Nader Abbassi;le plus européen des chefs d’orchestres orientaux. Son parcours musical commencé par l’étude du basson le conduira à la composition,au chant puis à la direction d’orchestre. Rencontré pendant les répétitions de Carmen à l’opéra de Marseille,Nader Abbassi répond à quelques questions et revient sur son parcours musical qui le mènera à devenir chef d’orchestre,un chef d’orchestre atypique comme il se qualifie lui-même.
Etiez-vous fasciné par cette carrière?
Pas du tout,les choses sont venues progressivement par des enchaînements naturels qui m’ont amené à un épanouissement total.
Racontez-nous; comment devient-on chef d’orchestre en Europe lorsqu’on est né au Caire?
Je n’étais pas à proprement parler issu d’une famille de musiciens,mais mes parents aimaient la musique et mon frère jouait de la guitare;alors,tout naturellement,je me suis présenté au conservatoire du Caire à l’âge de 14ans et là tout naturellement aussi,on m’a dirigé vers une classe de basson. Je n’ai pas choisi moi même le basson mais cet instrument me convenait très bien,ses sons graves et ronds étaient en rapport avec ma voix. Mais pour apprendre le piano,je suis entré en classe de composition à l’âge de 15 ans ce qui m’a donné une vision plus large de la musique,et m’a fait aimer la création.
Avez-vous à ce moment décidé de faire de la musique votre profession?
Pas tout de suite,j’ai d’abord obtenu mes diplômes en classe de basson ce qui m’a permis de faire un stage à Genève et d’étudier avec Roger Birnstingl. Après des débuts comme bassoniste à l’orchestre du Caire j’ai intégré l’orchestre de chambre de Genève où j’ai tenu le poste de premier basson pendant 8ans tout en étudiant le chant avec le ténor Eric Tappy.
Vous sentiez-vous tout à fait Suisse ou aviez-vous gardé les racines de la musique orientale?
Même aujourd’hui mes racines sont indestructibles ma famille vit au Caire,je suis simplement un musicien habité par la musique classique sous toutes ses formes,un moyen d’expression beaucoup plus large. Ayant une voix de basse profonde,j’ai eu l’occasion de chanter dans “Benvenutto Cellini” et cette approche de la scène a été pour moi une révélation alors tout naturellement encore,j’ai intégré le cadre du choeur du Grand Théâtre de Genève où je suis resté 10ans.
Mais la composition dans tout cela?
Justement,c’est grâce à la composition que j’ai pour la première fois dirigé un orchestre.
J’avais composé au Caire un ballet “Beetwen Dask and Done” dont l’argument était tiré d’une histoire égyptienne et lorsque cette musique a été jouée en concert,on m’a tout naturellement demandé de la diriger.Ce fut mon premier contact avec un orchestre en tant que chef.
Alors,pour vous,cela a-t-il été difficile?
Pas vraiment,je connaissais bien l’oeuvre évidemment et je connaissais bien les musiciens aussi.C’est très important de comprendre le fonctionnement des musiciens,car malgré les différences de cultures on retrouve toujours certains traits de caractère.
Que faut-il selon vous pour être chef d’orchestre?
Une très grande connaissance de l’oeuvre que l’on va diriger,une vision personnelle de l’oeuvre et une énorme dose de psychologie.
C’est donc à partir de là que commence votre carrière de chef?
Tout à fait. On m’a proposé d’être le directeur musical de l’opéra du Caire,puis Maurizio Arena qui devait diriger Aïda aux pieds des pyramides dans une énorme production est tombé malade et je l’ai remplacé. Là,mes origines ont joué en ma faveur;un chef égyptien dirigeant Aïda en Egypte.
Je suis engagé pour diriger un programme orientaliste à Heidelberg,puis c’est en Russie que je suis engagé pour diriger une série de cinq ballet en hommage à Rudolf Noureev à Ufa sa ville natale.Je deviens aussi le directeur artistique de l’orchestre pour la paix qui réunit de jeunes musiciens du monde entier. La “Qatar Foundation” me nomme premier chef de l’orchestre philharmonique du Qatar et je suis actuellement le directeur artistique du “Village culturel Katara” à Doha.Mais c’est avec Renée Auphan que j’avais connue à Genève et alors directrice de l’Opéra de Marseille que s’ouvrent pour moi les portes des opéras. Elle m’engage pour diriger Maria Golovin;challenge d’autant plus important que le compositeur Gian Carlo Menotti est présent.
Quel est votre souvenir le plus heureux?
C’est tout à fait récent,cet été Francesca Zambello m’invite pour diriger au festival de Glimmerglass.Pour la dernière représentation les musiciennes et musiciens portaient tous une petite barbe similaire à le mienne et m’ont lancé des fleurs.Ce fut un moment de partage,un véritable moment de bonheur.
Votre plus grand stress?
Oui,un moment pour moi effroyable. C’était pour Aïda aux pyramides. Dans cette immensité on ne pouvait pas jouer sans sonorisation et rien ne fonctionnait. Jusqu’à la dernière minute,l’attente était insupportable.Mais,vous savez il y a toujours un moment de grâce pour les spectacles et cela est arrivé tout s’est mis à fonctionner.
Y a-t-il eu des moment d’énervement qui avec le recul deviennent amusants?
Certainement,j’ai en mémoire mon arrivée dans la fosse d’orchestre pour les répétitions de Maria Golovin justement.Il a fallu changer plusieurs fois la disposition de l’orchestre,tels instrumentistes ne voulant pas jouer avec le pavillon des trompettes dans les oreilles,mais alors que l’on change la disposition cet autre musicien ne veut pas avoir les timbales dans le dos,puis ce sont les cymbales qui dérangent à ce moment on est près de la crise de nerfs,puis tout s’arrange comme toujours et plus tard on trouve cela drôle.
D’après vous y-a-t-il un avenir pour l’opéra?
Bien sûr. Il y a toujours eu un public d’opéra et les salles pleines montrent l’engouement pour cette expression théâtrale complète;chant,musique théâtre. Il faut simplement intéresser les jeunes à ces spectacles,à la musique,peut-être par des moyens plus modernes,plus détournés,clips à la télévision,mettre la “grande musique”dans des publicités,ouvrir les portes des opéras aux écoliers,tout ce qui peut les interpeler sans rien leur imposer.La jeunesse est le public de demain.Il faut populariser la musique pour la rendre plus accessible.Jouer plus d’extraits par exemple.
Une musique qui vous ressemble?
Dimitri Chostakovitch.C’est une musique pleine d’émotion,imagée,écrite dans le grave,une musique à message.Ses vibrations me correspondent.
Une musique à laquelle vous vous sentez étranger?
La musique de l’époque Renaissance,je n’arrive pas à m’identifier à cette musique;je pense avoir besoin d’un peu plus d’ampleur.
Un opéra qui vous fascine?
Sans hésitation Elektra de Richard Strauss. Les couleurs,l’orchestration,le rôle d’Elektra.
Vous allez diriger Carmen,qu’est-ce que cela vous apporte?
Un grand bonheur,une grande fierté.Diriger un opéra français en France,et l’opéra français de référence! c’est une marque de confiance.Je m’efforce de faire ressortir le délicat de l’oeuvre,de ne jamais tomber dans la vulgarité.
Quel conseil donneriez-vous à un apprenti chef d’orchestre?
Ne jamais tricher,croire à ce que l’on fait,s’immerger dans l’oeuvre et donner. La musique est un don de chaque moment.
Votre prochain opéra?
Encore un opéra français,Francis Poulenc “Le Dialogue des Carmélites” au Grand Théâtre de Bordeaux.