Orange, 12 Juillet 2013
Le Vaisseau Fantôme est le quatrième opéra composé par Richard Wagner, le premier considéré faisant partie de ses oeuvres majeures, les trois premiers (oeuvres de jeunesse) n’étant, selon la volonté du compositeur, jamais joués au Festspiele de Bayreuth. Richard Wagner se détache ici de l’influence de Meyerbeer et du style du grand opéra français pour partir vers les légendes lyriques qui seront le thème de ses opéras à venir. La musique ayant été refusée par la direction de l’Opéra de Paris, c’est à Dresde en 1843 que cet opéra sera créé.
Richard Wagner essuie une très grosse tempête lors d’une traversée, la légende du Hollandais volant revient alors à sa mémoire et il se met à écrire le livret et la musique de l’opéra qui deviendra Der Fliegende Holländer alors qu’il est à Paris.
Il restera attiré par les légendes où son tempérament enflammé pourra s’exprimer sans grand respect des réalités. Dans cet opéra, on commence à entendre la musique de Richard Wagner dans tout ce qu’elle va avoir de caractéristique. Les thèmes qui reviennent, l’emploi des cuivres, les sonorités des cordes, la force d’une musique qui s’impose et se reconnaît aux premiers accords.
Comment représenter les flots qui se déchaînent sur cette scène immense et profonde, devant ce mur des Chorégies d’Orange qui pose souvent des problèmes aux metteurs en scène? En habitué des Chorégies, Charles Roubaud détourne le problème et va à l’essentiel.
Les interventions des choeurs qui apportent vie et animation mises à part, la scène n’est souvent occupée que par deux ou trois personnages; comment faire alors pour qu’ils ne soient pas perdus ou écrasés par ce décor naturel? Les solutions ne manquent pas à ce metteur en scène de talent qui nous livre toujours des ouvrages aboutis, pensés dans les moindres détails mais d’une lisibilité reposante. Loin de chercher tout au long de la soirée ce que le metteur en scène veut nous dire, on comprend tout de suite ce que le compositeur a voulu nous faire percevoir. Toujours d’une beauté élégante, décors et projections nous emmènent cette fois sur les côtes norvégiennes, mélangeant mythe et réalité.
Des cordes d’amarrage tombant d’un haut mur et tirées par des marins nous font comprendre que nous sommes dans un port et l’immense proue d’un bateau échoué là depuis longtemps changeant d’aspect grâce à des projections nous fait entrer directement dans la légende, avec des ciels de tempêtes et des vagues léchant les bords de mer.
Ici tout s’accorde, le visuel, l’histoire, la musique et les vagues d’un quatuor déchaîné nous emportent vers de lointains rivages. Les couleurs vert sombre restent dans les teintes de soirs d’orages; la carcasse rouillée du bateau omniprésente s’accorde avec la couleur des briques des murs des maisons, Une unité de couleurs qui permet d’enchaîner les actes sans faire d’entracte.
Seules notes de couleurs, les costumes des femmes créés par Katia Duflot. Ces costumes aux teintes un peu passées sont élégants et de bon goût ainsi que les robes de Senta et de Mary, seuls les marins sont vêtus de cuir noir. Le Holländer lui, porte un costume clair couvert par un grand manteau sans époque déterminée lui donnant une allure fantomatique. Toutes ces teintes maintiennent le spectateur dans une atmosphère lourde, chargée des tensions apportées par la tempête. C’est sobre et crédible sans être dépouillé. On sent une direction des acteurs minutieuse qui ne les mets jamais dans une situation inconfortable. Les danses de la fête et les mouvements de foule sont bien réglés et malgré le manque d’action de l’ouvrage, nous ne souffrons jamais d’aucun ennui tant la tension est soutenue. La mort de Senta après le départ du Holländer nous ramène à la réalité.
La distribution est dominée par la voix chaude et grave de Stephen Milling qui interprète Daland avec beaucoup d’autorité et de talent. Son allure imposante ainsi que sa voix donnent le caractère à son personnage. Une diction et une projection parfaites font que sa voix porte au loin tout en laissant résonner ses graves à la rondeur chaleureuse. Sa ligne de chant apporte de la musicalité à ce personnage cupide et peu sensible.
Steve Davislim nous donne aussi une belle interprétation du pilote. Sa voix est claire avec des aigus qui passent bien sans être claironnants. Il chante avec sensibilité et délicatesse, investi scéniquement il fait montre d’une belle présence bien qu’il soit souvent seul sur scène.
Endrick Wttrich qui chante le rôle d’Erick est moins convaincant, vêtu d’un costume marron il se distingue des marins. Sa voix manque de puissance mais ses aigus sont clairs et ses ornementations sont chantées avec élégance. Sa voix est mieux, par moments, malgré des graves assez faibles. Il semble un peu perdu sur cette scène et il serait peut être intéressant de l’entendre chanter dans un théâtre.
Le baryton basse, Egils Silins est ici le Holländer. Il a l’allure du rôle mais sa voix manque de projection c’est dommage car le timbre peut-être agréable et profond et certaines notes sont tout à fait belles mais sa mauvaise diction l’empêche de s’imposer derrière un orchestre très fourni. Une voix large, du souffle mais des graves un peu étouffés sont ses caractéristiques, toutefois de beaux moments dans le duo avec Senta où une mise en scène tout en retenue nous fait ressentir le surnaturel de l’instant.
Ann Petersen est une Senta pleine de délicatesse avec l’allure et le physique du rôle, sa bonne diction fait que sa voix passe bien nous faisant entendre de jolis piani. Le timbre est agréable dans chaque registre et ses aigus ne sont jamais criés. Elle joue avec naturel et simplicité laissant exprimer ses sentiments d’une voix vibrante jusque dans le passage chanté a cappella. Sans être exceptionnelle elle est une très belle Senta se mouvant avec grâce.
Marie-Ange Todorovitch est une Mary convaincante, comme à son habitude elle joue bien, son costume seyant lui permet d’évoluer avec aisance, elle donne de la présence à ce rôle mais on peut lui reprocher son manque de projection et sa mauvaise diction qui enlèvent de la vigueur à sa voix, les graves sont sonores et les aigus un peu mieux projetés. Une belle présence toutefois.
Le choeur des opéras de région donnent ici une belle pestation; un bel ensemble alliant sonorité et puissance. Le choeur des marins du Holländer enregistré, donne du mystère mais enlève un peu d’animation.
L’orchestre de Radio France dirigé par Mikko Franck nous livre une interprétation magistrale; des tempi un peu lents parfois mais soutenus, faisant ressortir les différentes familles d’instruments respectant l’écriture de Richard Wagner. Un chef d’orchestre qui s’occupe des chanteurs ne pouvant toutefois pas éviter quelques décalages avec le choeur. Mais la puissance mesurée de l’orchestre et la belle sonorité des instrumentistes donnent grandeur et unité à tout l’ouvrage. Un spectacle de qualité auquel on ne regrette pas d’avoir assisté.