Marseille, Opéra, Saison 2013/2014
Orchestre Philharmonique de Marseille.
Direction musicale Eun Sun Kim
Violon Nemanja Radulobic
Modeste Moussorgski: “Une nuit sur le Mont-Chauve”
Aram Khatchatourian: Concerto pour violon en ré mineur op.46
Lionel Ginoux: Concerto pour violon (Création française)
Paul Dukas: “L’Apprenti sorcier”
Marseille, 23 mars 2014
L’Opéra de Marseille, en ce dimanche près-midi, nous avait conviés à un concert assez original, et le public ne s’y était pas trompé en venant très nombreux y assister. C’est donc devant une salle pleine que le violoniste Nemanja Radulovic, allait jouer, interpréter, ou plutôt vivre le concerto pour violon et orchestre d’Amram Khatchatourian. Il était tout à fait intéressant d’entendre ce jeune violoniste juste quelques mois après qu’il ait été nominé aux Victoires de la Musique classique, d’autant plus qu’il allait aussi créer pour nous le Concerto pour violon de Lionel Ginoux. Dernière particularité, ce concert allait être dirigé par une femme, fait assez rare pour être notifié. L’Opéra de Marseille aime créer les surprises; en effet, il y a seulement quelques jours, Claire Gibault était au pupitre pour diriger Colomba, et l’on peut alors se poser la question : sommes nous dans une approche de la” parité ” à l’Opéra de Marseille?
En première partie, nous écoutions Une nuit sur le Mont-Chauve, de Modeste Moussorgski, mais dans sa version originale, celle orchestrée par le compositeur lui-même et qui, depuis quelques années, tend à ressortir des bibliothèques. Etant habitués à entendre l’orchestration faite par Nikolaï Rimski-Korsakov, on est tout d’abord surpris par certains accords, certaines nuances différentes. Modeste Moussorgski voulait faire ressortir certaines familles d’instruments ; le fait est qu’elles ressortent, mais sans un véritable lien entre elles, comme des morceaux que l’on aurait juxtaposés, et l’ambiance est totalement différente.
L’orchestre sonne, quelques fois un peu trop, mais les cuivres font entendre de belles sonorités, pleines et rondes, tandis que les cordes rendent bien le côté mélancolique slave, avec par exemple un beau soli d’alto. On sent aussi le côté fébrile et mystérieux des sorcières pendant la nuit du sabbat. Sans doute faudrait-il écouter cette version plusieurs fois pour l’apprécier pleinement.
Le Concerto pour violon d’Aram Khatchatourian venait ensuite, un concerto assez long, terriblement difficile, où le soliste est sollicité continuellement. Au delà de la technique, Nemanja Radulovic nous en donne une version ” éblouissantissime “. On ne sait plus s’il habite son violon, ou si c’est le violon qui l’habite. On est tout d’abord surpris par ce grand jeune homme tout de noir vêtu, qui porte bottes et jaquette, et qui bouge beaucoup tant il est possédé par les notes orientalisées écrites par le compositeur, puis on est subjugué par cette force et cette énergie faites musique. Pour jouer de cette manière, il faut avoir une technique que rien ne peut ébranler, pas même le réveil du volcan Ararat! Chaque note est un moment de grâce, le son est somptueux et audible dans les ” pianissimi ” les plus extrêmes jusqu’aux derniers rangs de l’amphithéâtre. Mais, plus que la main gauche, d’une vélocité diabolique, ce qui impressionne dans le jeu de Nemanja Radulovic, c’est sa technique d’archet. Cet archet qui est le prolongement de sa main droite et avec lequel il s’amuse. Détaché, staccato, spiccato ou archet dans la corde pour des sons moelleux qui font ressortir les accents orientaux. Les doubles cordes de la cadence donnent l’impression d’une partition jouée à deux violons.
Le second mouvement est un moment de charme et de sensualité où chaque note a une couleur différente grâce à la richesse et à l’intensité du vibrato. Il se sert avec justesse des démanchés comme un chanteur qui prendrait ses notes dans le souffle et donne l’impression d’utiliser un immense archet. Ce mouvement lent où alternent les dialogues avec la clarinette et les moments de puissance joués à l’orchestre nous laisse dans un état de grâce.
Le troisième mouvement est un éblouissement de légèreté et de précision, dans un tempo vivacissimo qui se poursuit, telle une machine infernale, pour se terminer par des accords larges aux sons pleins.
L’orchestre, parfois un peu fort, l’accompagne avec beaucoup de précision et de musicalité. Les sonorités du quatuor, un joli soli d’alto, ou les instruments solistes, font ressortir les atmosphères et les couleurs jouées par le soliste.
Ovationné par un public enthousiaste, Nemanja Radulovic, reprend son violon pour un Bis endiablé. Une interprétation personnalisée des Caprices de Paganini. Sa technique, son investissement, son allure nous donnent à penser que nous avons devant nous une version moderne de cet immense violoniste qu’était Niccolo paganini. Jouer du violon prend toute sa dimension ici, il joue, il s’amuse, se fait plaisir et nous enchante ; Tout y passe, le staccato volant, les pizzicati faits à la main gauche, le détaché infernal, et pourtant il reste dans la musicalité, le son reste beau où que se pose l’archet, car le son est dans sa main droite et le son arrive avant que l’archet ne se pose, c’est en cela que ce violoniste est extraordinaire, vous l’entendez jouer avant qu’il n’ait commencé.
