Oranges, 11 Juillet 2013
Mozart et Chopin étaient invités à la soirée d’ouverture des Chorégies d’Orange avec en soliste le talentueux et charismatique pianiste Lang Lang. peut-être le choix des oeuvres était-il une gageure pour un récital dans ce théâtre antique surdimensionné?
Certes, Lang Lang assagi nous donne une interprétation de salon où chaque note doit être écoutée et goûtée dans le plus grand recueillement et l’on peur se demander ce que peuvent bien entendre les spectateurs placés vers le haut des gradins?
mais pour les privilégiés des premiers rangs, ces sonates de Mozart jouées sous la voûte céleste par un Lang Lang plus qu’inspiré resteront un moment enchanteur.
Suspendus au souffle de Mozart si bien transcrit par l’interprétation du pianiste nous tendons l’oreille, mais point n’est besoin d’oreille, les notes partent des touches du piano pour atteindre directement notre coeur.
On a souvent reproché à Lang Lang d’en faire trop, mais ici on sent un artiste qui veut apaiser les tensions et chaque note est jouée avec grâce et avec une respiration qui respecte le texte. Il a gardé l’émerveillement de l’enfant qui découvre la musique de Mozart et nous le fait partager.
Il joue les trois sonates dans des tempi relativement lents, mais avec une musicalité toute particulière. Son jeu perlé donne l’illusion de facilité, ses doigts effleurent les touches mais les notes sont percutantes avec cette sonorité qui lui est propre.
Sous son jeu sobre on sent l’artiste impétueux dont la jeunesse et l’humour émergent par petites touches. C’est le caractère de Mozart que l’on perçoit sous les doigts agiles de Lang Lang. Daniel Barenboim ne disait-il pas de lui “il est un chat qui aurait 12 doigts”? en effet, ses mains ressemblent tout à fait aux pattes souples d’un chat qui se posent avec délicatesse sur les touches produisant ce son qui lui appartient, fruit d’une grande musicalité et d’années de travail intelligent. Mais sans la musique que l’on a en soi, le travail n’est rien.
Top de lenteur, trop de sagesse?, non, un jeu intériorisé car Lang Lang joue pour lui et pour chacun d’entre nous en particulier. Il nous parle comme nous parlerait Mozart; Ce n’est pas une narration mais un dialogue avec le compositeur. Il en impose sa vision unique et après une légère surprise nous y adhérons complètement tant les couleurs, les nuances contrastées et surtout les respirations sont justes. Il monte et descend ses crescendi avec une force intérieure qui ne déborde jamais et à la fin de la troisième sonate on pense avoir redécouvert Mozart.
C’est la musique de Frédéric Chopin qui coule sous les doigts du pianiste en deuxième partie. Un Chopin que l’on sent tourmenté où chaque note est pensée sans être intellectualisée, où le coeur laisse exprimer ses peines et ses espoirs, où la joie retrouvée explose en virtuosité. C’est une interprétation plus sentimentale que romantique, plus exacerbée aussi dans les sentiments. Ce n’est plus l’époque de Mozart, c’est une époque où l’on crie ses peines aussi bien que ses amours avec quelques débordements parfois mais il le fait sans esbroufe sans rechercher particulièrement l’effet. Le son est plus direct faisant ressortir des harmonies que l’on n’a pas l’habitude d’entendre presque jazzy, la vélocité n’exclue pas une certaine élégance. Ce n’est pas une interprétation reposante mais on peut facilement imaginer les doutes, les déceptions et les espoirs qui se bousculent dans la tête et le coeur du compositeur. On sent un pianiste plus habité que strictement attaché à la partition. S’il prend quelques libertés, Lang Lang nous livre sa musique intérieure, c’est un artiste qui se livre, qui ne se cache pas derrière une partition, il pourrait être un trapéziste qui évoluerait sans filet, et ce danger nous fait ressentir ces moments d’extase où le coeur s’arrête un instant suspendu à ses doigts. Il joue la sonate No 4 avec des envols qui le mènent vers des sommets d’où il ne redescend pas; il est resté parmi les étoiles et son dernier tempo vivace l’emporte au loin.
Que demande-t-on à un artiste? De nous donner son interprétation de l’oeuvre, sa propre vision et surtout de nous faire ressentir des émotions. Alors ce soir c’est un parcours sans faute, c’est un pari gagné.
Acceptant avec beaucoup de gentillesse et de modestie les acclamations et l’ovation du public qui passerait bien la nuit à l’écouter, il nous offre trois bis, Chopin tout d’abord, la Valse du petit chien ou Valse minute, avec brio mais tendresse aussi, puis un nocturne qui prolonge l’envoûtement de la nuit, où chaque note est une étoile. Un nocturne bien choisi pour cette nuit particulière. Mais il veut partir sur une note brillante et c’est la Campanella de Paganini transcrite pour piano par Frantz Liszt que nous avons le plaisir d’écouter. Brillantissime avec grand effet de main droite, il s’amuse et nous ravit. Sa joie de jouer du paino est évidente et contagieusement nous transporte avec lui. C’est un récital magnifique qu’il nous a donné avant de s’envoler vers d’autres succès. Que l’on adhère ou non, il n’y a qu’un Lang Lang.