement déclenché l’ire des spectateurs il y a quelques années mais ici, rien. Comment maintenir un niveau culturel acceptable si le public ne réagit jamais?
Rigoletto affublé d’un masque blanc, figure de clown ricanante, nous prive des expressions de ce personnage qui passe du cynisme au pathétique. Pourtant, ces expressions font partie du personnage de Rigoletto et lorsqu’il se dévêt et enlève son masque, il apparaît portant un petit débardeur sans aucune personnalité. Comment faire passer alors, l’intesité dramatique,
On ne sait plus ce qu’est devenu le duc de Mantoue, un artiste du cirque ou le patron? Ses acolytes montent et descendent les gradins un verre ou une bouteille à la main faisant un bruit épouvantable, ce qui amène des décalages avec l’orchestre.
La maison de Rigoletto est devenue une roulotte qui s’ouvre dévoilant la chambre de Gilda et c’est ici, un peu à l’étroit que le père et la fille chante leur joli duo.
Au second acte, lorsque les courtisans annoncent au duc que Gilda est enfermée dans la chambre, celui-ci, avant d’aller la rejoindre se déshabille, pantalon, chaussettes, caleçon tout y passe pour afin apparaître tout nu. Certes, il est joli garçon mais bon, est-ce bien utile, jeu scénique ou provocation? Le moment le plus intense de l’opéra, la prière de Rigoletto aux courtisans Pietà Signore chantée sous le chapiteau nous laisse un peu indifférents. C’est dommage!
Un autre moment dramatique un instant dissipé par l’air du ténor La Donna è mobile se passe encore dans ce décor unique, l’auberge est figurée par un cercle de cordes descendant du plafond où sont rassemblées quelques femmes de mauvaise vie. C’est moderne, évite les changements de décors et fait appel à notre imagination. Encore sans changement de décor, la scène du bord de l’eau se passe devant le rideau fermé; Rigoletto découvre sa fille mortellement blessée dans le sac qu’il devait jeter à l’eau, son Mia figlia est assez poignant. Le rideau s’ouvre sur la piste du cirque les courtisans sont là sur les gradins, les lumières arrivent à faire un joli tableau où Gilda blessée chante ses dernières notes sous une femme enroulée dans un tissu qui descend puis remonte suspendue à une corde. Est-ce l’âme de Gilda qui s’envole? Et que fait-elle là dans le cirque? Tout ceci est assez incohérent. La dernière scène est morbide, un cadavre de femme enroulé dans un drap descend des cintres. C’est l’effet pour l’effet.
Si le duc de Mantoue a une image assez lamentable de la femme, Robert Carsen ne fait rien pour atténuer cette vision.
On ne peut pas dire que cette production soit une réussite et l’on sort de ce spectacle avec une sensation de malaise, rien n’est abouti ni dans la conception ni dans la réalisation.Du côté des voix même sensation inconfortable, on hésite entre l’investissement des acteurs et le résultat.
George Gagnidze pourtant reconnu comme un grand Rigoletto ne donne pas ici toute sa mesure. Est-ce dû à la mise en scène, au costume? On ne ressent pas toutes les ambiguïtés du personnage; sa voix, souvent couverte par le bruit des pas dans les gradins ou par l’orchestre n’arrive pas à nous convaincre; un peu trop claire dans le registre aigu, elle manque de poids et ne passe pas dans le piano. Pas du tout soutenu par une mise en scène qui pourrait-être porteuse, la ligne musicale a du mal à s’installer. Il est beaucoup mieux et beaucoup plus crédible à la fin où le manque d’action et l’orchestre moins présent lui donnent l’occasion de s’exprimer dans un duo poignant avec sa fille.
Ce soir Arturo Chacon-Cruz est le duc de Mantoue. Ce jeune ténor d’origine mexicaine a le physique et la voix du rôle; investi il donne jeunesse et vigueur au personnage. Sans doute avec un peu de maturité sa voix prendra-t-elle un peu d’ampleur, mais le timbre est agréable et l’on sent sa ligne musicale prête à s’affirmer. Les aigus sont là manquant encore un peu de souffle. Dans son Air La donna è mobile la voix est plus brillante, plus assurée avec des attaques plus franches. Il remporte un vif succès mérité.
Le rôle de Sparafucile est chanté par la basse Gàbor Bretz. Tout à fait à l’aise son allure inquiétante est en accord avec son personnage. Il est très bien aussi vocalement, ses graves restent timbrés et sonores et sa voix bien placée résonne dans chaque registre. Il fait ici une excellente prestation; C’est l’autre basse Wojtek Smilek qui donne corps et présence au rôle de Monterone.
Irina Lungu est une très jolie Gilda,elle a le physique de la pure jeune fille, sa voix est claire et son timbre est agréable. On la sent un peu stressée au début, mais qui ne le serait pas lorsque l’on doit chanter l’Air Caro nome perchée en équilibre sur un trapèze à une hauteur vertigineuse? Peut-on alors lui reprocher des attaques peu sûres et une voix un peu crispée?
Pourquoi certains metteurs en scène font-ils si peu de cas des chanteurs? la question reste posée. Mais dès qu’elle n’est plus dans les airs, Gilda devient plus assurée et laisse exprimer sa musicalité avec fraîcheur et spontanéité. Son duo avec Rigoletto à la fin de l’ouvrage est un moment d’émotion. La Mezzo-soprano Josè Maria lo Monaco, arrive à s’imposer dans le rôle assez court de Maddalena. Sa voix se marie bien avec celle du du et ils forment un duo de charme .Très bonne prestation des autres rôles de la distribution.
Le choeur estonien bien préparé donnait à entendre un ensemble vocal de bonne tenue malgré quelques décalages avec l’orchestre.Gianandrea Noseda dirigeait le London Symphony Orchestra. Souvent trop fort, sans grand souci de soutenir les chanteurs dans une partition pourtant pleine de délicatesse avec des tempi pas toujours bien appropriés, l’orchestre n’était pas au mieux de sa forme malgré quelques jolies rondeurs de son.
La question que l’on peut se poser est pourquoi donc confier à des orchestres à vocation symphonique le soin de défendre des partitions d’opéras?Un Rigoletto qui ne restera pas dans les annales malgré un grand investissement des interprètes et qui obtient tout de même un beau succès.