La deuxième partie débutait avec la création de Lionel Ginoux, Les Indociles, jouée au violon par Nemanja Radulovic. Lionel Ginoux est un jeune compositeur né en Avignon en 1978 ; après des études qui le mènent de Valenciennes à Londres, et qu’il termine au Conservatoire National de Région de Marseille, il obtient en 2004, le premier prix de composition à l’unanimité du jury, Prix Sacem. Bien qu’ayant fait des études scientifiques sur le son, il se consacre à la composition et, fait assez rare, réussit à en vivre.
Fortement impressionné par des compositeurs tels que Philippe Hersant, Henri Dutilleux, ou George Benjamin, il garde son propre style, influencé par ses émotions, et basé sur les rythmes et les sons. Sans apriori, il peut aussi bien être infuencé par le Jazz, que par la musique populaire.
Ses oeuvres vont dans des directions différentes avec des pièces écrites pour la voix, pour instruments solistes ou pour orchestre ou choeur. Il est joué en France : Avignon, Montpellier ( Radio France ), Marseille, entre autres, mais aussi à l’étranger, Hollande, Etats Unis. Sa pièce, les Indociles, pour violon et orchestre, interprétée ici par Nemanja Radulovic, a été composée en avril 2011, à l’aube du printemps Arabe, elle est un hommage au courage et aux voix qui ne veulent pas se taire. La parole est donnée au violon solo qui fait entendre sa voix, la voix du peuple. Les couleurs jouent ici aussi leur rôle, couleurs du désert, de l’immensité.
Cette oeuvre n’a pas été écrite après une commande, elle est le fruit d’une inspiration du moment. La partition pour orchestre utilise de nombreux instruments, les cordes, la petite harmonie et les cuivres, mais aussi les instruments à percussions, grosse caisse, caisse claire, toms, bongos, pour lesquels il écrit des rythmes complexes.
Le ton est donné dès le début de l’oeuvre par un roulement de timbales joué piano. Les cordes créent des atmosphères étranges et les instruments solistes sont là pour faire jaillir des éclats de lumière. C’est très bien écrit, et l’on peut tout à fait ressentir les impressions voulues par le compositeur. Quelques dissonances, comme créées par la foule, et un motif répétitif joué par les violons comme une idée fixe qui revient ne couvre jamais le violon solo qui, tout au long de ce concert fera entendre sa voix, plus ou moins grave, plus ou moins plaintive, mais toujours avec ce large son généreux qui sait entrer dans les sonorités des cordes, évitant de couper les tensions. On sent une écriture affirmée, sans hésitation, qui, comme la voix du peuple, poursuit sa route sans regret et sans retour en arrière.
Comme pour le concerto de Khatchatourian, on sent Nemanja Radulovic investi dans ce qu’il joue, son jeu n’est jamais extérieur. Chaque note fait partie de lui, et cette musique qu’il crée, il la comprend et la vit. Le public ne boude pas, il adhère, s’enthousiasme même pour cette partition nouvelle et ovationne ce jeune compositeur qui mérite les Bravos recueillis ; une belle récompense pour Lionel Ginoux.
Pour terminer ce programme, l’orchestre seul cette fois, interprétait L’Apprenti Sorcier, de Paul Dukas. Ce poème symphonique, inspiré d’une ballade de Goethe est créé à Paris le 18 mai 1897, mais ce qui l’a redu célèbre dans le monde entier, est l’utilisation qu’en fait Walt Disney dans son dessin animé Fantasia.
Cette musique hautement imagée, n’a besoin d’aucun support pour nous transporter dans le monde de ce jeune apprenti, qui apprendra certainement plus l’humilité que la sorcellerie. Chaque instrument a sa propre voix et c’est superbement orchestré. Dès le début, violons, clarinettes et hautbois nous mettent dans l’ambiance mystérieuse de l’antre de ce jeune sorcier. Il n’est pas si facile de bien interpréter une oeuvre aussi connue et aussi bien écrite, d’autant plus que cette pièce tout en finesse et en rythmes est d’une interprétation délicate et demande beaucoup de précision. On peut apprécier dans le jeu de l’orchestre tous les éléments qui ont fait le succès de cette oeuvre, les oppositions de couleurs et de sentiments du jeune héros. Chaque famille d’instruments tout en étant soliste, reste dans les sentiments exprimés sans exagération. Les nuances, les hésitations du basson, les appels à l’aide des trompettes ou du cor, la plainte de l’alto solo, tout est joué avec justesse et mesure, ne laissant rien au hasard. Chaque inflexion est voulue et porte. On sent la machine se détraquer, les instruments se déchaîner et l’on est subjugué aussi bien par l’écriture que l’interprétation sans aucun relâchement.
Tout au long de ce concert on a pu apprécier la bonne tenue de l’orchestre et surtout son grand investissement dans des oeuvres aussi différentes, prouvant sa souplesse et sa musicalité.
On a aussi apprécié la direction de Eun Sun Kim, qui tient l’orchestre d’une baguette ferme et précise, ne se laissant jamais déborder par les rythmes ou le tempo. On sent un orchestre bien préparé, aux sonorités qui s’adaptent à chaque moment musical.
Donner du relief à une création orchestrale n’est pas toujours une chose évidente, mais ici, les atmosphères se font ressentir par des changements rapides de nuances, faits avec souplesse. On regrette peut-être une direction souvent verticale qui mériterait parfois un peu plus de balancement, ou quelques forte un peu trop généreux, mais l’ensemble du concert où dialogues et musicalité étaient au rendez-vous, mérite des louanges. Un bel après-midi de musique et de virtuosité.